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Sciences Po : la Cour des Comptes dénonce la scandaleuse gestion…

9 octobre 20120
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…De l’ère Descoings.

Richard Descoings, un héros français

Rappelez-vous : il y a de cela quelques mois à peine, toute la classe politique ou presque s’était fortement émue de la disparition de Richard Descoings, alors directeur de l’Institut d’études politiques de Paris (l’IEP, plus connu sous le nom de Sciences Po), mort survenue d’ailleurs dans des conditions qui se révèleront particulièrement sordides (pour en savoir plus à ce sujet, lire l’article Richad Descoings, une mort gay).

Pour ceux qui n’auraient pas vécu ce grand moment de recueillement national qui avait donc très largement transcendé les clivages traditionnels de la politique française pour honorer notre « grand homme » (on a sans doute les héros que l’on mérite), voici pour mémoire, et même si je le concède cela est un peu long, un florilège des déclarations et communiqués que nous avaient alors servis quelques unes des principales figures de notre politique nationale. Vous verrez, cela en vaut tout de même la peine !

A tout seigneur tout honneur, Nicolas Sarkozy, Président de la République, salua la mémoire d’un « grand serviteur de l’Etat, qui aura consacré toute sa vie à la cause qu’il s’était choisie et dont rien ne l’avait détourné : l’éducation »… « Pionnier de l’ouverture à l’international et de la recherche des nouveaux financements, travailleur infatigable et passionné, il n’a eu de cesse d’inventer en permanence, dans un monde plus volontiers soucieux de ne pas bousculer les habitudes ».

Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères fit part de sa « très vive émotion » et déclara : « La France a perdu… Un infatigable acteur du rayonnement universitaire de notre pays dans le monde, un remarquable artisan du renouveau d’une institution phare de l’universitaire française »…« En ce moment de grande tristesse, je rends hommage à la mémoire d’un homme de passion qui n’a eu de cesse de s’engager en faveur de l’égalité et de l’accès de tous au savoir ».

Luc Chatel, ministre de l’Education affirma que la France venait de perdre « un esprit visionnaire » qui avait « révolutionné notre enseignement supérieur », ajoutant qu’ « avec cette disparition, la France perd un grand serviteur de l’Etat… qui, par son audace, son énergie et sa capacité à briser les tabous, a révolutionné notre enseignement supérieur et notre conception de l’éducation » ayant fait de Sciences Po « une référence incontournable pour l’enseignement comme pour la recherche en sciences humaines et politiques ».

Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur : « C’était un homme de passion et de vision et c’était mon ami. Je garde un profond respect pour Richard Descoings (…) Il restera celui qui aura su faire prendre à cette institution les grands tournants stratégiques qui s’imposaient ».

Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP, se dit « bouleversé », et déclara sur LCI que c’était « un grand Français qui avait transformé, modernisé cette grande école pour en faire une école performante au niveau international ».

François Bayrou salua un « esprit original et entreprenant qui faisait bouger les choses », évoquant son «style particulier» (sic).

François Hollande affirma « une grande tristesse et émotion » et salua « l ’une des figures les plus importantes et les plus reconnues du monde éducatif et universitaire ».

Nathalie Kosciusko-Morizet estima que « Richard Descoings a montré que démocratisation de l’éducation et excellence académique vont de pair».

Valérie Pecresse, porte parole du gouvernement, salua elle  « la mémoire d’un visionnaire ». Elle déclara que Descoings « avait fait de Sciences-Po le laboratoire de toutes les innovations… Contre tous les conservatismes, avec l’audace qui le caractérisait, il a fait de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris une université du XXIe siècle et a fait souffler un esprit nouveau sur le paysage universitaire français ».

Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale salua « la carrière exemplaire de ce haut fonctionnaire qui avait fait de l’enseignement supérieur le combat de sa vie. », ajoutant  que « la France perd avec lui un des plus grands réformateurs du modèle éducatif français. Ce modèle qu’il n’avait eu de cesse de réinventer pour lui conserver son excellence ».

Bertrand Delanoë, maire de Paris avait « tenu à rendre hommage avec admiration et émotion à cette grande figure du monde éducatif parisien, national et international », ajoutant encore :« un homme d’une intelligence, d’une énergie et d’une créativité exceptionnelles. Il avait mis ces qualités au service de Sciences Po Paris ».

