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Paxton, inventeur de Vichy ? Par Nicolas Champion

28 décembre 20140
Paxton, inventeur de Vichy ? Par Nicolas Champion 5.00/5 4 votes

Publié le : 1er décembre 2014

Source : lebreviairedespatriotes.fr

 

4 octobre 2014, aux alentours de 23h. Sur le plateau de l’émission On n’est pas couché, présenté par Laurent Ruquier, Eric Zemmour, écrivain et polémiste, présente son dernier livre, Le suicide français, qui rencontre un franc succès depuis plusieurs semaines dans toutes les librairies, virtuelles comprises. Il est interpellé par l’un des animateurs de l’émission, Léa Salamé, choquée par les propos que tient l’écrivain dans son ouvrage, quand il affirme que le régime de Vichy a permis la sauvegarde des juifs français, jouant ainsi une sorte de « double jeu ».

Argument qui va donc à l’encontre de ce que Zemmour appelle « la doxa paxtonienne », défendue ici par l’animatrice. Mais qu’est-ce finalement que cette vision paxtonienne de Vichy  ? Bon nombre de spectateurs ont dû, je gage, se poser cette question.

I – Qui est Robert Paxton ?

Robert Paxton est un historien américain, né en 1932 en Virginie. Issu d’une famille bourgeoise de Lexington, Paxton effectue des études d’histoire à la Washington and Lee University, à Oxford et à Harvard.

En 1960, il s’installe à Paris pour y faire sa thèse de doctorat. Souhaitant d’abord travailler sur la formation des officiers français, il opte finalement pour une étude sur l’armée de l’Armistice (armée placée sous le contrôle de Vichy après la signature de l’armistice). C’est en consultant les archives allemandes qu’il en vient à infirmer les thèses développées par l’historien Robert Aron, qui avait publié en 1954 une Histoire de Vichy.

En 1966, Paxton sort son premier ouvrage, Parades and Politics at Vichy. The French Officer Corps under Maréchal Pétain, et devient professeur d’histoire à l’université de Columbia. Le tournant de la carrière de celui-ci apparaît en 1972, où il publie son fameux essai : Vichy France: Old Guard and New Order, paru en 1973 en France sous le titre La France de Vichy. C’est le début de ce que les historiens ont coutume d’appeler la « révolution paxtonienne ».

II – La révolution paxtonienne

Un contexte favorable

Lorsque Paxton publie son ouvrage La France de Vichy au début des années 70, il se place dans un tournant majeur de l’historiographie et de la vision d’une certaine branche de la société quant à la Seconde Guerre Mondiale.

En effet, sous la IVe République, et ensuite pendant les années De Gaulle, la question de la collaboration et de la France de Vichy est une question que l’on ne se pose pas, pour des raisons évidentes : dans les années 50-60, De Gaulle, fidèle à sa politique, diffuse en masse l’idée d’une France résistante, « résistantialiste » diraient certains, où finalement la France, la vraie, exilée à Londres, aurait été l’épée et Pétain le bouclier de la Nation (thèse d’ailleurs qui servira à la défense de Pétain lors de son procès). On aurait donc eu, pendant les sombres années de la guerre et de l’Occupation, une population française majoritairement résistante, d’une quelconque manière, à l’occupation.

Au sortir de la guerre, cette vision des choses est nécessaire : si la reconstruction matérielle du pays est achevée bien avant l’année 1950, la réconciliation nationale, les rancunes sont toujours présentes. Ainsi, présenter tous les Français comme résistants à l’occupation permet de créer une réconciliation nationale, d’aller de l’avant.

Le tournant s’opère progressivement dans les années 60. La sortie du film Nuit et Brouillard (1955) est d’ailleurs l’une des preuves de ce tournant. De plus, la fin de la France gaullienne, mai 68 crée un grand nombre de bouleversements sociaux et sociétaux, de gauche voire d’ultragauche, qui vont être également le terreau d’une nouvelle vision de l’histoire de l’Occupation et de Vichy, achevant la fin d’un idéal, d’un mythe français, incarné par De Gaulle.

