Politique France

Cumul des mandats, primes : le gouvernement ne connait pas la crise !

29 janvier 20134
Cumul des mandats, primes : le gouvernement ne connait pas la crise ! 4.91/5 44 votes

On s’en souvient, la toute première décision de François Hollande après son élection à la Présidence de la République avait été, au nom de l’exemplarité, de réduire son salaire et celui des ministres de 30 %. Hollande avait notamment déclaré pour justifier cette mesure : « Je ne dis pas que c’est là qu’il va y avoir des économies substantielles. Je dis qu’à un moment il faut montrer que le comportement au sommet de l’Etat est exemplaire. »

Cette décision, effectivement actée lors du vote du Collectif budgétaire le 31 juillet 2012 par l’Assemblée Nationale, avait d’ailleurs eu bien du mal à être mise en œuvre, le Conseil Constitutionnel l’ayant retoquée le 09 août, jugeant que c’était « à l’exécutif de fixer le traitement du Président de la République, du Premier ministre et des membres du Gouvernement » et non aux parlementaires. Le 24 août était alors paru au Journal officiel un décret confirmant la baisse de salaire du Président de la République, du Premier ministre et des membres du gouvernement, baisse rétroactive prenant effet des le 15 mai 2012.

Une promesse -purement symbolique, mais la politique est aussi faite de symboles- tenue par le nouveau Président de la République ? Voire… Car Si Hollande a bien baissé son salaire et celui des ministres comme il s’y était engagé (le salaire de Président et de Premier Ministre est ainsi aujourd’hui de 14.910 euros bruts pour 12.696 euros nets alors qu’il était  21.300 brut et 18.276 euros net sous le quinquennat précédent), en ce qui concerne  le comportement exemplaire au sommet de l’Etat, c’est une toute autre paire de manches !

Des ministres moins payés… Mais plus nombreux !

Tout d’abord, il faut bien constater que si le salaire des ministres a donc effectivement baissé avec l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, le nombre de ceux-ci a lui… Augmenté !

En effet, comme l’avait relevé en mai 2012 le journal Le Monde, le 1er gouvernement Fillon, nommé après la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 était composé d’un Premier ministre, de quinze ministres, quatre secrétaires d’état et d’un haut commissaire, pour un coût total (en comptabilisant les différents salaires de l’époque) de 292.500€ brut par  mois.

Le gouvernement nommé par François Hollande après son élection était lui composé d’un Premier ministre, un ministre d’Etat, quatorze ministres de plein exercice, neuf ministres auprès d’un ministre et huit secrétaires d’État, soit un coût mensuel (en additionnant les salaires d’aujourd’hui) de … 351 400 euros brut !

Certes, le second gouvernement Fillon nommé en 2011 avait sérieusement augmenté le nombre de ministres, puisque celui-ci était composé d’un Premier ministre, de seize ministres, huit ministres délégués et neuf secrétaires d’Etat, pour un coût mensuel cette fois-ci de 483 500 euros brut.

Il n’empêche : 292 500 € puis 483 500 € d’un côté dans le quinquennat Sarkozy, 351 400 € dès le premier gouvernement de Hollande (qui n’a d’ailleurs certainement pas dit son dernier mot en ce qui concerne la distribution de maroquins ministériels), on peut bien non plus parler -et concernant la « modération ministérielle » revendiquée par le gouvernement Ayrault- d’une mesure symbolique et anecdotique, mais d’une escroquerie politicienne de la plus belle espèce. Et renvoyer dès lors dos à dos UMP et PS, dans ce match nul de la démagogie politique et de la dilapidation des deniers publics. Match nul dans tous les sens du terme, car, nous allons le voir, la duplicité de nos actuels gouvernants ne s’arrête pas là.

Salaires réduits, mais cumul des mandats généralisé

Car une des autres promesses de campagne du candidat Hollande concernait la suppression du cumul des mandats. Et de ce côté-là, malgré les gesticulations d’estrade et les déclarations d’intention, il s’est révélé être très urgent d’attendre !

