Economie

Le conseil constitutionnel, et la sanction de la politique des apparences

2 janvier 20130
Le conseil constitutionnel, et la sanction de la politique des apparences 5.00/5 1 votes

Publié le : 31 décembre 2012

Source : comite-valmy.org

La mesure considérée comme l’une des plus emblématiques des promesses de François Hollande dans le domaine fiscal, la fameuse « super-tranche » de 75% pour les revenus de plus de 1 millions d’euros, a été rejetée le samedi 29 décembre par le Conseil Constitutionnel[1]. Ce faisant, ce dernier a simplement sanctionné sur la forme un texte mal écrit[2]. En effet, le Conseil rappelle dans ses attendus que le droit fiscal ne connaît pas des « personnes » mais des « ménages », et qu’introduire une distinction entre ces deux catégories porterait atteinte à l’égalité de tous devant l’impôt. Ce n’est donc pas une censure politique, comme on voulu le faire croire des politiques tant de droite que de gauche. Mais, le fait est cependant très significatif de la manière dont les décisions sont prises, ou ne sont pas prises, par le gouvernement.

Une calamiteuse chaîne d’incompétences.

Rappelons les faits : dans la campagne du premier tour de l’élection présidentielle, François Hollande, sentant monter la côte de popularité du candidat du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, cherche une mesure emblématique pour ancrer sa candidature à gauche. D’où l’idée de cette super-tranche, qu’il impose sans discussion à son entourage lors d’un passage sur TF-1 le 27 février 2012. Il s’agit d’une mesure essentiellement symbolique, dont les recettes fiscales sont par ailleurs limitées. Mais, en raison justement de sa dimension symbolique, elle devient emblématique du programme d’un candidat qui prétend revenir à plus de justice fiscale et affronter la « finance ». Cette mesure n’est de plus en rien confiscatoire quoi qu’en disent les raminagrobis de l’argent facile.

François Hollande élu Président, il faut appliquer la mesure. Et c’est là où tout se complique. Normalement le Ministre de l’Économie et des Finances, voire le Ministre du Budget, est chargé de l’affaire ; il repasse alors le bébé à son chef de cabinet, qui lui-même désigne un des énarques du dit cabinet pour écrire le texte. Or, il se fait que la personne en charge de ce texte ignore les principes même du droit fiscal français et commet un texte qui est sur la forme irrecevable. Ce texte passe inchangé lors des vérifications juridiques d’usage, ce qui au passage montre tout le sérieux avec lequel elles sont faites, et aboutit dans la loi de finances sans que personne ne s’en s’émeuve. Le scandaleux en l’occurrence n’est pas la censure du Conseil Constitutionnel mais la chaîne d’incompétences qui a permis à ce texte d’arriver en l’état sur la table du Conseil Constitutionnel. Elle en dit long sur le professionnalisme des membres des cabinets ministériels, plus empressés à satisfaire leurs maîtres politiques, et à construire leurs carrières, qu’à concourir au bien public et à servir l’État.

Les apparences et la substance.

Mais, cette lamentable histoire illustre aussi le refus de François Hollande de se livrer à une grande réforme fiscale rétablissant un peu de logique dans un système qui s’est construit par empilements successifs de mesures parfois contradictoires. Il y a maintenant près de deux ans, en janvier 2011, Thomas Picketty et ses collègues Camille Landais et Emmanuel Saez publiaient Pour une Révolution fiscale[3]. On peut discuter des thèses de cet ouvrage, et je ne suis pas convaincu par tout ce qu’avance mon collègue à l’EHESS. Mais on ne peut dénier un effort pour repenser la fiscalité française dans sa globalité. François Hollande eut-il voulu faire cette réforme, qui s’avère aujourd’hui de plus en plus indispensable, qu’il avait à sa disposition une base de travail bien élaborée. Mais, de faire cette réforme fiscale, il s’est bien gardé.

Il y a des raisons mineures à cela. Picketty, quoique de gauche, n’est pas en odeur de sainteté chez les hollandistes. On lui reproche, entre autres, le soutien déterminé qu’il avait affiché pour Ségolène Royal en 2007. Que le Président ne puisse avoir les mêmes préventions ni les mêmes inimitiés que le candidat ne semble pas avoir effleuré François Hollande. Mais il en est d’autres qui sont bien plus importantes. Procéder à une réforme fiscale de fond implique de remettre en cause bien des privilèges, et de toucher à bien des rentes de situations. À l’évidence, le courage n’est pas pour maintenant.

Pourtant, quand on sait l’importance accordé tant par le candidat que par le Président au retour à l’équilibre budgétaire, l’urgence d’une telle réforme s’imposerait. Cependant, elle impliquerait aussi de faire le ménage dans les différentes niches fiscales qui se sont développées depuis quinze ans. Or, ceci pose directement la question du coût de l’Euro pour l’économie française. Ces niches, il faut le rappeler, coûtent à la Nation environ 70 milliards d’euros par ans, soit 3,5% du PIB. Environ 50 milliards d’euros sont directement liés à des mesures de soutien aux entreprises pour compenser la perte de compétitivité que subit l’économie française, tant à l’intérieur de la zone Euro qu’à l’extérieur, du fait de la monnaie unique. Tant que nous restons dans la zone Euro, ces niches fiscales sont malheureusement nécessaires. Il en va tout autrement si nous nous décidions à sortir de la zone Euro. La question de la fiscalité, en dehors de la nécessité d’une réforme de fond, se révèle en fait assez simple. Il convient alors de rapporter ces 50 milliards d’euros aux 30 milliards de gains fiscaux que le gouvernement entend réaliser dans la loi de finance de 2013, avec 20 milliards d’impôts nouveaux et 10 milliards d’économies budgétaires. Cet effort, en lui-même assez considérable et qui va casser la croissance en 2013, seuls les plus fanatiques des hollandistes prétendent encore que la France aura une croissance de 0,8%, ne représente que 60% de ce que l’on aurait pu gagner si nous étions sortis de la zone Euro, et si nous avions dévalué pour rétablir notre compétitivité.

