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Pourquoi l’Occident cherche le conflit avec la Russie ? Par Karine Bechet-Golovko

2 février 20150
Pourquoi l’Occident cherche le conflit avec la Russie ? Par Karine Bechet-Golovko 5.00/5 5 votes

Publié le : 29 janvier 2015

Source : comite-valmy.org

Ces derniers jours, une vague très bien coordonnée d’attaques vient de se produire contre la Russie, sur la scène des déclarations politiques. Que ce soit des Etats Unis, de l’UE ou d’Ukraine, chacun veut faire de la Russie un agresseur. L’Occident est-il à ce point affaibli pour tenter de regrouper ses forces face à un ennemi commun ?

La création de la figure de l’ennemi est très utile. Elle permet de regrouper des cercles différents, qui n’ont pas de projets constructifs communs, derrière un même danger. Les divergences sont minimalisées face à un danger commun. C’est le premier intérêt de la montée en puissance du discours anti-Russie auquel nous venons d’assister. Car l’unité oublieuse n’arrive pas à se faire autour de la nouvelle idéologie monopolisante en Occident. La vague Charlie Hebdo fait grincer les dents, trop de faibles voix s’élèvent, trop d’arrestations – même pour Amnesty international. La Grèce s’est ouvertement révoltée contre l’idéologie imposée par l’UE. Ce qui donne des idées à d’autres. En Ukraine, les mères et femmes d’appelés refusent de laisser partir leur fils ou leur mari. Donc faire oublier ses divergences devant un danger imminent, ce grand ours russe qui va venir piétiner l’Europe. Mais l’Europe en sortira vainqueur car elle est protégée par les Etats-Unis. C’est à peu près le discours qui nous est servi.

L’autre intérêt est de maintenir un état d’esprit particulier, presque celui d’un état de guerre permanent, lors duquel les gens sont prêts à accepter plus de sacrifices qu’ils n’en accepteraient en temps normal. Pensez-vous que les jeunes sursauteurs du Maïdan se battaient pour donner tout le pouvoir aux oligarques ? Pour voir leur pays sombrer, vivre beaucoup moins bien qu’avant, sans réelles perspectives d’amélioration sinon le passage à l’économie de guerre dans toutes les régions demandé par le Premier ministre Yatséniuk ? Depuis quand fait-on la révolution pour aggraver la situation ? La figure de l’ennemi si proche et si dangereux est ici aussi très utile, car ainsi il est responsable de tous les échecs.

Dans ce contexte, somme toute instable pour le néolibéralisme triomphant qui ne veut s’avouer, la crise ukrainienne ne doit, à aucun prix, trouver une solution politique. Tout dialogue entraîne des compromis, toute réelle réforme constitutionnelle oblige un consensus et donc à terme une normalisation. Or, justement, cette issue est dangereuse. C’est pourquoi les débats sur la nouvelle Constitution traînent, la lustration permet de se débarrasser des opposants ou indépendants, le conflit armée dans l’Est de faire de la Russie l’agresseur tant attendu.

Ainsi le Président ukrainien, Poroshenko fait déclarer par la Rada la Russie comme pays agresseur. Oubliant que ce n’est pas la Russie qui a financé le Maïdan, lui ayant permis de renverser dans le sang le régime et de prendre le pouvoir. Oubliant que ce n’est pas la Russie qui bombarde le Donbass, mais l’armée ukrainienne et les différents bataillons, avec l’appuie des pays de l’OTAN, voire de l’OTAN lui-même.

Il veut également faire reconnaître les Républiques de Donetsk et Lugansk comme des organisations terroristes. Mais là, l’Assemblée du Conseil de l’Europe s’est arrêtée. Il faut dire que c’est du jamais vu de vouloir faire reconnaître une partie de son territoire comme organisation déjà, ensuite terroriste.

Que reste-t-il des accords de Minsk après cela ? Avec qui discuter de paix ? Cela permet à Poroshenko de rompre les pourparlers sans les rompre formellement. On reste dans le non-droit, car ces actes pris par la Rada n’ont aucune force juridique, nous restons dans le marécage politique. En revanche, ils peuvent avoir des conséquences juridiques. Par exemple, faire de ses territoires des « organisations », c’est de facto une reconnaissance d’indépendance, sur le plan politique, car il en fait quelque chose d’extérieur à l’Etat ukrainien. Ce qui est une absurdité et politique et juridique. Politiquement, car cela ne présente aucun intérêt s’il veut réellement les récupérer, notamment par le dialogue ou même les écraser par la force. Juridiquement, un morceau d’un territoire d’un pays ne peut être « une organisation ». Ce serait en tout cas une nouveauté dans les manuels de droit constitutionnel.

Ce qui donne du sens politique à tout cela et le remet en perspective, c’est la sortie de V. Nuland : « Nous devons mettre en place des centres de commandements et des centres de contrôle dans les six pays qui se trouvent sur la ligne de front ».

Quelle est cette ligne de front ? C’est la frontière avec la Russie, « le pays agresseur », le nouveau front de l’Est, ou peut-être une sorte de profanation du devenu célèbre « front ukrainien ». Donc il faut que les Etats membres de l’OTAN s’engagent dans un processus de création de forces d’intervention rapide qui peuvent réagir rapidement aux problèmes qui se posent dans la région. En d’autres termes, V. Nuland, en charge des relations extérieures américaines pour l’Europe et l’Eurasie, prévoit un début de plan de guerre contre la Russie. Et le fait que tous les pays limitrophes de la Russie ne soient pas membres de l’OTAN ne la dérange pas. Cette confusion va permettre de contourner l’interdiction d’incorporer l’Ukraine dans l’OTAN. A nouveau par une négation du droit et un marécage politique. La victoire du droit du plus fort, assez primaire comme attitude, mais qui semble correspondre à l’époque en général.

Pour continuer, et clore cette série surréaliste, il ne reste qu’à citer la décision de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de reconduire les sanctions contre la délégation russe, la privant de son droit de vote et de sa représentation dans les organes de direction, jusqu’à avril. La décision a été prise par 160 voix pour, 42 contre, 11 se sont abstenus. En réponse, la délégation russe a décidé de ne pas participer toute l’année aux débats de l’Assemblée parlementaire, de ne pas coopérer non plus et de poser d’ici à la fin de l’année la question du bien-fondé de sa participation, en principe, au Conseil de l’Europe. L’Europe s’est ainsi retiré un instrument de coopération.

A la suite de cela, il est donc évident que :

• les Etats Unis et l’UE ne cherchent aucun moyen de coopération avec la Russie et la crise ukrainienne est un moyen de consommer le divorce ;

• la crise ukrainienne ne pourra se régler sur le plan diplomatique, que lorsque le rapport des forces aux Etats Unis aura changé ;

• il devient à propos de poser la question du dévoiement d’une institution aussi respectable que le fut le Conseil de l’Europe : peut-on dire qu’il remplisse sa mission en rejetant le dialogue avec un pays-clé dans le conflit central de l’espace européen aujourd’hui, le seul pays qui cherche une solution pacifique ?

Karine Bechet-Golovko

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