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Euthanasie : l’acharnement législatif – Par A. et J.-F. Roseau

16 mars 20131
Euthanasie : l’acharnement législatif – Par A. et J.-F. Roseau 5.00/5 4 votes

Publié le : 15 mars 2013

Source : causeur.fr

De la vie solidaire à la mort solitaire

Depuis la publication du rapport Sicard en décembre 2012, les débats sur une éventuelle dépénalisation de l’euthanasie s’étaient faits plus discrets, rapidement relégués à l’arrière de la scène médiatique par le mariage pour tous. Mais les Français aiment trop se quereller sur des sujets d’éthique pour s’en tenir à cette unique réforme. Gageons que l’actualité des prochains mois ouvrira les vannes d’un débat animé.

La récente sortie du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), à travers un texte rendu public à la mi-février, ravive la question soulevée par la vingt-et-unième proposition du programme de François Hollande. En tant qu’étudiants en médecine et en sciences politiques, et comme tout jeune concerné par l’avenir éthique et social et de la France, nous avons cru devoir exprimer notre opposition à toute forme d’euthanasie dite « active » et à l’aberration du suicide assisté.
L’assistance médicalisée pour la fin de vie – euphémisme maladroitement utilisé pour occulter une réalité que les commissions n’ont pas l’audace de nommer simplement l’assistance médicalisée pour la mort, donc, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, marque une étape majeure dans la résurrection d’un État tout-puissant auquel incomberait le droit de dire qui peut ou ne peut pas mourir, conformément à sa conception singulière, devenue absolue, de la dignité humaine.
Cette intuition explique en partie l’adoption d’un texte par le Conseil de l’Ordre qui, de peur d’être dessaisi d’un dossier engageant l’avenir de chaque médecin, a compris qu’il devait jouer son rôle. Il est certaines questions qu’on ne peut décréter à la majorité et dont le traitement appartient légitimement à ceux qui sont les mieux placés par l’expérience de leur profession. L’euthanasie ne se joue pas dans les salons de l’Assemblée nationale, mais plus prosaïquement dans l’étroitesse d’une chambre d’hôpital. Face à certains sujets, démocratie et transparence ont tôt fait de montrer leurs limites. Non pas qu’il faille confisquer à l’opinion publique la délicate question de l’euthanasie, mais celle-ci, par les nuances qui la composent, exige d’être posée de manière concertée entre ceux qui savent et ceux qui décident. Ce n’est certainement pas au travers de sondages qu’on doit mesurer la nécessité d’une telle loi. Ou alors, pour pousser l’humour noir jusqu’à la froideur statistique des études d’opinion, mesurons sans tarder la cote de popularité dont jouirait une faucheuse sur commande !

La politique a pour objet les conditions du vivre-ensemble, et non du mourir-assisté. Quant aux lois, elles demeurent l’expression générale d’une volonté portant sur des cas généraux. Évidemment, personne ne veut souffrir. À juste titre, l’opinion publique s’est laissée fortement impressionner par des situations exceptionnelles ayant bénéficié d’un très large écho médiatique. Mais, au-delà de la compassion, il entre un peu d’irresponsabilité dans l’idée qu’on puisse confier à d’autres, à la demande, la tâche d’abréger ses souffrances. On ne légifère ni avec des affects, ni avec des peurs.

Dans son premier constat, le Conseil de l’Ordre rappelle qu’il existe depuis 2005 une loi répondant efficacement à la majorité des cas. En proscrivant l’acharnement thérapeutique, la loi Leonetti traduit la volonté du corps médical d’accompagner dignement les derniers jours d’un patient sans franchir le pas définitif – moralement fragile et socialement dangereux – de l’euthanasie. Le rapport Sicard aura beau bâtir des distinctions spécieuses entre mort et fin de vie, suicide et mort volontaire, accompagnement et complicité, il s’agit bel et bien de donner la mort. L’Ordre des médecins réaffirme ainsi son attachement à la loi Leonetti et encourage sa promotion massive auprès des soignants et de l’opinion. Garde-fou aux dérives possibles de l’euthanasie, cette loi permet d’articuler deux phrases majeures du serment d’Hippocrate : « Je ne prolongerai pas abusivement les agonies » et « je ne provoquerai jamais la mort délibérément ».
D’après le même rapport Sicard, la légalisation de l’euthanasie ferait l’objet d’une « revendication très largement majoritaire » portée par plus de 80 % de la population. Face à l’argument du nombre, nous constatons qu’un tel mouvement traduit non seulement un abandon de responsabilité au profit des pouvoirs publics, mais manifeste surtout un changement radical dans la perception de la vie humaine et des rapports sociaux. Au lieu de prendre ces chiffres pour argent comptant, mieux vaudrait diagnostiquer une pathologie collective. Le vrai problème, à notre sens, réside principalement dans la solitude profonde qui entoure les mourants. « Penser solidairement la fin de vie », le titre du rapport dégage une amère ironie quand on conçoit que c’est précisément une crise de solidarité qui nous amène aujourd’hui à prendre au sérieux la dépénalisation de l’euthanasie. Dans les années 1970, le sociologue Norbert Elias décrivait déjà ce symptôme social plus que pathologique de l’abandon généralisé où se tient l’agonie des mourants.

