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« Écarter le père pourrait engager la responsabilité de l’État français à l’égard des enfants » – Entretien avec Aude Mirkovic

2 juillet 20150
« Écarter le père pourrait engager la responsabilité de l’État français à l’égard des enfants » – Entretien avec Aude Mirkovic 4.00/5 4 votes

Publié le : 02 juillet 2015

Source : bvoltaire.fr

Dans un avis publié mercredi, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) recommande d’étendre la procréation médicalement assistée (PMA) à « toutes les femmes sans discrimination », qu’elles soient célibataires ou en couple avec une autre femme. Boulevard Voltaire a interrogé Aude Mirkovic, porte-parole de Juristes pour l’enfance, à ce sujet…

Le Haut Conseil à l’Egalité évoque la « discrimination » pour réclamer la PMA pour les « couples » de femmes et les femmes célibataires… Que leur répondre ?

Ce qui a déjà été dit des centaines de fois. L’égalité ne signifie pas de traiter tout le monde de la même manière, mais seulement ceux qui sont dans des conditions équivalentes au regard de la question traitée. Par exemple, doit-on traiter de la même manière un nouveau-né de 15 jours et un homme de trente ans ? Si on parle de prérogatives liées à l’humanité, la dignité par exemple, l’égalité exige de les traiter de la même manière car ils sont dans la même situation au regard de l’humanité qu’ils partagent. En revanche, s’il s’agit de capacité à passer des actes juridiques, ils ne peuvent être traités de la même manière, car ils n’ont pas les mêmes capacités. Un traitement égal serait très injuste pour le nouveau-né.

En ce qui concerne la procréation, deux femmes ne sont pas dans une situation équivalente à celle d’un homme et d’une femme et la discrimination, au sens propre de différence de traitement, qui existe en matière de procréation médicalement assistée est parfaitement justifiée. À ce compte-là, pourquoi ne pas permettre aux personnes de 70 ans de recourir à la FIV, sous prétexte de discrimination à l’égard des vieux ? Il n’y a pas de discrimination à écarter les personnes âgées de la PMA, car elles ne sont pas dans une situation équivalente, au regard de la procréation, à celle des couples en âge de procréer. Bref, il n’y a pas plus de discrimination à l’égard des couples de femmes qu’il n’y en a à l’égard du troisième âge.

Le rapport précise que « l’accès à la PMA des femmes célibataires ou en couple de femmes soulève également des enjeux en matière de déconstruction des normes du masculin et du féminin et interroge l’hétérosexualité érigée en norme ». N’est-ce pas exactement ce qui est dramatique pour l’enfant en question ?

Ce n’est pas l’hétérosexualité qui fonde l’accès à la PMA mais la complémentarité homme/femme. Les personnes font ce qu’elles veulent avec leur sexualité, mais un enfant vient toujours d’un homme et d’une femme. Le priver de l’un ou l’autre est une injustice à son égard. En outre, cela caractériserait une atteinte à son droit, protégé par la Convention internationale des droits de l’enfant, de connaître, dans la mesure du possible, ses parents et d’être élevé par eux. Écarter délibérément le père, pour réaliser le désir d’autrui, pourrait engager la responsabilité de l’État français à l’égard des enfants pour violation de leur droit.

Le Haut Conseil est-il dans son rôle quand il souligne « l’incohérence du droit français » ?

Il n’y a aucune incohérence à garantir à l’enfant issu de la PMA une filiation crédible. Il est vrai que le droit français recèle une incohérence, mais ce n’est pas celle visée par le Haut (!) Conseil. L’incohérence est dans la possibilité prévue par la loi française de concevoir un enfant à partir de gamètes d’un donneur. En effet, quand bien même ce serait au profit d’un couple homme/femme, le recours au don de gamètes consiste à écarter délibérément un des géniteurs de l’enfant au profit d’un parent d’intention. Le don est alors plus discret car le donneur s’efface derrière le père de l’enfant, ou la donneuse derrière la mère.

En outre, il est moins grave d’écarter le père biologique que de priver carrément l’enfant de père, mais c’est déjà une injustice à l’égard de l’enfant et une violation de ses droits. En effet, chacun sait que la filiation ne se réduit pas au lien biologique, mais il est faux de prétendre que le lien biologique serait si peu important qu’on pourrait en priver délibérément l’enfant. Qui accepterait de quitter la maternité avec un autre enfant que le sien ? Alors, pourquoi considérer qu’il serait indifférent pour l’enfant d’avoir ses parents biologiques ? Le don de gamètes introduit effectivement une incohérence : il faut y remédier en mettant en cause le don de gamètes en lui-même, et non pas généraliser l’incohérence et l’aggraver en acceptant de fabriquer, légalement, des enfants sans père. Il y a suffisamment d’enfants privés de père par les malheurs de la vie, ce n’est pas la peine que la loi organise cette privation.

« Ça existe déjà » est l’« argument » le plus régulièrement évoqué. Que répondre ?

Si on doit légaliser tout ce qui existe déjà, la liste est longue ! Il y a effectivement déjà des enfants qui sont délibérément privés de père par leur mère, et sa conjointe, qui ne veulent pas s’encombrer d’un père. Il s’agit là d’une violation grave des droits de l’enfant, que les juges cautionnent en prononçant l’adoption, par la conjointe de la mère, de ces enfants rendus adoptables par décision délibérée. Il faut sanctionner ces comportements au lieu d’envisager leur légalisation.

Pour la PMA, mais encore opposé à la GPA… N’est-ce pas, dans leur logique de non-dicrimination, totalement hypocrite ?

Bien sûr, au point que cela ne trompe plus personne. La (non)-logique « puisque les couples homme/femme peuvent procréer, les couples de femmes doivent pouvoir se fabriquer des enfants sans père » conduit nécessairement à la proposition que « les couples d’hommes doivent aussi pouvoir faire fabriquer des enfants sans mère ». Il est urgent de replacer ces revendications dans la perspective de l’enfant, principal intéressé. Le désir d’enfant est certes légitime, mais le désir doit passer au prisme de la raison. Comme chacun se convainc très vite qu’il ne veut que du bien à l’enfant à venir, la loi doit poser des limites au désir d’enfant, qui consistent au minimum dans le respect des droits de l’enfant.

Entretien réalisé par Charlotte d’Ornellas

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