La Plume parcourt le Net

Quand Hollande, qui « n’aime pas les riches », confie nos destinées au milliardaire naufrageur de la Grèce

5 septembre 20120
Quand Hollande, qui « n’aime pas les riches », confie nos destinées au milliardaire naufrageur de la Grèce 5.00/5 2 votes

Publié le : 03 septembre 2012

Source : polemia.com

Ainsi en a décidé le président de la République, dans son annonce du 31 août : la Banque publique d’investissement, destinée à financer les PME et les entreprises innovantes, ouvrira ses portes « dans les jours qui viennent ». Indépendamment du fait que le calendrier de cette mise en place ait été quelque peu bousculé, cette décision ne recueille pas l’assentiment de beaucoup, y compris au sein du gouvernement.
Selon Le Nouvel Observateur, des tractations souterraines, entre les ministres Montebourg et Moscovici d’une part et la banque Lazard d’autre part, auraient débouché sur l’attribution à ladite banque d’un mandat de conseil auprès de la BPI, en échange d’une « embauche de la compagne » du ministre du Redressement productif, dans le journal de Matthieu Pigasse, numéro deux de Lazard à Paris (voir Le Monde des 2 et 3/09/2012). On perçoit immédiatement les risques de conflit d’intérêts.
Cela étant, il y a donc lieu de pénétrer au sein de cette banque Lazard et nous laissons à Claude Lorne le soin de guider nos lecteurs.
Polémia

___________________________________________________________

 

Depuis le 30 août et le choix, par le ministre de l’Economie Pierre Moscovici, de la banque d’affaires Lazard France, dirigée par Matthieu Pigasse, pour piloter l’imminente création de la future Banque publique d’investissement (BPI) destinée à nous tirer de la crise, la gêne est palpable au gouvernement, dont la plupart des membres n’avaient pas été informés, au parti socialiste dont Bertrand Delanoë a exprimé publiquement l’inquiétude et la réticence, et dans la presse de gauche. Car, bien entendu, Moscovici n’aurait pu trancher en faveur de Lazard sans l’aval de François Hollande. C’est ce dernier qui proclamait le 11 juin 2006 sur France 2 « Je n’aime pas les riches » et qui, s’adressant le 22 janvier 2012 au Bourget à « la France qui souffre », déclarait en revanche « aimer les gens quand d’autres sont fascinés par l’argent », en ajoutant ne « se connaître qu’un adversaire » : « Il n’a pas de nom, pas de visage, il ne se présentera pas aux élections et pourtant il gouverne… C’est le monde de la finance ! » Or, si un homme symbolise jusqu’à la caricature le monde honni de la finance, c’est bien Matthieu Pigasse dont Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’Economie et patron du jeune loup, son conseiller après avoir été celui de Laurent Fabius, avouait qu’il avait fait de Bercy « une véritable banque d’affaires » en pilotant les privatisations sans précédent opérées par le gouvernement Jospin. C’est encore le patron de Lazard qui, en avril 2010, fut poussé en avant par son protecteur Strauss-Kahn, devenu directeur général du Fonds monétaire international, pour conseiller le gouvernement Papandreou dans la résolution de la crise financière grecque. Pigasse réussira-t-il à Paris comme il a réussi à Athènes ?

Il nous paraît en tout cas opportun, afin de mieux faire connaître ce personnage, de reproduire ici le chapitre qui lui est consacré, ainsi qu’à la banque qu’il dirige, dans la brochure Les médias en servitude, dernière publication de Polémia (voir en fin d’article, après les notes, les conditions d’accès à son pdf et à son achat).

Claude Lorne

– 9 –


Pour Matthieu Pigasse, Le Monde, tremplin vers l’Elysée ?

