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« Arabes Chrétiens » : les inconséquences de Laurent Fabius… Par Richard Labévière

26 août 20150
« Arabes Chrétiens » : les inconséquences de Laurent Fabius… Par Richard Labévière 5.00/5 3 votes

Publié le : 24 août 2015

Source : prochetmoyen-orient.ch

Six mois après avoir provoqué une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies pour sensibiliser la communauté internationale au sort des minorités depuis l’expansion de Dae’ch en Syrie et en Irak, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, a annoncé qu’il présiderait – le 8 septembre prochain à Paris – une « conférence internationale sur les victimes de violences ethniques et religieuses » aux Proche et Moyen-Orient. Sont directement concernés, non seulement les « Arabes Chrétiens », mais aussi les Yézidis, les Shabaks et les Mandéens notamment, qui subissent de plein fouet les violences morbides des jihadistes en Syrie et en Irak.

C’est à l’historien libanais Georges Corm que l’on doit de choisir et d’utiliser l’appellation d’« Arabes Chrétiens » plutôt que celle de « Chrétiens d’Orient ». Et ce, pour trois raisons : on ne dit pas « Chrétiens d’Occident », les premières communautés chrétiennes – c’est une tautologie historique – sont bel et bien nées en Orient ; elles appartiennent de plein pied à différentes communautés du monde arabe et sont, tout aussi pleinement partie prenante de son histoire et de ses cultures, par conséquent ses membres peuvent se considérer légitimement comme des « Arabes » ; enfin, l’appellation « Arabes Chrétiens » souligne et induit toute la richesse et la complexité d’un monde arabe qui ne saurait se réduire au monde « arabo-musulman ».

Durant l’été 2012, nous avions rencontré le nouveau patriarche maronite Bechara Raï (1) dans sa résidence de Bkerké afin d’examiner la situation préoccupante des différentes communautés chrétiennes de Syrie. Dès cette période, donc très en amont de la création officielle de l’organisation « Etat islamique » (Dae’ch), le Patriarcat était en possession de documents et de témoignages accablant les différentes factions de la rébellion syrienne (principalement l’Armée syrienne libre ou plutôt les groupes se revendiquant comme tel et les jihadistes de Jabhat al-Nosra). On pouvait alors, d’ores et déjà établir, mesurer et confirmer la gravité et l’ampleur des sévices que les terroristes faisaient subir aux populations civiles des villages chrétiens qu’ils étaient en train de conquérir : exécution sommaire des hommes valides, femmes et jeunes filles violées durant des heures avant qu’on leur coupe les seins, les mains et les pieds, décapitations de nouveaux nés, etc. Transmis à plusieurs rédactions européennes, notamment parisiennes, pas un seul média n’osât informer l’opinion publique de telles exactions…

Il fallu attendre l’été 2014, le calvaire des Yézidis et des communautés chrétiennes d’Irak, après la conquête de Mossoul, la destruction du tombeau du prophète Jonas par les islamistes et une épuration organisée de Qaraqosh et de plusieurs villes de la région habitée par des Chrétiens depuis plus de 1800 ans, pour que les médias commencent à « couvrir » l’arrivée de réfugiés en Europe… Sur la situation des Arabes Chrétiens de Syrie, toujours pas un mot parce que leurs représentants étaient accusées de « soutenir » Bachar al-Assad.

Côtoyant les communautés chrétiennes et d’autres minorités syriennes depuis plus de trente ans, on peut comprendre que leurs représentants – comme ceux des Alaouites, des Kurdes, des Druzes, des Assyro-babyloniennes, etc. – acceptent la pérennité d’un régime, certes très critiqué, mais jugé préférable à une prise de pouvoir par les Frères musulmans, les Salafistes ou d’autres factions de la rébellion. Les minorités syriennes se sont toujours senties plus en sécurité sous le régime d’Hafez al-Assad, comme sous celui de son fils Bachar (depuis juin 2000), parce que nombre de leurs ouailles participaient et participent effectivement aux différents appareils militaires et administratifs d’un Etat baathiste, considéré amendable, sinon réformable.

