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La page 80 du dernier Giesbert

9 juin 20120
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Publié le : 08 juin 2012

Source : lenouveleconomiste.fr

Le dernier livre de FOG fait un tabac mais personne ne semble relever que la violence de ses saillies cache un loup. Quand c’est pas mou, il peut y avoir un loup.

L’un des plaisirs de ce genre d’exercice, c’est de s’imposer de ne pas savoir sur quoi on écrira la semaine suivante. L’autre soir, un type vous parle du dernier Giesbert en des termes qu’on appelle le bouche à oreille : “Il faut lire la page 80.” Avant de foncer l’acheter en entier, vous cherchez la page 80 sur Internet, la trouvez même en photo et lisez :

“Le même jour, alors que je sortais d’un petit déjeuner avec Nicolas Bazire, j’avais croisé le Premier ministre, toujours rose de bonheur, mais le regard noir, très noir. Sa main gélatineuse me prit par le bras et m’entraîna dans la salle d’attente, jusqu’à la fenêtre qui donne sur la cour de Matignon. Je sens encore son haleine de vieille camomille me chatouiller les narines.

C’était le 21 février 1994. J’ai retrouvé mes notes de l’époque et je peux restituer notre conversation. Pas un mot sur le journal du jour mais un long dégueulis d’insinuations fielleuses :

“Vous savez que nous sommes très bien informés, dans cette maison.
- C’est la tradition, murmurai-je, histoire de dire quelque chose.
- Faites attention, nous savons beaucoup de choses. Beaucoup, vraiment beaucoup.
- Sur moi ?
- Par exemple.
- Et alors, qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ?
- A vous rien, peut-être, mais à vos proches…”
Il y eut un silence de sidération, comme celui qu’aurait provoqué un rat traversant à vive allure la salle d’attente de Matignon.
“Que voulez-vous dire ? ai-je fini par demander d’une voix blanche.
- Oh, rien. C’est à vous d’imaginer.
- Si vous faites allusion à ma vie privée…
- Je n’ai rien dit, gloussa-t-il comme une grosse poule.
- Si c’est le cas, sachez que ma femme est au courant de mes écarts…
- Il n’y a donc pas de problème”, ironisa-t-il.

Le Premier ministre avait compris que je bluffais. Il était mou, lâche et fourbe, mais il n’était pas bête. Il savait que j’étais une machine à aimer, une machine emballée que je ne contrôlais plus. Je pris congé de lui avec le sentiment d’avoir été sali et une envie irrépressible de me laver les mains. Il est vrai que cet homme semblait toujours vous présenter son postérieur avec sa bouche en forme de fondement, ce qui expliquait son air si pénétré. Son menton même, si proéminent, aurait pu passer pour une paire de fesses, couchée sur le côté.”

Vous interrogez ensuite quelques personnes sur cette page, vous leur montrez. La moitié d’entre ce panel hausse les épaules en disant “et alors, ça t’étonne ?”. A trop consommer de fiction, certains perdent le sens de la réalité. Le haussement d’épaules devient une forme de réponse instinctive aux événements.

FOG est un animal étrange, un mouton à cinq pattes, à le lire. Jeune, il dirige Le nouvel Obs avec une réputation déjà droitière (c’est-à-dire centre droit, vu de l’Obs) ; ensuite, il dirige le Figaro qu’il est accusé de gauchir (centre droit, vu du Figaro). Enfin, il dirige Le Point, hebdomadaire de centre droit, et là, on ne l’accuse plus de rien.

Son dernier livre est malin. Le pitch : FOG est dégoûté de la politique ; quand il petit-déjeune avec Sarkozy, il entend des voix qui lui disent couche-toi ou casse-toi. Il décide alors d’écrire son testament de journaliste politique. Ce sont ses adieux à la scène, aussi taraudants que l’hypothèse de la candidature de Sarkozy en 2017. On s’interroge, soudain inquiet : résistera-t-il à la tentation ou est-ce son retenez-moi ou je fais un malheur ? Réponse au prochain livre.