Pour que ce terme d’agonie ne perde pas son sens originel – celui d’une lutte ultime et courageuse contre la mort -, il faut considérer qu’elle se vit à plusieurs, dans l’accompagnement familial et social, plutôt que dans l’isolement sordide de mouroirs institutionnalisés. Cet argument fait peur. Le temps presse, coûte cher et, comme l’écrit François Hollande au professeur Sicard, les familles ne « sont plus toujours en capacité d’assister leur proche ». Nos vieux sont un fardeau, un phénomène qu’une administration cynique pourrait ajouter à la longue liste des éléments parasites et chronophages ! C’est donc, au premier chef, la responsabilité des familles, enfants et parents confondus, et celle du corps social dans son ensemble, qu’il s’agit de promouvoir hic et nunc en arguant d’un thème aujourd’hui à la mode : « la solidarité des générations ». À en croire certains, ce thème ne relève apparemment plus du bon sens le mieux partagé. Quant aux malades incurables, est-ce à la collectivité de dire qu’ils peuvent mourir ? Est-ce aux médecins d’administrer la mort ? La revendication d’une clause de conscience suffit à démontrer les failles de ce projet.
De fait, la place qu’occupe aujourd’hui la question de l’euthanasie révèle surtout les vices d’une société où les malades éprouvent douloureusement le poids de leur présence. De leur sur-vie, pourrait-on dire. Ce n’est pas d’une aiguille qu’ont besoin les mourants, mais d’une main cramponnée à la leur.

Que les familles se chargent d’honorer leurs parents jusqu’à la déchéance pour qu’elle n’en soit plus une. C’est uniquement dans le regard des autres que le patient s’éteindra avec dignité, pas sous les néons glauques d’une salle dédiée aux séances d’injection létale.

Nous n’ignorons pas qu’une éventuelle légalisation de l’euthanasie ne concernerait pas exclusivement les personnes âgées. Mais, dans les faits, elles représentent la part majoritaire des cas visés par le dispositif. Développons les infrastructures ! Apaisons les souffrances ! Garantissons à tous la dignité du soin ! Il y a déjà tant à faire de ce côté. Quand bien même il vous en prierait courtoisement, on ne pousse pas un mourant dans l’escalier. Même en fermant les yeux.
Sommes-nous prêts à voir émerger dans les hôpitaux des lieux consacrés au suicide ? Imagine-t-on de demander à d’autres le droit de mourir au risque de voir sa requête rejetée ? A-t-on conscience des risques et des dérives encourus par des individus déjà fragilisés par les effets de la maladie ?

La balance penche bien trop du côté des méfaits potentiels ou réels pour que nous puissions reconnaître la nécessité de cette loi. Ce n’est pas hypocrisie, mais bon sens de reconnaître que le rôle de l’État a des bornes. N’oublions pas que nos prédécesseurs ont tout fait pour soustraire à l’instance publique le droit de vie et de mort sur chacun. Ce n’est pas pour le lui redonner aujourd’hui sous l’impulsion de nos angoisses. Ne créons pas, sans le vouloir, les conditions d’une mort planifiée déléguée au pouvoir. Et pour finir sur ce degré suprême d’intervention du politique dans la sphère privée, dernier rempart de liberté individuelle, nous emprunterons à Balzac l’expression de son étonnement face à un risque qui nous guette : « Je ne savais pas que la bureaucratie pût allonger ses ongles jusque dans nos cercueils. »

A. et J.-F. Roseau,  étudiants en médecine et en affaires publiques (Paris VII-Diderot et Sciences Po Paris).

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Une réponse pour Euthanasie : l’acharnement législatif – Par A. et J.-F. Roseau

