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Avec Vincent Lambert, combien de Français sur un siège éjectable ? Par Gabrielle Cluzel

25 juin 20140
Avec Vincent Lambert, combien de Français sur un siège éjectable ? Par Gabrielle Cluzel 5.00/5 5 votes

Publié le :  25 juin 2014

Source : voltaire.fr

Le Conseil d’État a tranché : pour Vincent Lambert, ce sera la mort. Que rajouter ? On a le sentiment que tout a été dit.

Souffrance. Souffrance familiale indicible, insondable par ceux qui n’ont pas traversé la même épreuve.

Sincérité. Sincérité des uns et des autres, que l’on confond souvent à tort – parce qu’elle en a le visage franc – avec la vérité.

Amour. Amour irréductible et viscéral d’une mère envers celui qui reste, pour elle, ce qu’il était : son petit, contre amour douloureux et épuisé d’une femme envers celui qui n’est plus, pour elle, ce qu’il était : son mari. Il faudrait un Corneille, ou un Mauriac, pour en tirer les mille fils.

Paradoxe. Paradoxe du mot « pauci-relationnel », à la frontière d’un état et de son contraire mais qui permet de justifier dans tous les cas la mort. Vincent Lambert doit mourir car il n’est plus qu’un légume. Vincent Lambert doit mourir car il en a exprimé le désir à de petits signes. De deux choses l’une, il faut choisir, non ? Pascal avait inventé le roseau pensant, voici donc le légume pensant ?

Confusion. Confusion entre alimentation et soin médical. Un tweet ironique circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux : « Ce soir, je paie mes courses avec ma carte vitale ! »

Oui, tout a été dit sur Vincent Lambert, mais pas sur le précipice vertigineux qui se cache derrière cette porte que l’on vient d’enfoncer au bélier. « Des familles craignent une jurisprudence Vincent Lambert », titrait mardi Le Figaro. Ils ont mille fois raison de craindre, et plus que ça encore.

Vincent Lambert ne guérira pas. Il ne retrouvera pas un état réel de conscience. On va donc le laisser mourir en cessant de l’alimenter. Ce sera plus digne.

Mais alors… si la trinité « conscience, curabilité, dignité » est maintenant une condition sine qua non pour vivre, si l’alimentation assistée est désormais de l’acharnement thérapeutique, combien de Français sont sur un siège éjectable ?

Les « 1.700 traumatisés crâniens, cérébro-lésés en état pauci-relationnel ou de conscience altérée » dont parle Le Figaro, mais pas seulement. En tête, les Alzheimer. Grand Dieu, s’ils se voyaient. Ils ont été jeunes, ils ont été beaux, ils ont été intelligents. Ils ont à présent le regard vitreux, ne reconnaissent plus ni conjoint, ni enfants, les uns sont prostrés dans un fauteuil ou inertes dans leur lit, un filet de bave coule parfois le long de leur menton, les autres sont agités, fuguent, éructent, se déshabillent, défèquent même dans les couloirs. Croyez-vous qu’ils aimeraient l’image qu’ils renvoient, s’ils étaient lucides ? Croyez-vous qu’ils guériront un jour ? Croyez-vous que pour leur famille ce n’est pas un calvaire ? Un petit sédatif, et hop, fermons doucement la porte, tirons le verrou et partons sur la pointe des pieds. Chut, en silence, ils ne se rendront compte de rien. Plus de becquée, plus de perfusion, ils s’éteindront à petit feu. Dans une dignité retrouvée.

Viennent ensuite les SDF que les épreuves et l’alcool ont rendus fous. Les dégâts cérébraux sont irrémédiables. Tiens, il y en a un en bas de chez moi, couvert de crasse, une odeur pestilentielle, si vous l’approchez, il vous frappe. Dire que sa conscience est altérée est un euphémisme. Il ne reconnaît personne, ne parle que pour agonir d’injures, et traite de salope jusqu’aux fillettes de maternelle. Le reste du temps, sous sa couverture, on croirait un cadavre. Il veut mourir, d’ailleurs, on le voit bien à son refus de quitter la rue même par grand froid. Si l’adolescent qu’il était autrefois se voyait… Laissons-le donc mourir doucement, un soir de gel. Faisons un grand détour, et n’appelons surtout pas les pompiers. Il sera plus digne mort que vivant.

Et puis après, à qui le tour ?

Gabrielle Cluzel

NDLR : Après la mise en ligne de cet article, la CEDH a demandé la suspension de l’arrêt Vincent Lambert.

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