Economie

De Gandrange à Florange, les mêmes scénarios

12 décembre 20120
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Publié le : 12 décembre 2012

Source : marianne.net

Début 2011, c’est une histoire qui a fait grand bruit. A l’époque, le secrétaire de la section CGT des employés communaux d’une petite bourgade de Moselle, Nilvange, avait annoncé qu’il rejoignait le Front national. Si l’affaire avait eu cet écho, c’est que le village est situé au cœur de ce qui était autrefois le premier bastion de la sidérurgie française et qui n’est plus maintenant qu’un champ de ruines.

On y avait donc vu un symptôme de la désespérance sociale. Et puis aussi un avertissement inquiétant. Un avertissement d’abord à Nicolas Sarkozy qui avait promis aux sidérurgistes de Gandrange – distant de Nilvange de moins de 20 km – que leur usine ne fermerait pas, avant de les abandonner à leur sort. Et puis aussi un avertissement aux partis de gauche, qui ont parfois, eux aussi, été contaminés par le virus libéral du laisser-faire.

Depuis, l’affaire a visiblement été oubliée. Pis que cela ! Ce que Nicolas Sarkozy a fait hier à Gandrange, François Hollande le refait aujourd’hui à Florange. Avec le même cynisme, la même rouerie, les mêmes mensonges. Oui ! les mêmes mensonges… Il y en a eu tellement ces dernières semaines qu’il n’est guère difficile de les recenser.

D’abord, il y a le mensonge proféré le 30 novembre par Jean-Marc Ayrault, quand, désavouant Arnaud Montebourg, il présente l’accord conclu entre le gouvernement et la direction d’ArcelorMittal comme une victoire. Bien qu’il s’agisse d’une pitoyable reculade. Qu’on en juge. Alors que, peu avant, le fougueux ministre du Redressement productif avait tonné contre le patron du groupe sidérurgique, affirmant que l’on ne voulait «plus de lui en France» – au motif qu’il n’avait respecté «aucun de ses engagements» - et le menaçant d’une nationalisation provisoire, voilà d’un seul coup que le Premier ministre se réjouit d’un accord… qui laisse totalement les mains libres au groupe Mittal.

Plus de menace de nationalisation ! Pas de remise en marche des hauts-fourneaux de Florange, à l’arrêt depuis quatorze mois ! Tout juste la direction promet-elle de réinvestir à terme 180 millions d’euros et de ne pas procéder à un plan social. Mais on sait ce que valent les engagements de Mittal : rien du tout. Déjà, en 2006, lors de son OPA sur Arcelor, le groupe avait promis de ne pas fermer Florange. C’était consigné noir sur blanc, avec cette précision : «Les sites français bénéficieront d’investissements dans un futur prévisible, afin de renforcer leur compétitivité.»

Le deuxième mensonge, aussi grave, est celui proféré par François Hollande, le 24 février 2012, quand, juché sur un camion à Florange, il promet aux sidérurgistes qu’il les défendra en prenant une loi obligeant un industriel à céder une usine viable promise à la fermeture. Car, depuis, cette loi n’a toujours pas vu le jour. Et, quand bien même le gouvernement serait-il de bonne foi et n’aurait simplement pas eu le temps de légiférer en ce sens, il avait un autre moyen d’honorer la promesse du candidat, c’était de reprendre à son compte l’idée avancée par Arnaud Montebourg d’une nationalisation transitoire, qui revenait exactement au même, mais qui a donc été rejetée. Comme dans le cas de Nicolas Sarkozy pour Gandrange, François Hollande n’a donc pas tenu sa promesse pour Florange.

Le troisième mensonge – à moins que ce ne soit de l’incompétence – a été énoncé le 19 octobre par Jean-Pierre Jouyet, président de la future Banque publique d’investissement, quand il a accablé le site de Florange, en le rangeant au nombre des «canards boiteux». Car, au contraire, si la conjoncture est déprimée, le site de Florange n’en est pas moins l’un des fleurons qui symbolisent l’excellence technologique de la sidérurgie française. Et c’est bien pour cela qu’en 2006 Mittal a aussi voulu mettre la main sur ce site, et non pas le fermer comme Arcelor l’avait prévu : pour disposer de ce savoir-faire, quitte ensuite à organiser des transferts de technologie et des délocalisations de production.

Et on approche ici du quatrième mensonge. Car François Hollande avait pris aussi cet engagement : «Notre ennemi, c’est la finance.» Or, s’il y a un groupe industriel qui symbolise les perversions de la finance dérégulée, c’est ArcelorMittal. Cornaqué par la plus sulfureuse des banques, Goldman Sachs, criblé de dettes (22,5 milliards d’euros) à cause d’une course folle à la mondialisation, mais servant à ses actionnaires des dividendes hallucinants (2,8 milliards d’euros en 2011, soit plus que son résultat net), disposant d’une réputation sociale détestable, ArcelorMittal est une caricature des excès auxquels peut conduire la financiarisation de l’industrie.

Alors, pourquoi avoir rendu les armes contre un pareil «ennemi», sans même avoir combattu, sans même oser une nationalisation, fût-elle partielle et seulement transitoire ?

La question risque de hanter longtemps la gauche. Pour une raison que Trotski avait formidablement détaillée dans son célèbre opuscule Où va la France ? : «Quand le peuple ne trouve pas de solution dans l’espoir révolutionnaire, il peut être tenté de la chercher dans le désespoir contre-révolutionnaire.» Traduction en langage contemporain : quand la gauche n’assume pas sa mission de transformation sociale, elle prend le risque de renforcer l’extrême droite et d’attiser le vote protestataire.

Laurent Mauduit

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