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Misère de la gauche – Par René Perriot

20 avril 20170
Misère de la gauche – Par René Perriot 5.00/5 3 votes

Publié le : 20 avril 2017

Source : egaliteetreconciliation.fr

Un peu de sociologie politique avant le 1er tour

Si l’histoire moderne n’a pas réellement produit de système politique au sein duquel le peuple exerce directement le pouvoir, les périodes révolutionnaires ont toutes été fruit de l’action d’une petite bourgeoisie consciente, tendant la main aux masses populaires (période jacobine). Recroquevillée sur elle-même, au service de ses intérêts propres, la petite bourgeoisie a pu à d’autres époques être tout à fait réactionnaire (Allemagne des années 30 après la destruction du socialisme allemand).

Alors que déjà les préparatifs du grand raout d’entre-deux-tours contre l’ « extrême droite » sont en cours (1), une analyse des profondeurs électorales fait apparaître la candidature de Jean-Luc Mélenchon comme purement formelle, dont le contenu (la matière électorale) se trouve au Front national. Si la droite d’argent via son organe de propagande quotidien, Le Figaro, fait (bêtement ?) passer M. Mélenchon pour un dictateur à cause de son programme économique, c’est bien dans l’impossibilité qu’il aurait d’appliquer ce programme en cas de victoire que réside la plus forte menace pour le peuple du travail.

Qu’est-ce que la « France insoumise » (sociologiquement) ?

Le socle électoral de la candidature JLM aux présidentielles françaises de 2017 est composée de ce que nous appellerons la petite bourgeoisie intellectuelle (profs, ITC (2), étudiants/chercheurs, intermittents du spectacle, une partie des professions libérales…). Or cette catégorie sociale (on ne peut réellement parler de classe), porte en elle une contradiction : si elle subit effectivement les effets de la crise (quoique moins durement que d’autres), elle ne peut s’en prendre radicalement à la social-démocratie sans scier la branche sur laquelle elle est assise. Issue des nouvelles couches moyennes, ce groupe social non directement productif est intrinsèquement lié quant à ses conditions d’existence à l’hégémonie économique et culturelle de la gauche bourgeoise. Longtemps (au moins depuis les années 60 et la French Theory), cette petite bourgeoisie intellectuelle s’est imposée par sa capacité à produire la critique du capitalisme la plus performante… pour le compte du capitalisme (structuralisme, freudo-marxisme, lacanisme…). Ce dernier, parvenu à un certain stade de développement (libéralisme libertaire), pouvant se permettre le luxe de produire sa propre contradiction. Mais la crise s’exacerbant, les lieux protégés de cette critique (Université, presse, édition, espaces culturels divers…) se sont progressivement restreints jusqu’à menacer les plus faibles de ce groupe social et remettre en cause les prébendes des enfants des soixante-huitards : c’est le mouvement Nuit debout.

À travers la « France insoumise », la gauche petite-bourgeoise et intello ne s’adresse donc pas aux catégories populaires mais bien à l’oligarchie sociale-démocrate. Son message peut se résumer ainsi : « Vous avez encore besoin de nous pour produire une “critique” du capitalisme qui ne le remette pas fondamentalement en cause mais en corrige les effets les moins tenables. » C’est la critique formelle et opportunément floue de la « réduction des inégalités » portée par les bipèdes noctambules tels Frédéric Lordon ou François Ruffin. Vision indignée qui ne critique le capitalisme que du point de vue du procès de consommation (on y parle constamment de « salariés », jamais de producteurs) trahissant qu’elle est encore celle de privilégiés (relatifs) imperméables à la compréhension réelle du procès de production (3).

Mélenchon ou le fascisme des nouvelles couches moyennes

Seule cette approche sociologique permet de comprendre la porosité du vote Mélenchon / Hamon, aux programmes pourtant diamétralement opposés. « La France insoumise » peut être politiquement identifiée comme un mouvement corporatiste visant à peser sur la société bourgeoise de l’intérieur. Sa hantise de la victoire de la « droite et de l’extrême droite » est avant tout celle de la réduction de ses subsides. Un poujadisme d’intellos.