Telle est la réalité. Et c’est bien pour éviter de l’affronter que l’on se concentre sur une mesure, la « super-tranche » à 75%, dont le Ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, lui-même admet qu’elle ne rapporterait que de 400 à 500 millions d’euros au mieux, soit 1% de ce que l’on pourrait gagner en supprimant une grande partie des niches fiscales.

Un déni des réalités

Nous sommes donc en plein dans le monde des apparences. Mais, au moins, aurait on pu s’attendre à ce que ces apparences soient soignées. La censure du Conseil Constitutionnel sanctionne ainsi moins une mesure qu’une politique de faux-semblants et d’amateurisme. Ces faux-semblants, nous en trouvons d’autres exemples que ce soit avec le projet de loi bancaire, loi croupion qui traduit une capitulation honteuse devant le lobby bancaire, ou que ce soit dans le refus du Premier ministre de répondre à Edouard Martin, le syndicaliste de Fleurange[4]. L’optimisme de commande affiché par François Hollande montre un saisissant contraste avec les avertissements que distille la Chancelière Allemande, Mme Angela Merkel, qui reconnaît – elle – que la crise de l’euro est loin d’être terminée[5]. Il ne serait pas étonnant que la Chancelière prépare sa population à des décisions radicales sur ce sujet. De toutes les façons, ce n’est pas en niant la réalité qu’on la change. C’est au contraire en l’acceptant telle qu’elle est que l’on peut mettre en œuvre un véritable changement. Dans un monde où s’affirment avec toujours plus de force les intérêts nationaux, la politique d’entêtement du gouvernement, que l’on nous présentera – il ne faut pas en douter – comme du « courage », que ce soit sur la question de l’Euro ou sur celle du protectionnisme, confine au suicide. Le gouvernement japonais l’a bien compris, lui qui rejette toute pertinence aux critiques des autres pays du G-20 sur sa politique monétaire et se prépare à dévaluer massivement le Yen dans les semaines à venir[6].

L’année 2013 sera cruciale, n’en déplaise à notre Président et à ses vœux lénifiants que l’on pourrait déjà réciter avant même de les avoir entendus. Plus que jamais, l’avenir économique, mais aussi social et politique du pays est déterminé par notre appartenance à la zone Euro. Aujourd’hui, d’ailleurs, 62% des Français regrettent le Franc, pourcentage qui atteint 77% chez les ouvriers et employés, ce qui est parfaitement normal car les classes populaires sont les premières victimes de l’Euro[7].Tant que rien ne changera sur ce point, nous ne pourrons que nous enfoncer dans la récession, voire la dépression. La politique des faux-semblants et des apparences aura une fin, mais cette dernière risque d’être tragique. Un peu de courage aujourd’hui éviterait de devoir en faire preuve de beaucoup dans un futur proche.

L’année 2013 sera rude, et elle le sera tour particulièrement pour les marchands d’illusions.

En attendant, joyeuse année 2013 à tous !

Jacques Sapir


[1] Conseil Constitutionnel, Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, voir l’article 12 et les considérants de 67 à 74. URL :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2012/2012-662-dc/decision-n-2012-662-dc-du-29-decembre-2012.135500.html

[2] Vincent Collen, « Taxe à 75 % : la censure du Conseil tourne au casse-tête pour l’exécutif », Les Echos, 29/12/2012, URL :
http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/0202473147484-budget-2013-le-conseil-constitutionnel-censure-la-taxe-a-75-524459.php

[3] Le Seuil, janvier 2011, coll : La république des Idées.

[4] Reuters via L’Expansion, « Ce que le syndicaliste Edouard Martin a écrit à François Hollande », L’Expansion, le 28/12/2012, URL :
tp ://lexpansion.lexpress.fr/outils/imprimer.asp ?k=3&id=366658

[5] Rainer Buergin, « Merkel Calls for German Patience as Euro Crisis ‘Far From Over’ », Bloomberg, 31/12/2012, URL :
http://www.bloomberg.com/news/2012-12-30/merkel-calls-for-german-patience-as-euro-crisis-far-from-over-.html

[6] Eunkyung Seo & Masaki Kondo, « Japan Rebuke to G-20 Nations May Signal Moves to Weaken Yen », Bloomberg, 31/12/2012, URL :
http://www.bloomberg.com/news/2012-12-31/japan-rebuke-to-g-20-nations-may-signal-more-moves-to-weaken-yen.html

[7] AFP, via Le Figaro, 60% des Français regrettent le franc, 31/12/2012, URL :
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2012/12/31/97002-20121231FILWWW00323-60-des-francais-regrettent-le-franc.php

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