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Du shit dans les fleurs – Par Io Froufrou

13 avril 20130
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Publié le : 11 avril 2013

Source : froufroudanslesfeuilles.blogspot.fr

Mardi matin, 8h30, entrée en scène: mes élèves m’attendent dans la cour avant, les premiers sont rangés sagement, comme d’habitude. Les derniers s’effilochent en rang chiffonné, encore tout absorbés par leurs conciliabules.

Et voilà Yasmine qui s’avance vers moi et qui me susurre de sa voix fluette: « Bonjour maîtresse, regardez ce que j’ai trouvé ».

Elle m’ouvre la paume de sa main et je m’attends à y découvrir un oiseau blessé.
Au lieu de ça, je vois un petit sachet transparent rempli d’une chose brunâtre et filandreuse.

J’ai juste le temps de lui faire expliquer qu’elle est tombée nez-à-nez avec sa trouvaille en se penchant dans les toilettes pour refaire son lacet. La chose se trouvant installée sur la tuyauterie basse arrière. Pas question d’ameuter toute la classe lâchée ainsi en vrac au-dehors, encore sous le nez des parents qui nous regardent, de derrière la grille.

Le petit sac de substance brune a été déposé chez la directrice, justement en train de se battre pour répartir deux classes non-remplacées, dont les maîtres sont malades. Elle a de quoi s’occuper pour la matinée.

Alors, une fois installés dans les règles, j’explique. Les gosses sont surexcités. Ils veulent des détails. Faute de mieux, ils inventent déjà et imaginent des gros bras en train de fondre sur des malfrats, coincés en flag dans les toilettes de l’école. Yasmine est regardée avec des yeux neufs, chargés d’envie.
Elle a trouvé de la drogue!

Gorgés de rêves brutaux, on se met au travail. Proportionnalité, règle de trois, usages subtiles du passé simple. Conjugaison de conquérir…

Ce matin, jeudi, 8h30, entrée en scène quelque peu comateuse. Je tiens une solide crève et la journée promet d’être un peu longue.

Mes élèves m’attendent dans la cour avant. Comme d’habitude, Dragan me salue poliment et me parle de son chat. Drissou me lance un bonjour franc un peu gouailleur. Comme toujours, Robin, Rayane et Enzo traînent en voiture balai et les demoiselles sont attroupées autour d’invitations à un anniversaire.

Yasmine range son enveloppe et s’avance.

« Bonjour maîtresse, regardez ce que j’ai trouvé. »

Et sa paume confiante s’ouvre sur le même sachet.

« J’étais assise sur le banc là-bas et comme mon cartable était lourd, j’ai basculé en arrière dans les plantes. C’est comme ça que je l’ai trouvé ».

Yasmine aurait-elle un don pour repérer les semailles des dealers?

Pendant les deux récréations, les gosses ont joué à chercher de la drogue. Ils s’amusaient beaucoup. Et puis quoi ! Pas de raison que ce soit toujours Yasmine qui trouve !

Notre école est ouverte aux quatre vents. Il a fallu se battre des années pour obtenir que les créneaux arrondis dans le muret qui la sépare de la voie piétonne soient obturés. Le rosier que j’avais planté et qui nous protégeait un peu a été ratiboisé par les jardiniers de la ville. Trop sauvage. Des marginaux alcooliques venaient pisser contre sous le nez des gosses et ils balançaient dans la cour des bouteilles vides et des canettes. La grille est symbolique. D’ailleurs, les parents en retard ne s’encombrent pas de scrupules et passent leurs mouflets par dessus bord pour s’en aller travailler tranquilles.

C’est beau l’ouverture sur le monde.

Io Froufrou

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