  1. PaulPierra le 19 mars 2013 à 12 h 25 min

    Nous sommes les parents d’Hervé Pierra. Notre fils est resté plongé pendant 8 ans ½ dans un coma végétatif chronique irréversible, à l’âge de 20 ans, suite à une tentative de suicide par pendaison. Il était figé dans une grande rigidité, paralysé à 100%, inconscient, trachéotomisé et nourri par sonde gastrique. Il s’étouffait chaque jour, depuis le début de son calvaire, dans ses propres glaires, entrainant de récurrentes et éprouvantes régurgitations. Affecté de problèmes pulmonaires persistants à cause de la présence de bactéries multi-résistantes, il était placé très souvent en isolement. Sa position fœtale, ses attitudes viciées et le fait de n’être jamais déplacé, avaient provoqué une plaie atone grave (escarre au 4 ième degré). Il est décédé en novembre 2006, après notre requête d’application de la loi Léonetti. Ce parcours, semé d’embûches, a duré 18 mois. Les plus hautes instances politiques et médicales de l’époque étaient intervenues pour faire infléchir le corps médical. Le comité d’éthique de Cochin avait donné son aval ainsi que le docteur Régis Aubry (missionné par Jean Léonetti).
    Après le retrait de la sonde gastrique, notre fils est mort en 6 jours cauchemardesques, sans aucune sédation, brûlant, cyanosé et faisant des bonds dans son lit, comme électrocuté. Il s’agit, dans notre cas, qui a été médiatisé, d’un « laisser crever », comme l’a écrit Monsieur le député Jean Léonetti dans son livre « à la lumière du crépuscule ». Les médecins avaient eu peur d’être accusés d’euthanasie si notre enfant avait été sédaté et surtout si son décès était intervenu trop rapidement.
    Notre drame, parfaite illustration d’un fiasco, de bout en bout, se résume en quelques mots : souffrance, incompréhension, injustice, impuissance, effroi, anéantissement, combativité et amour.

    Le 8 février 2013, le Conseil national de l’Ordre des médecins s’est prononcé en faveur d’une évolution de la législation sur la fin de vie en France en envisageant pour la première fois le recours à une sédation terminale dans des « situations exceptionnelles ». Ils évoquent exclusivement les cas de personnes lucides qui réitèrent leurs requêtes pour être délivrées en phase terminale de maladies incurables. Les grands oubliés de toutes ces délibérations sont à nouveau les patients en état végétatif chronique irréversible qui eux, ne pouvant pas s’exprimer, ne bénéficieront donc pas d’un recours à une sédation terminale, n’étant pas estimés en situation exceptionnelle.

    Nous vous soumettons avec humilité et respect, quelques questionnements ou quelques pistes de réflexions pour aider à cheminer dans le débat sociétal sur la fin de vie qui va, prochainement s’instaurer :

     Le constat : A peu près 2000 personnes se trouvent à l’heure actuelle, en France, en état végétatif chronique. Ce chiffre, avec les progrès de la technologie médicale, va être en constante augmentation, qu’il s’agisse de personnes qui font des accidents vasculaires cérébraux très graves ou des accidentés de la route et notamment les jeunes gens en deux roues.

     Que faire ? : Faire appliquer la loi Léonetti (c’est-à-dire, laisser mourir le patient de faim et de soif, en plusieurs jours, avec un accompagnement). Pourquoi refuser « réparation » à ces victimes collatérales des progrès de la réanimation moderne en ne pratiquant pas une aide active à mourir ? Il est normal et légitime de tout tenter pour faire revenir à la vie une personne inconsciente, en arrêt cardio ventilatoire, mais après…, après…, quand les IRM attestent que les lésions cérébrales sont telles que seule une vie végétative se profile, que faire ? Il n’y a pas de tuyaux à enlever, de machines à débrancher…, on ne peut plus revenir en arrière, seul le corps survit, de façon autonome. Ces calvaires peuvent durer des années et des années. Des médecins formidables, tenaces et débordants d’humanité, comme le professeur Louis Puybasset, essaient de mettre en place des « scores » par des IRM recoupées et autres méthodes et investigations, pour établir des diagnostiques précoces. Ces protocoles permettraient de réagir très vite, en phase de réanimation, pour éviter en quelque sorte, des drames comme celui qu’a vécu notre enfant. A ce jour, cette solution est néanmoins expérimentale.