Les thèses de Paxton

Robert Paxton marque donc une rupture nette avec les travaux d’Aron. Il oppose à une France résistante, à un régime de Vichy ayant joué double jeu et ayant permis le sauvetage de la quasi intégralité des Juifs français, une France de Vichy collaboratrice, qui aurait recherché d’elle-même la coopération avec le Reich victorieux, reflétant, selon Paxton, le profond antisémitisme patent de la société française. Pour ce faire, il s’appuie exclusivement sur l’analyse des archives allemandes de la guerre, mais qui ne reflètent en rien une vérité absolue, les sources concernant l’Occupation et Vichy étant quasi-inépuisables.

Une pleine collaboration d’abord, car selon Paxton, Pétain et Laval voulaient faire partie intégrante de « l’ordre nouveau » hitlérien, en lançant la « Révolution nationale ». Ainsi, lois anti-juives, arrestations pour le compte de l’occupant, STO, pillage économique du pays, se sont faits avec l’aide du régime de Vichy, sans qui, souligne l’auteur, l’occupation d’un si vaste territoire avec si peu de troupes aurait été impossible. L’idée que Londres et Vichy auraient entretenu des liaisons secrètes relèvent pour Paxton du fantasme : les rares échanges entre de Gaulle et Vichy, classés sans suite toujours selon l’auteur, en 1940, auraient été sur-interprétés par les partisans du régime après la guerre, afin de se défendre.

Une révélation enfin, car pour Paxton l’idée même de collaboration, de « Révolution nationale » vichyste, sont deux faces d’une même pièce : ils seraient l’aboutissement d’un projet ancien, que l’on ferait remonter aux grandes heures de l’Action française et aux années 30, et qui seraient en fait le révélateur d’une réaction française, antirépublicaine, antisémite, antimaçonnique, antiparlementaire, anticommuniste, anti-tout. De ce fait, pas étonnant pour l’auteur que la collaboration et l’instauration d’un statut du juif ait été mis en place par Vichy, sans pression quelconque de l’occupant, créant ainsi le mythe du fonctionnaire de police zélé.

En définitive, Paxton a une vison manichéenne de l’historie de Vichy et de l’occupation : exit la complexité de l’histoire, les rapports ambigus de Vichy avec l’occupant, avec les Alliés, bonjour la France collabo, mal absolu, un Reich bis si l’on veut. L’œuvre de Paxton eut un retentissement extraordinaire, exagéré peut-être : salué unanimement, ou presque comme on le verra, par la critique. Il reçoit en 1997 l’ordre national du mérite, la légion d’honneur en 2009.

Paxton, c’est le précurseur de la bien-pensance de gauche, qui accuse la France de tous les maux : les Français sont tous des antisémites en puissance, des collabos, des racistes. En plein dans l’élan post soixante-huitard qui marque la fin d’une époque et d’une vision de la France, l’ouvrage de Paxton collabore à la création d’une mentalité geignarde et repentante ad vitam aeternam, pour le plus grand plaisir des lobbies communautaires, qui exploitent cette tendance masochiste à l’auto-flagellation continuelle pour imposer leurs règles de pensée : c’est Bernard-Henri Lévy et son ouvrage L’idéologie française (1981), c’est Chirac s’excusant au nom de la France pour le Vel-d’Hiv en 1995, rompant alors avec la tradition de tous les présidents avant lui, de droite comme de gauche.

III – Les critiques

L’ouvrage de Paxton, bien qu’érigé en Vérité absolue par la bien-pensance de gauche, symbolisée notamment par la loi — ô combien contestable — Gayssot-Fabius, a été critiqué par un certain nombre d’historiens de la période, et par des non-historiens également, tous plus ou moins passés sous silence. Les critiques sont de plusieurs ordres, voyons-en quelques-unes à titre d’exemple.

Paxton, moralisateur de gauche

Robert Paxton avait tout pour faire le parfait historien de Vichy : n’étant pas Français d’origine, il pouvait avoir un certain détachement, un recul qu’un Aron ne pouvait avoir. De même, n’étant pas juif proclamé, il n’était pas soumis à une certaine émotion partagée avec ses coreligionnaires ­— argument que l’on peut nuancer, sachant que des historiens juifs, comme Alain Michel, ont largement contribué à la réhabilitation partielle de Vichy et à la critique du manichéisme paxtonien.