Issu de la gauche bourgeoise anti-communiste et porté par de jeunes militants néo-gauchistes venus au souverainisme par nécessité, Mélenchon se trouve dans une incapacité sociologique à fédérer les catégories productives (ouvriers, artisans, commerçants, agriculteurs, petits patrons…) malgré des références constantes au « peuple ». Quoique très séduisante intellectuellement et servie par un excellent acteur, sa candidature est d’ordre purement formel. Il est le candidat du signifiant. De gauche.

En cas de victoire (rendue plausible par l’effondrement de Macron, la déchéance de Fillon et l’escroquerie du front républicain), n’ayant aucun rapport de force en sa faveur (onction des lobbys ou peuple prêt au blocage du pays), il n’aurait pas d’autre choix que de lâcher sur l’économico-social, rendant le sérieux à l’oligarchie comme Tsipras en Grèce. Mais gavée d’autosuffisance, la petite caste d’intellos revancharde n’en ferait pas moins régner contre le peuple du travail une véritable dictature sociétale, cache sexe du renforcement de ses privilèges, d’autant plus dure qu’elle serait dans l’incapacité de changer réellement le système. Un fascisme de couches moyennes, celui des droits du consommateur (aux différentes appellations « jeunes », « femmes », « minorités »…) contre les nécessités du producteur (ces deux-là étant souvent… la même personne).

Le véritable antifascisme : la réconciliation forme/matière

Dans La Bête sauvage, Michel Clouscard évoque l’alliance du prolétariat et du petit patronat comme seule capable de réaliser l’autogestion du travailleur collectif, enfin débarrassé des fonctions parasitaires (animation, management). La clef étant la compréhension par une partie des nouvelles couches moyennes (ITC, petits fonctionnaires, petits managers…) que leur intérêt objectif est bien plus proche de celui du prolétariat et des petits patrons que de celui de l’oligarchie financière. Si Clouscard, écrivant à la fin des années 70, comptait sur le PCF pour réaliser cette synthèse révolutionnaire, c’est aujourd’hui le FN qui l’incarne le moins mal, malgré une forme bancale car peu conscientisée. La matière électorale du PCF d’hier s’est trans-formée (= a changé de forme). Et la fracture Mélenchon / Le Pen est bien le verrou oligarchique qui empêche le contenu de classe du FN de s’investir dans une forme claire et porteuse d’espoir telle que celle incarnée par JLM 2017.

Au prix de concessions sur son internationalisme et en échange de crachats systématiques sur le FN, la petite bourgeoisie intellectuelle peut encore s’offrir le luxe d’une candidature « insoumise » dans la France du capitalisme financier. Luxe que malheureusement elle semble vouloir utiliser à son seul profit au lieu de s’en servir comme marchepied pour créer un espace véritablement populaire de résistance à la mondialisation néo-libérale en intégrant le peuple du travail.

La crise s’aggravant, les oppositions se radicalisent néanmoins de plus en plus autour de points saillants (comme l’UE ou l’immigration), rendant caduque le brouillage idéologique de l’oligarchie. Et de plus en plus intenable le populisme hors peuple d’un Jean-Luc Mélenchon.

René Perriot

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1) Entretien avec Philipe Martinez, Le Progrès du 12 avril 2017.

2) Ingénieurs, techniciens, cadres.

3) Le film de François Ruffin « Merci Patron ! », encensé par toute la gauche, donne l’exemple d’une vison tout à fait caricaturale de la lutte des classes comme mettant aux prises le prolo face à Bernard Arnault. Comme si ces deux là étaient en concurrence pour les mêmes postes, les mêmes espaces, les mêmes signes, les mêmes femmes… Occupant des univers relativement étanches, ce n’est que par bien des médiations que ces deux là sont en « lutte » et le grattage de quelques dizaine de milliers d’euros par une famille de prolos au magnat du luxe (tant mieux pour elle !) ne constitue pas le plus petit début d’une entorse aux lois du capital.

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