Son dernier fait de gloire journalistique était d’avoir décrété à la parution de ses précédents livres politiques (La Tragédie du président, 2006, et M. Le Président, Flammarion, 2011) que le “off” n’existait pas, ou plus, en tout cas qu’il avait décidé de s’en défaire, sinon dans son journal, du moins dans ses livres.

Comme une cantatrice qui vend ses bijoux un à un en fouillant dans son coffret, il dépouille depuis des carnets à spirale. Tout le monde sait désormais que son truc c’est le carnet à spirale, il en a des dizaines, n’attendant que d’être rouverts. Pour le stylo, on ne sait rien encore. Feutre ? Plume ? Pour un peu, on croirait qu’ils renferment le nom de l’assassin de Kennedy, ses carnets. C’est malin, ça crée du désir, comme on dit chez Havas. En 2006, il avait donc dézingué Chirac et Villepin pour 20 euros avant de traîner Sarkozy et quelques autres dans une boue salvatrice. Ne se souvenant pas d’avoir lu de tels propos dans son hebdomadaire, l’on s’étonne alors de cet étrange métier qui en France consiste encore à écrire des articles tièdes et à garder le plus chaud pour des livres.

C’est à lui qu’on doit le fameux “la France a envie qu’on la prenne, ça la démange dans le bassin” de l’impayable Villepin, ou encore la révélation que Sarkozy était passé de l’inculture à la culture, de la lecture de L’Equipe à celle de Télérama. Sarkozy ne l’en avait pas remercié puisqu’il n’a eu de cesse, ces dernières années, de vouloir sa peau.

Si journalistiquement, FOG est flou, politiquement, il est simple à cerner : les 35 heures lui font voir rouge. Ce en quoi on le suit, d’ailleurs. La séquence où il raconte que Hollande (qu’il aurait vu Président dès 2004) lui a signifié d’un silence qu’il était lui aussi opposé aux 35 heures est instructive. FOG serait parvenu à lui faire lâcher du bout des lèvres qu’Aubry, avec cette loi, avait coupé le lien historique entre la gauche et la valeur travail et que depuis, la droite s’en était emparée et la gauche était, à ce sujet, désemparée. Une information politiquement importante à laquelle personne ne réagira. Personne n’interrogera Aubry sur ce point. Personne ne questionnera non plus Balladur sur la véracité (dont on ne doute pas un instant) de l’accusation de basse police et de chantage mesquin dévoilée par FOG.

Donc, Giesbert nous raconte qu’il n’y croit plus, et se résume lui-même un grand nombre de fois dans son livre en “vieux chroniqueur ronchon”. Il le répète tellement souvent qu’on finit par en douter, ou alors, c’est qu’il veut s’en persuader. Il évoque sans cesse les oliviers provençaux qu’il a dû abandonner le temps d’écrire cet ultime livre politique. Il ne leur a pas dit, à ses oliviers, qu’à Paris, il cultivait en cachette quelques marronniers. Elevé à la ferme, ce Provençal tardif se chercherait donc encore.

Parmi les autres saillies qu’on aurait aimé lire en leur temps et non après la bataille, celle sur DSK :

“La meilleure façon de ne pas se tromper, c’est de prendre le contre-pied des perroquets du parisianisme. Ils ont toujours le chic pour se tromper. Après s’être amourachés d’Edouard Balladur et de tant d’autres fausses valeurs, ils s’étaient épris de Dominique Strauss-Kahn, qui se présentait pour faire plaisir à sa femme. Une grosse blague aux poches bien bourrées, le ventre avantageux, les yeux vides, incarnation du laisser-aller moral et physique, avec un charisme de motte de beurre. Un chef de rayon noctambule et dilettante, qui, pour un bon pourboire, aurait vendu la France. Y compris la tour Eiffel.

Par Dieu sait quel mystère, il avait tout le monde pour lui. Le Cac 40. Les médias. Les socialistes. Les rentiers, les élégances parisiennes. Pas mal d’intellectuels. Les bourgeois. Les artistes. La plupart de mes potes. Il ne lui manquait que la victoire qui, de toute façon, était écrite. Tous les politolocailleurs de France en convenaient.”

Ah ! si FOG avait un journal, il aurait pu écrire ce qu’il pensait de DSK avant.

Pierre-Louis Rozynès

 

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