Pourtant, l’un des reproches que l’on peut faire à Paxton, c’est bien son côté moralisateur, son parti-pris évident, qui selon certains ne pourrait lui être reproché, puisque la majorité se trouve être d’accord avec le fait que la période étudiée par Paxton oppose les gentils aux méchants, et que les catégories ne sont pas interchangeables.

Paxton se revendique de gauche, la gauche des campus américains des années 60, opposée à la guerre au Vietnam notamment, et s’inscrivant dans un courant de résurrection de la mémoire de l’Holocauste, à un moment où s’affirme, au Moyen-Orient la suprématie israélienne sur ses voisins et le soutien de plus en plus affirmé des Etats-Unis envers cet Etat à la suite de la guerre des Six-Jours. [1]

Ce côté moralisateur de Paxton se retrouve dans ses propos, tenus notamment dans La France de Vichy : outre le procès d’intention attenté par l’auteur au peuple Français, hormis les Juifs, on note l’emploi d’adjectifs péjoratifs discutables dans un ouvrage scientifique : Paxton parle de « l’odieuse milice », explique que les jeunes français rejoignaient lesdites milices « par fanatisme » plus que par crainte du STO (le contraire ayant été démontré notamment par Marc Ferro, auteur d’une biographie de référence du Maréchal Pétain).

La non prise en compte du contexte

Dans sa biographie de Pétain, Marc Ferro, que nous avons déjà cité, revient sur les propos de Paxton concernant la résistance. Selon Ferro, Paxton focalise son argumentation sur l’interprétation des chiffres, uniquement donnés par des archives allemandes, sans tenir compte du contexte historique à proprement parlé. Ainsi, pour reprendre l’argument précédemment évoqué de la milice, Paxton affirme : « Environ 45 000 volontaires s’engagent en 1944 dans l’odieuse Milice, en partie peut-être pour échapper au STO, en partie par fanatisme, en partie aussi pour aider à défendre « l’ordre public ». Si l’on y ajoute les effectifs de police et la garde militaire, il est vraisemblable qu’en 1943-1944 il y a autant de Français travaillant à écraser le désordre que de résistants. Presque toute la population veut être débarrassée des Allemands mais pas au prix de la révolution. »[2]

Ferro critique ces propos : « Laissons ces chiffres, pris aux Archives, mais qui n’ont aucun sens : tous les Français qui résistent ne résistent pas nécessairement dans un réseau ou une unité enrégimentée… Un paysan ou un fonctionnaire qui aide des résistants ne figure pas sur les rôles des réseaux ni des unités militaires de la Résistance. Surtout, ce que la plupart redoutent, ce n’est pas la révolution : c’est d’être fusillés par les Allemands. [...]», ceci expliquant, d’après lui, l’attentisme des Français et même une certaine hostilité aux résistants : « [...] beaucoup espèrent être libérés sans avoir à recevoir des coups. Mais ces attentistes sont cent fois plus nombreux que ceux qui sympathisent avec la Milice. Ce qui ne les empêche pas de continuer à aimer Pétain, qui les comprend et applique le mot d’ordre de Verdun : attendre avant de sortir le nez de son trou. Le feu tue. ».

En fait, Paxton veut tellement démontrer la véracité de sa thèse, c’est à dire la collaboration pleine, entière et consentante de Vichy avec l’Allemagne, qu’il en vient à minimiser, voire occulter le rôle de l’occupant, de la contrainte et de la pression que subit le régime de la part des Allemands.[3] On peut, pour conclure cette partie, reprendre une autre citation de Ferro : « Robert Paxton finit par ne plus voir la mesure de la terreur nazie en France, surtout en 1943-1944, ni aider à expliquer les équivoques de la politique de Vichy. [...]»

Le sort des Juifs en zone libre

C’est le sujet polémique, avec les autres, de l’essai d’Eric Zemmour. Selon ce dernier, s’appuyant sur les travaux d’Aron et surtout d’Alain Michel[4], Vichy, par une politique de « préférence nationale », aurait permis de sauver 95% des Juifs français, c’est-à-dire de nationalité française, livrant cependant les juifs résidants du Reich, exilés en France. Cette thèse ne va pas forcément à l’encontre de Paxton, qui n’a pas réellement infirmé cette thèse, mais qui ne l’a pas affirmé non plus, préférant masquer cette lacune sous le masque de l’antisémitisme.

