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Monsieur Tout-le-Monde à la radio… Par Dominique Jamet

6 janvier 20150
Monsieur Tout-le-Monde à la radio… Par Dominique Jamet 5.00/5 3 votes

Publié le : 06 janvier 2015

Source : bvoltaire.fr

Vous souvient-il de Mr. Smith au Sénat ? Dans ce très beau film de Frank Capra, premier de la trilogie dont les deux autres volets sont le très amusant Vous ne l’emporterez pas avec vous et le très émouvant La Vie est belle, James Stewart, pour ses débuts au cinéma, tient le rôle de « Mr Smith », autant dire « M. Dupont », ou « Monsieur Tout-le-Monde », une sorte de boy-scout élu à la suite d’un improbable concours de circonstances au Sénat des États-Unis. L’action se situe dans le contexte de la Grande Dépression où le pays s’enfonce depuis 1929 et la plus belle scène en est le discours échevelé et magnifique que tient le jeune idéaliste devant ses nouveaux collègues éberlués, rigolards ou médusés, au nom des victimes de la crise, des sans-logis, des sans-emploi, des « sans-dents », de tous ceux que la société a laissés sur le bord du chemin.

Tout s’est passé hier matin, entre sept et neuf heures, sur France Inter, comme si les vaseux communicants dont un homme politique professionnel ne saurait plus se passer avaient repris à l’usage de François Hollande le scénario de Capra, mais en l’inversant. Deux heures durant, le chef de l’État a endossé l’habit passe-partout de l’homme quelconque, du simple quidam, de « Monsieur Tout-le-Monde » et s’est humblement plié aux règles convenues avec les organisateurs de son exhibition. Il ne faisait que passer, il ne voulait pas déranger, il voulait seulement dialoguer avec tout ce qui se présentait, journalistes ou auditeurs. L’opération « Reconquête » dans laquelle s’est lancé depuis quelques semaines le Président le plus impopulaire de la Ve République vise à persuader les Français qu’ils ont fait entrer à l’Élysée un brave type accessible et bienveillant, un bonhomme fait du même bois qu’eux, qui pourrait être n’importe lequel d’entre eux et que l’on peut en conséquence traiter comme n’importe qui, pour ne pas dire comme n’importe quoi.

On ne s’attardera pas sur le fond. M. Hollande n’avait rien de bien nouveau à dire, en fait rien d’autre que ce qu’il avait déjà dit le 31 décembre, et précédemment sur TF1, et auparavant lors de sa conférence de presse. Qu’il faisait ce qu’il pouvait, qu’il avait pu se tromper, mais qu’il gardait le cap, qu’il était contre le chômage, et pour le redémarrage de notre économie, que peut-être en 2015, sûrement en 2016 le succès viendrait couronner ses efforts et les nôtres, qu’il n’y aurait pas de hausse nouvelle des prélèvements, en tout cas en 2015, qu’avec un peu de chance et beaucoup d’audace la croissance serait peut-être plus forte que prévu… Au passage, on put mesurer la force de ses convictions et le sérieux de ses analyses lorsque à quelques minutes d’intervalle M. Hollande qualifia la loi Macron de « loi de liberté et de progrès » pour concéder aussitôt que ce n’était pas « la loi du siècle ».

Mais que dire de la forme ? France Inter n’avait pas cru devoir modifier sa grille pour accueillir son invité. Aussi bien les propos du personnage auquel la France a confié son destin furent-ils constamment interrompus et hachés, comme auraient pu l’être ceux de tout autre quidam, par les informations (soit !), par le bulletin météo (pourquoi pas ?) mais aussi bien par une évocation d’Elvis Presley ou des chroniques d’« humour ». Entre-temps, le Président justifiait comme il le pouvait ses évolutions et ses reniements face à des journalistes coriaces qui, d’autant plus accrocheurs qu’ils le voient plus affaibli, lui coupaient la parole, lui mettaient le nez dans ses incohérences et ses contradictions, opposaient avec cruauté sa rhétorique anticapitaliste de candidat à sa politique néo-libérale de président, ou répondait à des auditeurs qui dans le meilleur des cas le traitaient d’égal à égal.

On souffrait non pour l’homme mais pour la dignité d’une fonction qu’il a tant fait pour rabaisser. Le comble fut atteint lorsque, sans plus de souci de sa présence que si elle avait été sur la scène des Deux-Ânes ou des Trois-Baudets et lui dans ses charentaises et devant sa télé, une humoriste en gros sabots à qui on avait envie de crier « Sois belge et tais-toi ! » lui adressa quelques vannes bien lourdes qu’il subit en silence. Les vidéos tournées sur place et largement diffusées nous montrent qu’il ne les appréciait pas. Mais quoi, tu l’as voulu, George Dandin ! Du normal au banal, puis du banal au ridicule, il n’y a qu’un pas. Il a été, une fois de plus, franchi hier matin.

Dominique Jamet

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