     Quel espoir de retour « à la vie » ! :
    Les médecins distingueraient :
    - Les états végétatifs chroniques, consécutifs aux traumatismes crâniens, dont on peut sortir.
    - Les états végétatifs chroniques irréversibles consécutifs à des anoxies du cerveau dont on ne sort pas.

     Quelques questions et réflexions sur la loi Léonetti :
    - La décision finale de l’application de la loi appartient aux médecins, qu’il y ait ou pas rédaction des directives anticipées.
    - Dans la notion d’obstination déraisonnable, chaque médecin place le curseur de la raison ou il veut.
    - Le climat entre médecins peut être conflictuel, ce qui ajoute de la souffrance à la souffrance de la famille.
    - La sédation peut durer plus ou moins longtemps. On ne meurt pas de faim et de soif en quelques jours. Quelques cas médiatisés dont le nôtre ou l’affaire Koffel, mettent en exergue la frilosité de certains médecins qui, par crainte d’être accusés d’euthanasie, si les décès interviennent rapidement, laissent se prolonger d’effroyables agonies. La frontière si ténue entre le licite et l’illicite aboutit à ces terrifiantes aberrations.
    - La loi Léonetti stipule que la sédation est en place pour soulager la douleur et non pour accéder à la mort. Or, pour ce qui concerne les états végétatifs, cela est faux ! Notre fils, n’était pas plus mal, ou aussi mal, 2 jours, 6 mois ou 8 ans auparavant. L’intention était donc bien là, euthanasique. Pourquoi, alors ces agonies longues et douloureuses, quel sens leur accorder ?

     Quelques questions et réflexions générales :
    - La vie biologique est-elle la vie ?
    - Pourquoi, mourir devient-il un droit à revendiquer puisque la mort s’inscrit légitimement dans la vie ?
    - Pour sacrifier à l’illusion d’une non euthanasie, on voit émerger une forme de « maltraitance institutionnalisée ». Celle-ci est dénoncée par Monsieur Philippe Bataille, sociologue, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, auteur du livre « à la vie à la mort ». Il relate le cas édifiant, entre autres, d’un prématuré non viable auquel on a appliqué la loi Léonetti (laisser mourir de faim et de soif) alors qu’avant, il aurait aidé à mourir en paix et en toute humanité.
    - Comment peut-on se dire qu’après tout, l’euthanasie est déjà une réalité dans nos hôpitaux…, alors à quoi bon légiférer ! Comment peut-on accorder « force de loi » à la clandestinité, en risquant par ailleurs, des dérapages dans un sens ou dans un autre ?
    - Pourquoi, opposer aide active à mourir et soins palliatifs ?
    - Pourquoi, dans notre république laïque, écoute-t-on autant l’église ? Où en est la séparation de l’église et de l’état ? Comment les gens d’église peuvent-ils prôner une « mort naturelle » comme seule issue à une « vie artificielle » ? Le principe fondateur de notre société : « Tu ne tueras point ! », est abusivement et éhontément argué pour fermer la porte à tout débat. La compassion n’est pas « un homicide volontaire » ! C’est l’institution (c’est-à-dire l’homme) qui, en décidant que la mort n’est pas autorisée, se substitue à Dieu et condamne à des doubles peines : celle de ne plus pouvoir vivre et celle de ne pas avoir le droit de mourir.
    - Peut-on croire que l’on fasse preuve de courage personnel, d’héroïsme ou de vertus chrétiennes avec la souffrance des autres ?

    Nous n’avons abordé que notre drame mais, sommes aussi acquis à une aide active à mourir pour les personnes qui en font la demande, submergées par la douleur, en phase terminale de maladies incurables.
    Conscients qu’un tel bouleversement poserait certains problèmes éthiques au corps médical, nous espérons cependant, que loin des clivages politiques, des idéologies et des dogmes, un débat dépassionné s’instaurera qui apportera des réponses concrètes. Légiférer sur un sujet sociétal qui relève tellement de l’intime : « notre propre mort », doit exiger certainement une grande rigueur et beaucoup de courage.
    Quoiqu’il en soit et quoi qu’il advienne, sachez que notre « combat » et nos témoignages s’inscrivent dans une promesse faite à notre fils sur son lit de souffrance et de mort :
    « PLUS JAMAIS ҪA ! »
    Plus d’infos : http://www.over-blog.com/profil/blogueur-3568581.html

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