« Il est derrière toutes les opérations financières et industrielles qui font l’actualité. A sa sortie de l’ENA, il a fait ses classes à Bercy avec Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius*, avant de passer au privé comme associé-gérant de la banque Lazard. La vente du PSG, c’est lui. La renégociation de la dette irakienne, c’est lui. La nationalisation du gaz bolivien pour le compte du président Evo Morales, c’est lui. La recherche d’une sortie de crise pour Libération, c’est encore lui. A 38 ans, Matthieu Pigasse est le banquier d’affaires le plus recherché du moment. Celui que les patrons du CAC 40 invitent à leur table avant de lancer une OPA. Le dépositaire des petits et des grands secrets d’affaires », pouvait-on lire le 19 octobre 2006 dans Le Monde… dont les journalistes ignoraient bien sûr que, moins de cinq ans plus tard, « le banquier rock and punk » deviendrait l’un de leurs trois patrons. Et sans doute le plus déterminé.

Du cabinet de DSK et de Laurent Fabius à la banque Lazard

Né en 1968 dans une famille plutôt littéraire (son père était journaliste et son oncle créa la collection Le Masque éditant notamment Agatha Christie) et couvert de parchemins, le protestant Matthieu Pigasse est trentenaire à peine quand il se retrouve en 1999 directeur adjoint du cabinet du grand argentier Laurent Fabius qui « se prend quasiment de passion pour lui » et le charge des questions industrielles et financières : un excellent marchepied vers la banque Lazard qui le recrute en 2002 sur les conseils de l’ubiquiste Alain Minc*, « son mentor », et le nomme illico associé-gérant, responsable dès 2003 de la très stratégique activité « conseil aux gouvernements » dans laquelle il excelle. Directeur du marketing en 2005, vice-président en 2006 puis codirecteur général délégué de Lazard France en septembre 2009, il connaît une vertigineuse ascension. Superviseur de la renégociation des dettes argentine et irakienne, on ne s’étonnera pas de le voir intervenir dans le très délicat dossier de la fusion de la BPCE, au côté de François Pérol (voir chapitre 8), quant à lui ancien de la banque Rothschild.

Groupes bancaires et faiseurs de rois

Les naïfs opposent souvent cette dernière à Lazard. Bien sûr, les deux établissements sont rivaux, mais il existe entre eux de multiples passerelles (Arielle Marie Malard, la seconde épouse d’Edouard de Rothschild, vient d’ailleurs de chez Lazard) et ils se spécialisèrent vite dans l’activité de conseil en fusions-acquisitions, activité dans laquelle Lazard sera numéro un en France jusqu’en 1997, grâce à des associés-gérants, des personnalités du calibre de Felix Rohatyn, ambassadeur des Etats-Unis en France de 1997 à 2000, d’André Meyer et surtout d’Antoine Bernheim*, « parrain du capitalisme français » selon Pierre de Gasquet qui lui a consacré un livre éponyme (Grasset 2011), « empereur de la finance » et surtout « faiseur de rois » selon Le Figaro qui rappelait, le 11 janvier 2008, comment le flamboyant banquier, largement octogénaire mais toujours patron des assurances Generali et vice-président du conseil d’administration de LVMH, avait « “coaché” Bernard (Arnault), Vincent (Bolloré), François (Pinault) et d’autres encore et assuré leur fortune, sans jamais, jure-t-il, la main sur le cœur, penser à la sienne ».

Intime avec Jean Daniel du Nouvel Observateur, très proche de Jean-Marie Colombani (voir chapitre 12) qu’il repêcha au conseil d’administration de Generali France après que JMC eut été éjecté du Monde, Antoine Bernheim ne fut pas seulement un « faiseur de rois » politiques, il fut aussi l’un des principaux artisans de l’évolution actuelle des médias, grâce aux fusions-acquisitions dont il eut à connaître.

Lazard Frères resta une banque familiale jusqu’à l’éviction du dernier héritier, Michel David-Weill*, PDG de 1977 à 2001 — et dont la fille Béatrice avait épousé un autre héritier de dynastie bancaire, Edouard Stern*, qui a connu une fin tragique, assassiné à Genève. Ce meurtre s’ajoutait ainsi à la légende noire de Lazard dont le nouveau patron, l’Américain Bruce Wasserstein, passait lui aussi pour peu regardant sur les moyens.

