Economie

Grèce : l’Europe au secours des spéculateurs

1 mars 20120
Grèce : l’Europe au secours des spéculateurs 5.00/5 1 votes

Publié le : 29 février 2012

Source : lepoint.fr

Après avoir tout fait pour éviter l’activation des CDS, les Européens retournent leur veste. Au risque de récompenser la spéculation.

Les CDS (credit default swaps, en français : contrats d’échange sur le risque de défaut) sur la dette grecque vont-ils finalement être activés ? C’est à un petit cercle d’initiés regroupant des acteurs majeurs des marchés financiers des dérivés, l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association, Inc), qu’il appartient de trancher cette question qui a longtemps hanté la zone euro. Son comité européen devrait mettre fin au suspense jeudi à 12 heures en disant si, oui ou non, la perte infligée par la Grèce aux investisseurs privés à l’occasion de la restructuration de sa dette constitue un « événement de crédit ». Et, par voie de conséquence, si les acteurs financiers qui ont acheté ces titres d’assurances sur la dette grecque vont pouvoir se faire dédommager en cas de participation au plan d’échange d’obligations proposé par Athènes à ses créanciers privés.

Depuis des mois, les Européens disent vouloir éviter une telle issue au motif que cela récompenserait les spéculateurs et que cela aurait des conséquences inconnues sur le système financier européen. Et pour cause : nul ne semblait capable de déterminer qui profite et qui pâtit de l’activation des CDS. Banques, hedge funds, beaucoup d’acteurs se sont laissés tenter par le pot de miel, sans qu’il soit possible de savoir qui étaient les assureurs et qui étaient les assurés !

Pousse-au-crime

La spéculation sur ce marché de gré à gré opaque est d’autant plus facile qu’il n’y a pas besoin d’être détenteur de dette d’un État pour se porter acquéreur de CDS souverain. Le profit paraît facile. Plus le risque de défaut augmente comme en Grèce, plus la valeur du CDS grimpe. Il suffit alors de le revendre pour empocher une plus-value. Un mécanisme qui a la particularité de pousser au crime. C’est comme si on permettait à un particulier de s’assurer contre le risque-incendie de la maison du voisin… Une bonne raison de contribuer à y mettre le feu ! Le jeu est d’autant plus pervers que les CDS, utilisés comme un thermomètre du risque de la dette souveraine des États, contribuent à créer la panique lorsque leur prix grimpe.

Pire, en cas de défaut, les émetteurs de CDS, qui se sont improvisés assureurs de dette souveraine pour profiter d’une manne facile, sont pris au piège. Ils se retrouvent obligés de payer une indemnisation qu’ils ne sont en fait pas toujours en mesure d’assumer tant les montants sont importants. Le risque est alors celui d’une faillite pure et simple susceptible de contaminer l’ensemble du système financier.

La France et la Banque centrale européenne ont donc scrupuleusement veillé à ce que la restructuration de la dette grecque reste « volontaire », seule façon d’empêcher que l’ISDA ne décrète l’activation des CDS. Du coup, seuls les banques et les fonds de bonne volonté pourraient prendre leur perte sur la dette grecque. C’est ce qui explique que la négociation avec les créanciers privés détenteurs de dette grecque ait duré plusieurs mois et ait connu de multiples rebondissements.

Retournement de veste

Pourtant, à quelques heures de la décision de l’ISDA, le discours des Européens s’infléchit. Ils ont, semble-t-il, enfin pu démêler l’écheveau des engagements réciproques entre tous les acteurs financiers. Et ne semblent plus aussi effrayés par les conséquences potentielles de l’activation des assurances. « Les CDS sont souvent impopulaires dans la presse française, à tort. Les investisseurs doivent pouvoir s’assurer qu’ils peuvent être dédommagés en cas de défaut », explique une partie prenante du dossier grec. « On aurait plus à perdre à ne pas voir les CDS déclenchés que l’inverse. » La raison invoquée ? « La dette portugaise (autre pays en difficulté et sous assistance de l’UE, NDLR) est difficile à faire financer, car les acteurs financiers ne savent pas si elle est assurable. »

Une façon d’avouer que les Européens croisent maintenant les doigts pour que l’ISDA décide… d’activer les CDS ! Sauf que la restructuration grecque étant officiellement volontaire, cela pourrait ne pas être le cas. D’autant que, ironie du sort, cette association professionnelle, dont le comité européen regroupe de nombreuses banques*, n’y a pas forcément intérêt. Certains de ses membres, qui ont vendu des CDS aux investisseurs, seraient en effet obligés de les dédommager…

L’espoir des Européens tient donc en trois lettres : CAC (pour clause d’action collective). La Grèce a décidé au dernier moment d’introduire ces dispositions juridiques dans sa législation pour contraindre tous les investisseurs, qu’ils le veuillent ou non, à participer à la restructuration de sa dette. Ce qui pourrait mener l’ISDA à décréter l’événement de crédit finalement espéré.

Par

* (Bank of America / Merrill Lynch, Barclays, BNP Paribas, Credit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, JPMorgan Chase Bank, Morgan Stanley, Société générale et UBS) et des fonds (BlueMountain Capital, Citadel LLC, D.E. Shaw Group, Elliott Management Corporation, Pacific Investment Management Co., LLC).


 

EmailPrintFriendlyBookmark/FavoritesFacebookShare

Mots clés : , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*