Certes, il fut bien demandé aux ministres de renoncer aux mandats exécutifs locaux qu’ils pouvaient détenir à leur nomination (maire ou encore président de conseil général et régional notamment). A leurs mandats… « Exécutifs » , entendez bien la nuance, saisissez bien l’astuce ! Car du coup, ils ont pu conserver une ou plusieurs fonctions « non exécutives » dans leur fief. Non exécutives certes, mais bien entendu rémunérées -et parfois grassement- tout de même. Le Diable est toujours dans les détails.

Cette subtile distinction a été entendue cinq sur cinq et immédiatement exploitée par le gouvernement Ayrault : sur les trente-neuf ministres et secrétaires d’Etat… Vingt-cinq cumulent salaires de ministre et d’élus locaux ! Et les quatorze vertueux qui restent ne le sont souvent que par hasard : neuf d’entre eux n’avaient en effet pas d’autre mandat à leur nomination que celui de député, et un dixième (Fleur Pellegrin) n’avait pas de mandat du tout. En fait, seuls trois ministres (trois femmes d’ailleurs) ont démissionné de toutes leurs fonctions locales : Cécile Duflot (conseil régional d’Ile-de-France), Dominique Bertinotti (mairie du 4e arrondissement de Paris) et Michèle Delaunay (conseil général de Gironde). Dont acte pour ces trois là, nonobstant leurs « performances » de ministres inversement proportionnelles dans la médiocrité et même l’abyssale nullité à leur vertu républicaine.

Vingt-cinq cumulards sur trente-neuf ministres donc : c’est presque un record, et du coup, les baisses de salaires sont beaucoup plus anecdotiques encore que ce que l’on a bien voulu nous faire croire. Car si le décret d’août a bien baissé la rémunération ministérielle de 30 %, grâce à l’astuce du « mandat non exécutif » une bonne dizaine de ministres s’est tout aussitôt ré-augmenté de plus de … 20 % grâce notamment à leurs mandats de conseiller général ou régional. Mandats qu’ils occupent d’ailleurs sans en remplir aucunement les fonctions, comme les feuilles de présence l’attestent dans la quasi-totalité des cas. Ce qui n’empêche bien évidemment pas le chèque d’être encaissé à la fin du mois.

Si certains n’augmentent ainsi que très modérément leur traitement ministériel (Valérie Fourneyron ne touche que 66 euros comme conseillère municipale de Rouen), d’autres font péter le compteur : ainsi Najat Vallaud-Belkacem (conseillère générale du Rhône, conseillère municipale et conseillère communautaire de Lyon) et Marie-Arlette Carlotti (conseillère régionale de Paca  et conseillère générale des Bouches-du-Rône) atteignent carrément le plafond de 2.757 euros supplémentaires à leur traitement de ministre imposé par la loi sur la transparence financière de la vie politique promulguée en avril 2011… Par le gouvernement du Président Sarkozy. Elles sont du coup les ministres les mieux payés du gouvernement !

Les suivent d’assez près :

Jean-Yves Le Drian : + 2 236 euros (il a démissionné de son poste « exécutif » de Président du Conseil régional de Bretagne pour redevenir simple conseiller et pouvoir continuer à cumuler « « dans les clous »).

Benoît Hamon : + 2 200 euros (conseiller régional d’Ile-de-France).

Thierry Repentin : + 2 180  euros (conseiller général de Savoie, conseiller municipal et communautaire de Sonnaz).

Marisol Touraine : + 2 126  euros (conseillère générale d’Indre-et-Loire).

Marylise Lebranchu : + 2 000 euros (conseillère régionale de Bretagne).

Victorin Lurel : + 2 000 euros (conseiller régional de Guadeloupe).

Sylvia Pinel : + 1 951 euros (conseillère régionale de Midi-Pyrénées).

Anne-Marie Escoffier : + 1 805 euros (conseillère générale de l’Aveyron).