Martine Aubry, première secrétaire du PS avait salué « un grand serviteur de l’Etat » …« C’était un homme extrêmement aimé (…). Et je pense aussi aux étudiants de Sciences Po qui sont sous le choc parce que c’était un grand directeur ».

Eva Joly, candidate EELV à la présidence de la République avait elle exprimé son « amertume profonde » après la mort de Richard Descoings, ajoutant : « Le travail qu’il a accompli pour l’ensemble du monde éducatif a été remarquable et son application à faire de son école un pôle d’excellence tourné vers le monde entier demeure un modèle à suivre pour tous ».

Yazid Sabeg, Haut commissaire à la Diversité et qui avait travaillé étroitement avec Richard Descoings déclara « C’est le premier à avoir mis en oeuvre la sélection multi-critères (en dehors des critères) et il a été combattu pour ça. C’est un modèle dont devraient s’inspirer toutes les grandes écoles. Il marquera l’histoire de l’enseignement supérieur dans notre pays ».

Ouf ! On se demande d’ailleurs pourquoi, à la relecture de ces hommages dithyrambiques, l’exceptionnel Descoings n’avait pas eu droit à des funérailles nationales suivies d’une semaine de deuil et d’une inhumation au Panthéon !

Richard Descoings à la tête de Sciences Po (et en dehors d’une politique très sujette à caution, politique faisant fi du niveau réel d’excellence et de culture générale des candidats puisque basée désormais en grande partie sur la discrimination positive, et donc sur l’origine plus que sur le mérite), on sait donc aujourd’hui ce que cela a vraiment donné…


Tableau récapitulatif des dépenses et primes (Le Monde)

Les révélations du rapport de la Cour des Comptes sur l’ ère Descoings

Car la cour des Comptes vient de rédiger un rapport de 210 pages simplement accablant sur les fameuses « années Descoings », rapport que s’est procuré Le Monde. Le moins que l’on puisse dire, c’est que « c’est du brutal » ! (Audiard, Les Tontons Flingueurs).

Mediapart avait déjà provoqué un mini scandale en décembre 2011 en évoquant les très grosses primes que s’octroyaient si généreusement les dirigeants de Sciences Po. Face au début de polémique qui s’ensuivit, Richard Descoings avait répliqué dans Libération avec un culot remarquable :

« Si je trouve que je suis trop payé ? Non ! »…« Quel exemple je ne montre pas ? Le fait que je sois payé comme je le suis est-il une atteinte aux valeurs ? Si je ne faisais rien, si je me battais pour rien, si je n’avais aucun résultat, on pourrait dire que ce n’est pas moral…Comme mes amis conseillers d’Etat, j’aurais pu partir dans un cabinet comme partenaire, et on ne serait pas en train de discuter 25 000 euros. J’ai choisi de rester, sachant que je serai beaucoup moins payé »… Cela ne s’invente pas!

Mais on en resta au final sagement là. Car dans la France médiatique d’aujourd’hui, on ne touche pas à la statue du commandeur, du champion de la diversité, de l’ouverture aux minorités ethniques !

C’est donc aujourd’hui avéré : entre deux séances de partouzes dans les backroom des boîtes gay de Paris ou New York, le si généreux Richard Descoings n’oubliait pas -et en tout premier lieu- l’adage qui dit que « charité bien ordonnée commence par soi-même » !

Voyons cela de plus près :

« Entre 2005 et 2011, la rémunération annuelle brute du patron de l’Institut d’études politiques (IEP) a crû de 60,4 %. Elle a culminé à 537 246,75 euros en 2010 ».

60% d’augmentation donc en à peine six ans… Remarquable performance, vous en conviendrez, dans une période de près de dix ans de stagnation des salaires (mais pas pour tout le monde apparemment). A noter que dans sa fameuse interview de Libération, Descoings déclarait sans rire : « Je gagne 27 000 euros brut, soit 23 000-24 000 net ».

 La Cour ajoute à  titre de comparaison que « la rémunération annuelle brute du président d’un autre grand établissement universitaire était de 160 095,61 euros en 2011 ».

Richard Descoings (avec la complicité de ses petits copains de l’IEP) s’octroyait donc un salaire près de trois fois plus élevé. Il fallait oser le faire… Et bien Descoings l’a fait !

Autre petites gâterie financière auto-attribuée par la bande à Descoings  :

« Jean-Claude Casanova, le président de la Fondation nationale des sciences politiques (la FNSP, qui gère l’IEP) a vu sa prime passer de 16 500 euros en 2007 à 36 000 en2010 et 2011 (contre 9 375,72 pour son prédécesseur). Elle a même été de 69 000 euros en 2009, année où il a été décidé de porter, avec effet rétroactif, cette indemnité mensuelle de 1 500 euros à 3 000 euros ».