C’est Bruce Wasserstein qui, jusqu’à sa mort soudaine en 2009, favorisa la carrière de Matthieu Pigasse. Ce dernier, adhérent au PS, n’aura pas eu à se plaindre non plus du successeur du défunt, l’Américain Kenneth Jacobs qui, en avril 2010, imposa l’ancien énarque comme seul directeur général délégué de Lazard Frères, au détriment d’Erik Maris, jusqu’alors codirecteur. Les rumeurs qui couraient déjà sur la prise de contrôle du Monde expliquent sans doute, en partie au moins, le favoritisme dont le « banquier que tout le monde s’arrache » a bénéficié dans une banque souvent qualifiée de « ministère bis de l’Industrie » tant elle a été au cœur du capitalisme français. Dans son livre Ces messieurs de Lazard (Albin Michel 2006), Martine Orange décrit cette banque comme « un monde où il faut avoir la cuirasse épaisse, être prêt à tout, et où la qualité principale reconnue est l’avidité » car y règnent des « mœurs de parrain du capitalisme ».

Messier en pire

Dans Le Figaro du 2 juillet 2010, la journaliste Anne Fulda brossait un portrait ambigu de Matthieu Pigasse, ce « dandy dégingandé, tout de Dior vêtu, tenant des discours de punk désespéré, de camusien désabusé, clamant son goût pour les Clash, les Sex Pistols, Sid Vicious, autant qu’Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Henri Michaux ou Gustave Flaubert, dont il cite avec délectation cette phrase, comme une provocation assumée : “J’écris pour faire vomir le bourgeois” ».

En effet, « Pigasse ne déteste pas jongler avec les paradoxes et les contradictions de sa personnalité sombre et tourmentée. Il revendique une austérité de pasteur tout en donnant ses rendez-vous au Costes, l’hôtel branché de la rue Saint-Honoré où il a élu domicile. Il dit mépriser les conformismes, les “petits marquis parisiens” qui le jugent, tout en vivant royalement grâce aux millions qu’il a gagnés chez Lazard… A son sujet, on entend dire tout et son contraire avec, même chez ses meilleurs ennemis, une constante : la reconnaissance d’une intelligence hors du commun. Le meilleur : “ Il a une vivacité intellectuelle impressionnante et fait preuve d’une efficacité redoutable, je l’ai vu à l’œuvre sur plusieurs dossiers, tels que le PSG ou le groupe Barrière. De plus, il est toujours là quand on a besoin de lui et apporte toujours une solution”, témoigne Sébastien Bazin, président de Colony Capital. “C’est, depuis Messier*, la réussite la plus fulgurante qu’il y ait eu dans Paris”, ajoute Jean-Pierre Jouyet* (1) qui compare la trajectoire de Pigasse à celle de ces magnats américains de la presse, les Hearst ou Hughes, milliardaires originaux et excentriques. » L’orfèvre Antoine Bernheim* (2) voit lui aussi dans Pigasse « un mélange de Messier et d’Alain Minc » (alors qu’il qualifie Xavier Niel de « type exceptionnel »). Même son partenaire Edouard de Rothschild y va de son dithyrambe en décrivant lui aussi Matthieu Pigasse comme « une sorte de modèle américain transposé au système français », mais en s’empressant de corriger : « Le plus séduisant, c’est son empathie et son intelligence. Et le plus agaçant, c’est son narcissisme. »

Ce narcissisme, il l’avait partiellement assouvi avec son rachat en 2009 du magazine de rock Les Inrockuptibles (dirigé depuis le 15 avril 2011 par l’agrégé de philosophie et conseiller d’Etat David Kessler*, ancien conseiller de Lionel Jospin, venu comme lui du trotskisme, puis du maire de Paris Bertrand Delanoë). Le tout pour faire des Inrockuptibles (3) un hebdo politique très politiquement correct.