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en ce qui concerne l’affirmation d’une très vertueuse modération salariale, on  pouvait difficilement faire plus hypocrite !

Vous croyez avoir tout vu ? Vous êtes pourtant très loin du compte, braves gens ! Car si les ministres savent comme on vient de le voir utiliser au mieux les subtilités et les omissions volontaires des « règles exemplaires » édictées par Flambi 1er pour insensiblement compenser leur pseudo baisse de salaire, ils ne se contentent pas de ces petits bonheurs solitaires et savent aussi se montrer altruistes, en arrosant très généreusement les membres de leurs cabinets ministériels. Générosité à peu de frais pour eux, car -rassurez-vous- une fois encore, c’est bien vous qui au final payez l’addition.

Des ministres « moins payés », mais des collaborateurs… Augmentés !

Dans plusieurs ministères du gouvernement Ayrault, les salaires des membres de cabinet ont été plus ou moins substantiellement augmentés. Ainsi du ministère de la Défense, où la moyenne des trois rémunérations les plus élevées s’élève aujourd’hui à 12 489 euros net par mois (soit presque 50% de plus que le salaire du ministre  Jean-Yves Le Drian !). Du temps de son prédécesseur Hervé Morin, la moyenne des trois salaires les plus élevés était de 11 546 euros. Près de 10% d’augmentation, par les temps qui courent, c’est presque digne d’une inscription au Guiness Book des records !

Autre exemple : au quai d’Orsay (Affaires Etrangères), les trois conseillers les mieux payés de Laurent Fabius touchent en moyenne 9 323 euros net par mois. Ils ne touchaient « que »  8.822 euros net sous les règnes de Bernard Kouchner et Alain Juppé.

Grosso-modo en ce qui concerne le coût total des cabinets ministériels, et une fois encore, le gouvernement Ayrault fait finalement à peu de chose près jeu égal avec ses prédécesseurs « fillonistes ».

Mais, lorsque l’on se « dévoue pour le bien public », le salaire n’est fort heureusement pas tout…

Grâce aux primes, les cabinets ministériels touchent aussi le jackpot

De tout temps, nos gouvernants ont su utiliser des fonds publics de fonctionnement plus ou moins occultes pour grassement récompenser leurs collaborateurs. Les Lois et décrets censés moraliser ces pratiques discrétionnaires et souvent fort peu soucieuses de l’éthique ont eu beau s’enchaîner ces dernières années, le système en changeant de nom ou de forme au fil du temps est toujours demeuré redoutablement efficace, très confidentiel et même carrément opaque. Aujourd’hui, c’est donc via une « dotation d’indemnités pour sujétions particulières » (ISP), qu’une enveloppe annuelle est attribuée à chaque cabinet ministériel par les services du Premier Ministre. Charge ensuite aux ministres de répartir la manne selon leur bon vouloir.

Le montant de cette enveloppe financière est en général fonction de l’importance du cabinet ministériel concerné. Mais ce n’est pas toujours le cas et du coup, certains ministères sont plus généreusement arrosés  que d’autres… C’est ce que nous apprend un épatant article du Journal du Net, qui a comparé les sommes allouées à chaque ministère et la composition des cabinets (tous personnels confondus) pour établir un petit classement des cabinets les plus favorisés par la République hollandienne (pour seulement 7 mois d’activité seulement, notons le au passage).

Premier de la classe pour 2012 : le cabinet de Marisol Touraine (Affaires Sociales & Santé), avec une enveloppe « primes » de 878 408 euros, soit 13 725 euros d’argent de poche par membre du cabinet… Excusez du peu. Selon les dires du ministère, seuls 63% de cette somme auraient été effectivement distribués au 31 décembre. Vous vous demandez ce que deviendront dès lors les 37% restants ? Mystère et boule de gomme…

Viennent ensuite et dans l’ordre :

2ème – Le cabinet de Jean-Marc Ayrault (Premier ministre) : 12 829 euros par membre de cabinet. 58% distribués officiellement au 31 décembre.