La Cour déplore aussi dans son rapport que le conseil d’administration n’ait pas été consulté pour l’attribution de ces primes et rappelle que « les modalités de rémunération du président et de l’administrateur ne respectent pas les règles fixées par le code général des impôts » pas plus que « le cadre fixé pour les établissements publics [ou] celui des organismes à but non lucratif ». Rien que ça!

La même opacité a présidé toutes ces dernières années à l’élaboration des contrats des enseignants et à l’attribution de ces fameuses primes pour tous les cadres de l’école. A Sciences Po, les vacataires représentent aujourd’hui 20% des dépenses et sont nettement mieux payés qu’à l’université. La Cour recommande d’ailleurs à l’IEP de ne plus « revaloriser leurs rémunérations avant d’avoir maîtrisé la croissance de sa masse salariale ».

Arrosage et avantages indus à tous les étages !

Car sous le règne de Descoings, tout le monde ou presque pouvait avoir sa part du gâteau !

La Cour des Comptes a par exemple calculé que les enseignants-chercheurs y effectuent 30% de leur service… Payé 100% ! Le Monde note ainsi qu’elle « cite l’exemple du directeur d’un département qui, en 2011, a doublé son traitement de professeur des universités en assurant… 60 heures de cours à l’IEP sur une année ». Les 35 heures? Pfff,dépassé, coco! Grâce notamment à Descoings et son orchestre, l’Education Nationale a inventé la semaine de 1h30. Ca c’est moderne et progressiste!

Vous en reprendrez bien encore une tasse ? Il n’y a qu’à demander !

La FNSP possède de nombreux biens immobiliers qu’elle met à disposition de l’école, qui en fait ensuite bénéficier certains de ses salariés. Le Monde cite encore le rapport de la Cour qui évoque le cas d’un directeur de centre de recherche qui « a bénéficié gracieusement pendant cinq ans d’un logement de fonction situé rue d’Ulm, dont le loyer mensuel était estimé à 3 257 euros, tout en déclarant un avantage annuel en nature de 1 560 euros… Une fois le bail transféré à son nom, en 2009, un courrier de l’IEP lui a précisé que la FNSP augmentera une de ses primes du montant exact du loyer, soit 3 257 euros par mois » !

Au cœur de la nébuleuse Sciences Po, il y a donc la FNSP, institution au statut non défini et régie par le droit privé, et donc l’IEP, établissement de droit public dont la gestion est assurée par la FNSP. Cette situation ubuesque a entraîné selon la Cour des comptes de très nombreux dysfonctionnements :  « flou juridique… impossibilité de gérer globalement la masse salariale… Difficultés de coordination… Dérives » N’en jetez plus, la coupe est pleine? Et bien non!

L’état, aveugle et sourd face à la gabegie

La Cour relève encore que : « La politique de développement de Sciences Po n’a pu être mise en œuvre qu’au prix d’une fuite en avant financière et d’une gestion peu scrupuleuse des deniers publics ».

Car le plus préoccupant dans ce rapport reste la complaisance coupable, et même irresponsable de l’Etat. En effet,la subvention du ministère de l’enseignement supérieur a progressé de 33,3 % en cinq ans, passant de 47,7 millions d’euros en 2005 à 63,3 millions en 2010. La Cour affirme à ce sujet que « l’absence de tout contrôle exercé par l’Etat, pourtant principal financeur de la fondation, apparaît particulièrement fautive ». On ne lui fait pas dire!

Malgré cette abondance d’argent public, Sciences Po (dont l’un des dirigeants est d’ailleurs l’ancien président de la banque BNP Paribas, cela ne s’invente pas !) a par ailleurs contracté quatre prêts entre 2005 et 2010, et l’un d’entre eux est classé « spéculatif et dangereux » par la Cour, qui lui demande désormais de solliciter l’aval de Bercy.

Pour la Cour des Comptes, et au final, la question du statut de Sciences Po, qui a donc dépensé sans compter et dans l’opacité la plus totale en dépit d’un résultat d’exploitation négatif sous le règne de feu Richard Descoings « mérite d’être reposée ».

En effet, et pour rester poli, on peut le résumer comme cela !

ML – La Plume à Gratter

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