L’hebdo fut un marchepied idéal pour s’emparer du Monde. Matthieu Pigasse est d’ « une duplicité complète, d’un cynisme sans égal », selon l’un de ses anciens amis qui a affirmé à Anne Fulda que son « but ultime est de faire de la politique. Devenir président de la République : il a voulu Le Monde, non pas pour le mettre au service de X, Y, ou Z, mais pour servir sa propre ambition ».

Est-ce pour se concilier la communauté homosexuelle en vue d’un futur « destin national » qu’il finança en 2004 la chaîne à péage Pink-TV, qui ne survit qu’en diffusant la nuit des films pornographiques ? Ce qui est certain, c’est que Matthieu Pigasse a toujours tâté de la politique, soutenant comme Pierre Bergé Ségolène Royal en 2007… contre la promesse d’un gros ministère, confient des proches de l’ancienne candidate. Début 2011, il fait proposer par Les Inrockuptibles le maillot fétiche de DSK : « Yes we Kahn. »

Résolument ancré à gauche en dépit ou à cause des dizaines de millions d’euros qu’il a amassés (près de 8 millions uniquement en stock-options selon Le Nouvel Observateur du 18/6/09), il a été, avec Pierre Bergé, le promoteur et le financier du méga-concert organisé à la Bastille le 10 mai 2011 afin de commémorer la victoire socialiste de 1981, un projet destiné, selon Le Point, à le faire enfin « connaître du grand public » et dans lequel la collaboration du Monde lui était bien sûr assurée.

Duplicité et double jeu

Mais le banquier Pigasse est trop avisé pour mettre tous ses œufs dans le même panier. Dans le même temps où, en 2007, il lorgnait déjà sur Le Monde avec son poisson-pilote Alain Minc, il finançait le site d’information Médiapart créé par des dissidents… du Monde ! De même, à peine adoubé par la rédaction du « quotidien de référence », il travaillait, selon Aujourd’hui en France (du 14 mars 2011), au lancement par son holding Nouvelles Editions indépendantes, avec le journaliste de radio et de télévision Marc-Olivier Fogiel, de deux quotidiens : « le premier à destination des tablettes numériques, le second pour le papier ». Ce dernier se trouverait donc en concurrence directe avec Le Monde.

Notes :

(1) Inspecteur des Finances et socialiste comme Pigasse, et entre autres directeur du cabinet de Jacques Delors alors président de la Commission européenne, Jean-Pierre Jouyet, passé du Trésor à la présidence de la banque Barclays-France, fut après l’élection de Nicolas Sarkozy l’une des vedettes de l’ « ouverture », étant nommé le 18 mai 2007 secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, auprès de Bernard Kouchner, dans le gouvernement de François Fillon. Le 14 novembre 2008, il était nommé par Nicolas Sarkozy à la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF) – NDLA.
(2) Né en 1924, Antoine Bernheim est mort le 5 juin 2012 – NDLR.
(3) Depuis juillet 2012 et sur intervention directe de Pigasse (d’ailleurs contesté par une partie de la rédaction), ce magazine est dirigé par Audrey Pulvar, évincée de France Inter et de France 2 après la nomination de son compagnon Arnaud Montebourg au gouvernement de Jean-Marc Ayrault, afin d’éviter tout conflit d’intérêts. Or, le choix de Pigasse lui-même comme conseiller de la BPI pourrait constituer un autre conflit d’intérêts, au grand dam de Montebourg qui se défend comme un beau diable de toute ingérence dans cette affaire, dont il affirme ne même pas avoir été informé bien qu’il soit concerné au premier chef en sa qualité de ministre du Redressement productif – NDLR
.

Les médias en servitude, publié par Polemia.com, avec la collaboration de Claude Lorne, février 2012, 88 pages.

La brochure est disponible gratuitement sur Internet (cliquer ici) ou au prix de 10€ (15€ franco) à Polémia, 60 ter rue Jean-Jacques Rousseau, 92500 Rueil-Malmaison.

EmailPrintFriendlyBookmark/FavoritesFacebookShare

Mots clés : , , , , , , , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*