La Plume parcourt le Net

France – Liban : Une diplomatie de guingois… Par Richard Labévière

25 décembre 20140
France – Liban : Une diplomatie de guingois… Par Richard Labévière 5.00/5 5 votes

Publié le : 22 décembre 2014

Source : espritcorsaire.com

Lancée à grands coups de menton lors de la dernière conférence des ambassadeurs (25-30 août 2014), la « diplomatie économique » de notre pays n’est plus vraiment d’actualité. Nos Excellences ont même reçu l’ordre de leur ministre de ne plus employer publiquement cette expression, l’heure étant davantage à la « diplomatie hôtelière », voire à la « diplomatie gastronomique ». Grandiose ! Il faut dire qu’en la matière, l’Elysée et le Quai d’Orsay se sont littéralement couverts de gloire avec l’affaire du Mistral. C’est bien la première fois dans toute l’histoire du commerce des armes qu’un contrat aura été ainsi annulé pour des raisons politiques. La pathétique histoire des vedettes de Cherbourg (Noël 1969) – que les services israéliens sont venus volés à notre barbe -, relève d’une toute autre logique…

Quoiqu’il en soit, cette gestion désastreuse de la vraie-fausse livraison de l’un des fleurons de DCNS à la Russie risque de compliquer singulièrement le dossier de la vente du Rafale en Inde. En effet, si officiellement nos partenaires russes sont restés très magnanimes, en sous-main, ils proposent aux Indiens leurs derniers Sukhoï à des prix susceptibles de pulvériser notre bel avion national.

Une République sans Président

En janvier 2015 au Liban, devraient commencer les premières livraisons de matériels français pour « moderniser » l’armée locale (après deux ans de tergiversations liées aux éternelles commissions et rétro-commissions), grâce au fameux cadeau de trois milliards de dollars du roi d’Arabie saoudite. Heureusement que l’Iran a proposé d’ouvrir gracieusement ses stocks d’armements aux responsables libanais… sinon nous en serions toujours à établir des listes improbables de matériels vieillissants dont les Libanais n’ont que faire…

Mais il y a mieux ou plus inquiétant, selon l’angle de vue. Dans un contexte régional des plus volatiles qui voit le conflit syro-irakien déstabiliser quotidiennement les autres pays de la région, le Liban est toujours sans président de la République, depuis 300 jours environ. Chargé d’élire ce président chrétien, le parlement libanais reste verrouillé par l’opposition des deux coalitions « 14 mars » contre « 8 mars ». Régulièrement réapparaît une short-list avec quatre noms : Samir Geaga (le serial killer de la guerre civile 1975-1989), le général Michel Aoun (allié au Hezbollah), Amine Gemayel (qui fût déjà un président très médiocre de 1982 à 1988) et le jeune Sleiman Frangieh (le chef des Marada, les Chrétiens du nord, allié du général Aoun), jouissant d’une réelle expérience ministérielle et d’une vraie reconnaissance interconfessionnelle. Restent les candidatures par défaut : celle du patron de la banque nationale et du chef de l’armée. Deux sémantiques recouvrent ce vrai clivage politique : celle d’un président dit « consensuel », c’est-à-dire « faible » et issu obligatoirement des rangs du 14 mars contre celle d’un « président fort », à même de pouvoir parler aux Syriens, au Hezbollah et aux Saoudiens.

Depuis plusieurs mois, la diplomatie française a opté pour la solution du « président consensuel ». A cet égard, il fallait voir notre ambassadeur à Beyrouth faire chorus avec les ténors du 14 mars au dernier Salon du livre, à l’unisson avec toute la droite libanaise – lors du 90ème anniversaire du quotidien L’Orient-le-Jour, (la Pravda du 14 mars) – pour se convaincre que la France avait encore choisi le mauvais camp, en tout cas celui du blocage. En effet, dans son obsession à vouloir absolument dégommer Bachar al-Assad, Paris continue à épouser, sans discernement, les positions de Riyad et d’Ankara. Par conséquent, pas question de favoriser l’élection d’un président libanais, peu ou prou proche du 8 mars, et susceptible de parler aux Syriens. « Une diplomatie de guingois », pour reprendre une expression prisée par Laurent Fabius soi-même. Dommage, parce qu’il y aurait eu une vraie carte à jouer pour sortir de la crise…

Paris s’entête dans le mauvais choix.

Partant d’une situation où les candidatures Geagea/Aoun s’annulent mutuellement, où celle d’Amine Gemayel apparaît tout à fait grotesque, le « plan B » revenait naturellement à la solution Sleiman Frangieh ; une solution qui ne présente que des avantages : un président en phase avec la Syrie et le Hezbollah, mais qui peut parler aussi à Walid Joumblatt (pivot de la classe politique libanaise) ainsi qu’à de nombreux princes saoudiens que Frangieh n’a jamais insulté. On est en Orient et le facteur personnel est ici essentiel. Mais par dogmatisme idéologique, Paris continue d’écarter cette solution !

Pire, le Quai vient d’envoyer l’un de ses plus hauts fonctionnaires à Beyrouth auprès de Sleiman Frangieh pour lui demander… de convaincre le général Aoun de renoncer à la présidence ! Affligeant de méconnaissance, sinon de bêtise… Cette diplomatie de guingois continue de faire perdre à notre pays les belles positions qu’il occupait dans cet Orient compliqué, sans parler de nos intérêts économiques et culturels dont les protagonistes – aussi très de guingois -, semblent se soucier comme d’une guigne…

Sur quel ton dire à nos chères excellences que la finalité principale d’une diplomatie consiste à défendre, sinon à promouvoir les intérêts nationaux qu’elle est censée ne jamais perdre de vue ? Est-il devenu indécent, justement, de parler et de revendiquer la défense, sinon la promotion, des « intérêts de la France » ? Les « Occidentalistes » et l’école néoconservatrice française – qui gère actuellement le ministère des Affaires étrangères – considère que la solidarité occidentale (avec les Etats-Unis s’entend) est plus importante que les intérêts spécifiques de la France. Dans cette perspective autant fermer le Quai d’Orsay ! Mais que nos dirigeants y prennent bien garde : un jour, ils devront rendre des comptes et expliquer à la Nation les raisons « supérieures » de cet abandon criminel…

Richard Labévière

EmailPrintFriendlyBookmark/FavoritesFacebookShare

Mots clés : , , , , , , , , , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*