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La Syrie, cible de la désinformation – par Louis Delmas

17 août 20120
La Syrie, cible de la désinformation – par Louis Delmas 5.00/5 1 votes

Publié le :09 août 2012

Source : agoravox.fr

Le citoyen ordinaire n’a pas le temps de s’intéresser à la politique étrangère. Il a trop de problèmes à résoudre dans sa vie quotidienne. C’est une poignée d’experts ou de journalistes qui mâche l’information internationale pour lui faire avaler quelques idées simples. Le malheur est que chez nous, cette poignée de professionnels est cynique, aveugle ou incompétente. Cynique parce qu’elle relaie ouvertement la propagande américaine ; aveugle parce qu’elle ne décèle pas les objectifs et les méthodes de Washington ; incompétente parce qu’elle ne s’attache pas à la recherche de la vérité.

Ses idées simples vont toujours dans le même sens : celui du mythe dominant.

Nos grands médias – télévisions, radios, journaux nationaux – ne se posent jamais de questions. Une ligne de clichés étant établie, ils la suivent les yeux fermés. Milosevic était un dictateur ; Saddam Hussein menaçait l’univers ; Khadafi étranglait la Libye ; Gbagbo saignait la Côte d’Ivoire ; Ben Ali et Moubarak étaient des autocrates pourris ; Chavez est un tyran ; Poutine trahit la démocratie ; Lukashenko muselle la Bielorussie ; Ianukovitch verrouille l’Ukraine ; Hu Jintao étouffe la Chine dans un étau totalitaire, et Kim Jong Eun cadenasse la Corée du Nord. Aucune nuance, pas d’hésitation, jamais un doute. Tous ces hommes – bien différents pourtant – sont jetés en vrac dans le sac poubelle des pèlerins des droits de l’homme. Sur ordre américain. Je ne dis pas que tout ce qu’on leur reproche est faux. Je dis simplement d’une part, que ne figurent pas dans la liste quelques satrapes arabes, africains ou asiates, aussi autoritaires que les susnommés, mais dont la poigne de fer est agréablement graissée par le dollar ; d’autre part, que dans le cadre d’une information juste, chaque cas cité ci-dessus aurait du – ou devrait – être examiné sans passion, parti pris ou préjugé. Et surtout pas sous l’influence de Washington.

Le slogan vedette actuel de cette liste est « Assad massacre son peuple ». Une fois de plus, un jugement à l’emporte-pièce, repris à l’unisson par nos médias. Ne favorisant qu’un seul côté. De la droite à la gauche, à la télé et à la radio, dans la presse du Figaro à Libération, les comptes rendus n’émanent que de sources rebelles, les arguments du régime n’existent pas. Tout ce qui contredit la version du glorieux « combat pour la liberté » est passé sous silence. Les cris de victoire des opposants ont beau être invérifiables, et être démentis par de nombreux témoins sur place, les mises au point sont ignorées. Assad est le diable, comme l’étaient ou le sont tous les « hommes forts » résistant à la mise sous tutelle de leur pays.

Cette partialité médiatique dissimule opportunément le but majeur de la stratégie impériale : se débarrasser de tous ces chefs d’Etats indociles. L’opération est menée par une entente USA-Arabie Saoudite-Qatar – soutenue par Israël qui voit avec plaisir l’affaiblissement de ses ennemis – et s’appuie sur la branche sunnite et wahhabite de l’islam. Le jeu est dangereux. S’adjoindre un adversaire déclaré pour des raisons tactiques est en même temps le renforcer. L’administration Obama croit pouvoir maîtriser l’expansion sunnite qu’il finance et arme contre Damas et Téhéran, d’une part en soutenant des terroristes qui ne perdent pas l’occasion de mordre la main de leur maître, d’autre part en achetant un islamisme soi-disant « modéré » qui se révèle pourtant partisan de la sharia. Pendant ce temps, le fanatisme religieux en profite pour gagner du terrain avec la destruction des régimes laïques qui entravaient sa propagation. Les organes les plus bruyamment partisans de la croisade « humanitaire » (dont les interventions militaires font à chaque fois plus de morts civiles que les soi-disant massacreurs qu’elle combat), sont obligés de reconnaître, à peine gênés, que l’opposition syrienne est truffée de mercenaires étrangers, de militants fondamentalistes et d’enragés d’Al Qaeda.

« Après seize mois de révolution, lit-on dans Libération des 4-5 août 2012, et plus d’un an de révolution armée, la Syrie risque de devenir une nouvelle terre de jihad, comme l’ont été l’Irak et l’Afghanistan. (…) Au moins deux organisations, liées à Al Qaeda, se sont déjà implantées dans le pays. » Déjà l’International Herald Tribune du 31 juillet avait tiré la sonnette d’alarme. « L’opposition se radicalise, écrit le journal. Les jihadistes locaux et des groupes de combattants d’Al Qaeda y jouent un rôle grandissant et réclament une part de direction de la résistance. (…) La plus grande partie de l’argent alimentant l’opposition provient de donateurs religieux en Arabie Saoudite, au Qatar et ailleurs dans le Golfe, dont la générosité repose sur l’éducation salafiste. » Les rebelles renoncent peu à peu à déployer leur drapeau de l’indépendance nationale au profit de bannières religieuses. Selon Thomas Pierret, de l’université d’Edinburgh, « Le problème du drapeau est un problème-clé. Ils sont sur une voie jihadiste et salafiste de rejet de la structure nationale. » Au profit de l’universalisme musulman.