Dire que le régime de Vichy était un régime antisémite, qui a effectivement mis en place des lois et un statut du juif, est une évidence, comme le rappelle Léon Poliakov ou Alain Michel. Cependant, rappelons qu’au-delà du juif, il y a, pour Vichy, le citoyen Français, et qu’il était hors de question de livrer un citoyen français, fût-il juif, aux autorités allemandes. Par un habile jeu de chat et de la souris, Vichy parvient à faire trainer dans les temps les démarches d’arrestations exigées par les Allemands, jusqu’en 1944, date de l’invasion de la zone libre par les troupes d’occupation.

De même, il convient de rappeler également que des juifs français ont collaboré à l’arrestation des juifs étrangers, notamment lors de la fameuse rafle du Vel d’Hiv : l’historien Maurice Rajsfus, montre dans son ouvrage Des juifs dans la collaboration : l’UGIF, 1940-1944, que les listes des personnes à arrêter ont été fournies par les élites juives françaises, à savoir l’UGIF — Union Générale des Israélites de France —, aujourd’hui le CRIF.

IV – Conclusion

Aujourd’hui, Robert Paxton est définitivement périmé. Les remises en cause de ses thèses sur Vichy trouvent de plus en plus d’échos au sein de la population et parmi les historiens de la période. Il est vrai que Paxton a permi de faire avancer la recherche historique sur la France de Vichy, en particulier par la critique de ses thèses. Si, à la base, la démarche de Paxton est une entreprise de bonne foi, le jugement moral qu’il mêle à son argumentation l’éloigne profondément du travail de l’historien véritable, qui se doit d’être le plus impartial possible.

La critique de Zemmour à l’égard de Paxton est-elle pour autant justifiée ? Reprenons l’analyse qu’en fait l’historien François Delpa sur le site Hérodote.net : Pour lui, la vérité ne se trouve ni chez Paxton, ni chez les auteurs cités par Zemmour. Si la thèse de Paxton est effectivement vieille de quarante ans, les auteurs cités par Zemmour ont tous disparus aujourd’hui. De plus, des sources citées par Delpa affirment qu’effectivement, Vichy aurait pris des libertés concernant les rafles de Juifs, sans l’accord des autorités allemandes, contrairement à ce qu’affirme Zemmour. En revanche, il n’est pas vrai non plus que Vichy jouait la carte de la pleine collaboration avec les Allemands et mettait « du cœur à l’ouvrage », l’opposant de manière stricte à ceux qui ont eu le courage de cacher des Juifs :

« Titulaires ou non par la suite de la médaille des Justes, les Français qui ont donné un coup de main dans le sauvetage savaient que les autorités qui auraient pu s’y opposer n’y mettaient pas, du gendarme au ministre, autant de zèle que l’occupant, sinon sous une pression nazie directe ou avec l’espoir, à certains moments, d’obtenir quelque avantage en flattant les lubies raciales de cet occupant.

Pétain l’impuissant n’a pas mis en sécurité le moindre Juif ; il n’a jamais fait que marchander en position inférieure, jouer avec des dés pipés par l’adversaire et accumuler des choix scabreux à visée immédiate. » [5]

Nicolas Champion

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[1] FINKELSTEIN Norman, L’industrie de l’holocauste, Paris, éditions La Fabrique, 2000, 157p.

[2] PAXTON Robert, La France de Vichy, Paris, Seuil, p.343

[3] C’est en tout cas la thèse de l’historien Pierre LABORIE, dans une conférence donnée à Lyon en 2006, appelée Histoire et mémoires de Vichy et de la Résistance.

[4] MICHEL Alain, Vichy et la Shoah – Enquête sur le paradoxe français, Paris, CLD, 2012, 405p.

[5] DELPA François, Vichy : l’élève Zemmour peut mieux faire ! , publié le 27 octobre 2014 sur Hérodote.net

 

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