Publié le : 23 mars 2018
Source : atlantico.fr
… financement libyen ou pas
Atlantico : La mise en examen de Nicolas Sarkozy, qu’elle soit ou non justifiée, montre malgré tout qu’il s’était entouré de personnages peu recommandables. Certains l’avaient d’ailleurs alerté sur le fait qu’il n’était pas judicieux de fréquenter pareilles personnes. Ne peut-on pas dire que, s’il est coupable ou non, sa faute a été en premier lieu d’avoir affaire à ce genre de personnalités ?
En novembre 2002, un ami, alors bras droit du président d’une entreprise nationale, m’appelle. Un diplomate du cabinet du président Chirac veut qu’un certain Alexandre Djouhri accompagne ce patron en Iran (c’était avant l’embargo américain) pour gérer les commissions, affaire délicate en orient. Qui est ce Djouhri me demande cet ami ? Au passage : je n’ai nulle animosité personnelle contre cet homme que je ne connais pas. En revanche, le criminologue que je suis sait ceci. Ce petit caïd de cité, dépeint dans dix procès-verbaux comme braqueur de bijouteries et acteur de la guerre qui ravage alors le Milieu Séfarade post-Zemmour, constitue un danger mortel pour les hauts fonctionnaires, chefs d’entreprises et politiciens qui le fréquentent. Cent fois en quinze ans, bien seul alors, j’ai expliqué ça à de hauts magistrats ou responsables policiers proches du président Sarkozy. Djouhri, pour la Sarkozie, leur disais-je, c’est la malédiction des pharaons : ceux qui l’ont approché finiront mal. Eh bien, nous y sommes.
Parfois, le pouvoir a besoin d’intermédiaires. En la matière, ceux que fréquentait Nicolas Sarkozy sont-ils pires que d’autres ?
Il y a une cruciale nuance entre intermédiaire et voyou. Ni naïf, ni puritain je sais que dans le système de « grand export » des années 1980-2000, ces intermédiaires sont décisifs. Sans eux, tout s’enlise. Pourquoi l’émir, assis sur les centaines de milliards de sa pétromonarchie, signe-t-il tel contrat ou tel autre ? L’intermédiaire fait la différence. Il n’est pas toujours sympathique ni du meilleur goût : basta, ce sont les affaires. Surtout, ces affairistes ne sont pas des criminels.
C’est le cœur du problème. Ici ,l’analyse criminologique et une longue pratique (professionnelle) des voyous, me permettent de dresser un portrait psychologique du jeune criminel : ce qui alors marque sa psyché ; ce qui en perdure à l’âge adulte. Ce, même quand il boit du Château-Latour au Bristol, ou du champagne à l’Elysée ; même quand il va de jet privé en suites du Ritz. Dans l’adolescence, se forment ces réflexes vitaux qui gouvernent l’homme au long de sa vie. Ce qui imprègne alors la psyché humaine est impulsif, en amont du conscient, du réfléchi. Les expériences dramatiques (terrorisme… banditisme) marquent à vie le sujet qui, même s’il rentre ensuite dans le rang, réagira toujours selon ces réflexes primordiaux préemptant d’usage la pensée consciente et posée.
Ainsi, non le délinquant d’un jour mais l’individu criminel, devient forcément un fauve. Il repère une proie, bondit dessus et la dévore ; évoluant dans une jungle, il y acquiert Forcément ces réflexes de prédateur, faute de quoi il est incarcéré ou tué, selon la logique darwinienne de «survival of the fittest ». Contrairement au mafieux inséré dans son clan, ce bandit n’a pas d’égaux, pas d’amis : pour lui, tout individu honnête (le cave) est une proie, tout complice d’un jour est le rival de demain, ou la future « balance ».
Dès lors, ce criminel peut bien rentrer dans le droit chemin, des réflexes primordiaux ancrés en lui réagissent devant chaque proie, chaque juteuse opportunité. Le cave, lui, est méprisé, même si on lui fait bonne figure, même si on l’inonde de cadeaux ou de fines bouteilles. Générosité de voyou ? Non : exigence technique – comme on appâte à la pêche, le bandit « arrose « pour être mis sur des « coups », billet de cent euros dans un bistrot de banlieue ou grands Bordeaux au Bristol. Le cave se confie-t-il ? Accepte-t-il une aide financière ; une « escorte » un soir d’ennui ? Tolère-t-il qu’un bandit devienne son Sganarelle ou sa nounou ? Il est perdu car pour ce voyou, rien n’est innocent. Chaque fait, document ou détail est ainsi et dès le premier contact capté pour la future menace, le futur chantage. Car forcément un jour, les chemins divergent ; le voyou veut récupérer au centuple les « cadeaux » d’hier, liasses de billets ou Bordeaux millésimés. Là, sidéré, le cave réalise que le copain, le complice, a disparu. Le masque aimable est tombé : un fauve sort les crocs. Il possède la trace des paiements, les sex-tapes , les détails du contrat litigieux… Il faut obéir, sinon tout est publié et finie labelle carrière.
Or, plus le grand patron, politicien ou haut fonctionnaire, est puissant dans son propre monde, plus il est psychologiquement incapable d’imaginer ce qui l’attend. Même intelligent, expérimenté, il n’imagine pas l’aimable « intermédiaire », certes un peu filou, comme un fauve. Voilà pourquoi ces patrons, politiques ou hauts fonctionnaires sont des proies un peu pathétiques pour un tel prédateur. Voilà pourquoi le criminologue leur a cent fois conseillé de s’abstenir de les fréquenter, même de loin. Car ici, le jeu est trop inégal. MM. Guéant, de Villepin, Squarcini, ont accepté de copiner avec un tel prédateur. Ce que faisant, ils ont compromis M. Sarkozy. Telle est l’essence de toute l’affaire.
Les autres présidents de la Ve République ont-ils eu pareille mauvaise fréquentation ? Si oui, lesquelles ?
Les « barbouzes » des débuts de la Ve République, Le Service d’Action Civique gaulliste ensuite, n’étaient pas des enfants de Marie. La République (ne remontons pas trop loin) a toujours eu ses bas-fonds. Mais ceux qu’on en extirpait parfois pour quelque basse besogne ne copinaient pas avec le Général ni avec M. Pompidou.
Or là, c’est différent. Pour preuve, ces anecdotes que m’ont narrées deux grands patrons, sous M. Sarkozy. L’un d’eux monte le grand escalier de l’Elysée menant au premier étage, celui du président et du secrétaire général, alors M. Guéant. Ce patron est doublé dans l’escalier par M. Djouhri, genre lutin bondissant. Arrivé au premier, M. Djouhri entre comme chez lui au secrétariat de M. Guéant et ressort peu après, du bureau même du secrétaire général, avec du champagne et trois verres. Là, il propose à ce patron effaré de trinquer entre potes, avant le rendez-vous. Vous avez-vu ? Je suis chez moi, signifie le petit jeu. Et cet acteur majeur du domaine nucléaire me confiant alors, effondré, que M. Djouhri inspire peu ou prou la politique nucléaire de la France. Une racaille de cité montée en graine. Ca, c’est vraiment du jamais vu.