3ème – Le cabinet de Sylvia Pinel (Artisanat et Commerce) : 11 956 euros par membre de cabinet. 58% distribués.

4ème – Le cabinet de Nicole Bricq (Commerce Extérieur) : 11 946 euros par membre de cabinet. Nicole Bricq a semble-t-il entièrement distribué sa cagnotte au 31 décembre 2012.

5ème – Le cabinet d’Arnaud Montebourg (Redressement Productif) : 11 913 euros par membre de cabinet. 62% distribués.

6ème – Le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem (Droits des Femmes) : 11 745 euros par membre de cabinet. 72% distribués.

Les autres cabinets font parfois presque figure de parents pauvres, ne disposant « que » de 10 900 à environ 5 000 € par membre de cabinet, les deux plus mal lotis étant les cabinets de Delphine Batho (Ecologie, Développement Durable et Energie) et de Stéphane Le Foll (Agriculture, Agroalimentaire et Forêt), avec respectivement 5 206 et 4 939 € par membre. On constatera au passage qu’un membre de cabinet du Ministère de l’Agriculture se voit attribuer d’office une prime potentiellement 2,8 fois moindre que celle à laquelle peuvent prétendre les proches de Marisol Touraine… Ce qui en dit plus qu’un long discours sur le respect qu’inspire à nos élites parisiennes la gestion par l’Etat de l’agriculture française.

26,861 millions d’euros de « prime de Noël » , qui dit mieux ?

Au total, les  indemnités pour sujétions particulières (ISP) -c’est à dire l’argent de poche des ministères, les primes- du gouvernement Ayrault pour 2012 (seulement 7 mois d’activité rappelons-le) auront donc atteint la somme de 26,861 millions d’euros. Sans même compter les traditionnels et nombreux collaborateurs « officieux » (faisant d’ailleurs souvent partie du cercle familial du ministre, ou de celui de tel ou tel ami) non recensés, donc absolument pas quantifiables ou chiffrables, mais également très grassement rétribués par l’Etat (c’est à dire -encore une fois- par vous).

Comme vous l’aurez constaté en prenant connaissance des quelques chiffres détaillés au fil de ces lignes, derrière les déclarations de vertu et les beaux discours sur la nouvelle modération du train de vie de l’Etat à la sauce hollandaise, l’année 2012 aura été financièrement particulièrement clémente pour nos chers gouvernants et ceux qui les secondent.

Hollande-Ayrault aujourd’hui comme Sarkozy-Fillon hier… Décidemment, leur « petite entreprise ne connaît vraiment pas la crise » !

 Marc LEROY – La Plume à Gratter

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4 Responses to Cumul des mandats, primes : le gouvernement ne connait pas la crise !

  1. [...] c’est ce qui les occupe. Voir le tableau des indemnités de tout poil pour ces gens-là. Alors comment pourraient-ils résister aux sirènes catareuses [...]

  2. Carine005 le 18 février 2013 à 19 h 38 min

    Ayé, j’ai réussi à me connecter, je ne suis pas douée !
    Merci pour ce billet très documenté.
    Et moi qui me demandais pourquoi ils voulaient tous être ministres ou membres de cabinets !
    Les cabinets, it’s where they belong…

  3. [...] vous aimez la précision, vous en trouverez chez la Plume à gratter qui a parlé de cette question en janvier. C’est bien, parce que la Plume  nous donne des [...]

  4. christine le 29 janvier 2013 à 19 h 38 min

    Excellent article !! Ecoeurant mille fois au demeurant, mais excellent néanmoins !
    Quand je pense aux astuces comptables nécessaires pour faire les courses et manger correctement tous les jours, en assurant les études des enfants, tout en payant le loyer, les traites des emprunts et les réparations de la voiture, sans oublier l’essence pour la faire rouler…
    Cela laisse rêveur, mais plutôt genre mauvais rêve !!

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