Dès son arrivée à la tête de la diplomatie française (16 mai 2012), Laurent Fabius et ses conseillers néoconservateurs ont rejeté cette évidence pour des raisons idéologiques et commerciales. Comme le déclarait Laurent Fabius en août 2012 : « Bachar al-Assad ne mériterait pas d’être sur terre… », d’autant que nombre de contrats d’armements importants étaient en passe d’être signés avec l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe souhaitant ardemment la chute d’un régime syrien allié à l’ennemi chi’ite iranien et au Hezbollah libanais. On ne parlait plus alors de « la politique arabe de la France », comme au temps du Général de Gaulle et de François Mitterrand, mais d’une « politique sunnite » de la France éternelle ! Hallucinant, proprement hallucinant !

Lors de plusieurs visites au Quai d’Orsay (avril 2013, mai 2014), le patriarche maronite s’était même fait littéralement coupé le sifflet, dès qu’il essayait de soulever la question des minorités avec les diplomates français. Ce n’est qu’en mai dernier, après avoir rencontré le président de la République lui-même – ayant immédiatement compris l’enjeu électoral du dossier -, que Monseigneur Raï a pu commencer à être entendu… Dans le contexte de massacres répétés de Coptes en Egypte, de déportations régulières de Palestiniens Chrétiens par la soldatesque israélienne et d’une médiatisation (enfin) des massacres des Arabes Chrétiens et des autres minorités, non seulement d’Irak mais aussi… de Syrie, nos chers diplomates ont, enfin, reçu l’ordre de l’Elysée d’ouvrir un dossier qu’ils avaient pour le moins méprisé jusqu’alors…

Le 8 septembre prochain doit donc se tenir à Paris une conférence internationale sur cette si douloureuse et si vieille question des minorités des Proche et Moyen-Orient. Au sortir de la conférence annuelle des ambassadeurs, Laurent Fabius, qui continue à nous dire qu’on ne peut sérieusement éradiquer Dae’ch sans d’abord tuer Bachar al-Assad, comme les puissances occidentales l’ont fait de Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi – quelles réussites ! -, devra nous expliquer comment la France entend défendre concrètement ces minorités tout en soutenant et armant les factions islamistes qui les massacrent…

Enfin, parce que les affaires de notre « politique sunnite » doivent bien continuer, on suivra avec attention la participation de la délégation saoudienne à cette conférence de bienfaisance. Faut-il rappeler que, dans cette charmante monarchie pétrolière, la pratique d’une autre religion que celle de l’islam wahhabite est passable d’emprisonnement, voire même plus ? Les bailleurs de fonds du wahhabisme saoudien, qui ont financé pendant des décennies les Frères musulmans, Al-Qaïda et bien d’autres mouvements islamistes, n’ont toujours pas fait amende honorable. Nombre d’institutions et d’ « ONGs » saoudiennes continuent, en effet, à financer Dae’ch, Nosra et d’autres officines fidèles à la dawa – la propagation du wahhabisme – même si certaines de ces organisations s’en prennent aujourd’hui à des objectifs sur le territoire même de la monarchie pétrolière. Ne parlons pas de la Turquie, invitée également à cette conférence au moment même où son armée massacre allègrement les Kurdes pourtant engagés en première ligne contre les terroristes de Dae’ch. Autant inviter des diabétiques dans une pâtisserie…

Quoiqu’il en soit, la participation de l’Arabie saoudite et de la Turquie à une conférence dédiée à la défense des minorités des Proche et Moyen-Orient, relève soit de l’ignorance, soit de l’aveuglement mercantile, soit de l’indécence ou, peut-être simultanément de ces trois attitudes. La « politique arabe » de la France est morte ! Vive sa « politique sunnite » et la défense des minorités…

Richard Labévière

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1) Il venait de succéder au cardinal maronite Nasrallah Boutros Sfeir, né à Rayfoun au Liban le 15 mai 1920, patriarche de l’Église maronite de 1986 à 2011, patriarche émérite de l’Église maronite depuis le 26 février 2011.

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