Avec l’imprégnation confessionnelle de la rébellion, deux autres éléments importants de la réalité syrienne sont plus ou moins occultés par nos médias.

D’abord les préoccupations d’Ankara. La Turquie, qui fournissait le soutien logistique de l’offensive anti-Assad, commence à se préoccuper du renforcement kurde à sa frontière. « Le dirigeant du Kurdistan irakien autonome, Massoud Barzani, tenait il y a peu une réunion de conciliation à Erbil entre les différentes factions kurdes de Syrie. Bien que divisées, celles-ci, parmi lesquelles se trouve le PKK (mouvement kurde armé de Turquie), disposent d’armes et contrôlent déjà un pan de territoire jouxtant la Turquie. Ces développements inquiètent Ankara qui vient de masser des troupes à la frontière syrienne. » (Libération, 2 août 2012). Le New York Times du 31 juillet avait été encore plus net. « Les militaires turcs ont envoyé hier des troupes, des véhicules blindés et des batteries de missiles à la frontière syrienne. (…) Des morceaux de la Syrie sont tombés aux mains de milices kurdes et une région frontalière est contrôlée par des groupes de jihadistes dominés par des combattants étrangers puissamment armés. (…) Les autorités turques craignent que la Syrie ne devienne une tête de pont pour des militants kurdes résolus à provoquer un chaos en Turquie. (…) Le gouvernement turc considère les séparatistes kurdes comme la plus grande menace à la sécurité nationale. Depuis les années 80, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées dans le conflit opposant le gouvernement au Parti des travailleurs kurdes (PKK). (…) Il y a un autre problème. Des centaines de combattants étrangers – venant de Libye, d’Algérie, d’Irak, d’Afghanistan et d’Europe – pénètrent en Turquie et s’en servent comme zone de transit vers la Syrie. La plupart disent qu’il mènent un jihad, une guerre sainte, dans le but de transformer la Syrie en un pur Etat islamique. »

Une seconde conséquence de l’offensive contre Damas est l’anéantissement du pluralisme syrien. Selon l’International Herald Tribune des 4-5 août, « les 2,3 millions de chrétiens, qui constituent environ 10 % de la population du pays, connaissaient sous la dynastie Assad une situation encore plus privilégiée que la secte chiite alaouite à laquelle appartient le président. (…) Alors que les armes et l’argent d’Arabie Saoudite fortifient l’opposition, 80.000 chrétiens ont été « épurés », chassés en mars de leurs foyers dans la province de Homs par l’Armée syrienne libre. (…) Le comportement des rebelles a poussé un certain nombre de sunnis qui les avaient soutenus au début, à renouveler leur loyauté à Assad. Beaucoup d’entre eux qui considéraient le régime comme une kleptocratie le regardent maintenant comme le meilleur garant d’un pluralisme menacé. (…) L’apparente indifférence de la communauté internationale à la dégradation de la situation des minorités religieuses engendre un fort sentiment anti-américain chez les nombreux Syriens séculiers qui voient les Etats-Unis s’allier à l’Arabie Saoudite, la source du wahhabisme, contre l’Etat le plus résolument laïque du monde arabe. (…) Les groupes armés qui ont pris le contrôle de la rébellion, désormais contaminée par les combattants d’Al Qaeda et corrompue par l’argent saoudien, commencent à déplaire à bien des gens. »

Avec les chrétiens, on peut citer les druses dont 20.000, citoyens syriens, habitent le plateau du Golan annexé par Israël. Selon l’International Herald Tribune eu 8 août, ils vivaient bien sous le règne d’Assad et s’interrogent avec anxiété sur le sort qui leur sera réservé s’il est chassé du pouvoir.

On ne voit pas grand’chose de tout cela dans les médias français. Le consensus de la désinformation y règne sans partage. Bashar al Assad n’est qu’un tyran assoiffé de sang. Ses sbires ont le monopole des atrocités. Les zones calmes de son pays sont ravagées par des massacres, malgré le déni des habitants. Les principales villes sont aux mains des insurgés, en dépit de nouvelles contraires. Malgré tout ce qu’on sait de son désordre, l’Armée syrienne libre, unifiée et disciplinée, vole de succès en succès. Un tel déluge d’approximations (pour ne pas dire de mensonges) ne fait que mesurer la médiocrité de nos médias.

Un mot pour conclure. On ne peut pas reprocher à l’opinion publique d’ignorer l’actualité internationale ou d’accepter passivement sa tendancieuse et unanime description. Elle a bien d’autre soucis que le sort d’Assad. Mais on peut en vouloir à ceux qui se targuent de rendre compte honnêtement (?) de cette actualité, de n’en évoquer ni la réalité, ni les coulisses, ni les manipulateurs, ni les dangers.

Louis DALMAS.

Directeur de B. I.

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