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Etats Unis : guerre mémorielle et globalisation de l’histoire – Par Karine Bechet-Golovko

22 août 20170
Etats Unis : guerre mémorielle et globalisation de l’histoire – Par Karine Bechet-Golovko 5.00/5 2 votes

Publié le : 22 août 2017

Source : comite-valmy.org

 

La crise politico-sociale aux Etats Unis autour des monuments confédérés n’en finit pas. Déboulonner les monuments la nuit, brûler les drapeaux au milieu de cris de joie, plus qu’un défouloir populaire, c’est le signe d’un virage idéologique radical, qui jusque-là avait épargné les Etats Unis. La guerre mémorielle qui touche notre voisin Outre-atlantique n’est que la conséquence logique de la radicalisation idéologique qui s’étend sur nos sociétés. Un monde global ne peut avoir qu’une histoire globale, elle doit donc être « nettoyée » en permanence, à l’image de Wikipedia, version McDo d’Universalis.

Monuments et mémoire collective

Les monuments jouent un rôle central dans la construction de la mémoire collective d’une Nation. Ils marquent les symboles autour desquels vont se jouer les processus d’identification, mettent en avant les « grands moments » de l’histoire nationale et les « grands hommes » qui l’ont faite. Il ne s’agit pas de poser objectivement ce qui s’est passé et qui l’a fait, il s’agit de construire un discours qui va fédérer un peuple, l’unifier, autour d’une vision du monde. Donc d’une idéologie.

C’est justement à la fin de l’URSS que l’on a vu la chute des statues devenir une méthode politique de marquage idéologique. Comme les bolcheviques avaient pratiqué les actes individuels de contrition publique, le libéralisme triomphant pratique l’acte de contrition collectif. La société doit collectivement rejeter son passé non libéral et le signifier au monde entier par la destruction de ses statues. Elle rejoint ainsi le clan du Bien et des bons, les brutes et les truands restant hors caméra.

Le scénario est bien ficelé, il a parfaitement marché pour l’espace post-soviétique, où les statues sont tombées comme des mouches, il a été réemployé lors des guerres de « libération » menées par l’Occident, en Irak par exemple, où l’on se souviendra de la surmédiatisation de la destruction de la statue de Saddam Hussein, symbole de la victoire du Bien sur le Mal. Le pays s’est enfoncé dans le terrorisme, l’état est défaillant, mais peu importe. Cela a été repris pour les besoins de la cause en Ukraine après le coup d’état organisé par les Etats-Unis et avec l’aide de pays européens, l’histoire publique est réécrite : destruction des statues, changement de nom de rues et de villages.

L’histoire se réécrit en fonction de besoins conjoncturels, mais le processus répond à une vision stratégique : appuyer la victoire d’un clan idéologique sur une mémoire collective adaptée, ce qui implique le nettoyage des images et des discours.

Le démontage des Etats-Unis

Ceci est finalement bien connu. Le plus surprenant est de voir ce processus à l’œuvre aux Etats-Unis, pays exportateur de guerre mémorielle, puisque considéré comme le cœur du processus de globalisation. Voyons cette scène, qui se passe à Durham, en Caroline du Sud, où des « pacifistes anti-fascistes » détruisent une statue de soldat confédéré. Elle nous rappelle la fureur et la bestialité à l’oeuvre en Ukraine ou en Irak.

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Etrangement, cette statue a été construite en 1924, à l’époque d’une tentative de politique de réconciliation nationale, notamment envers les amérindiens qui obtiennent enfin la nationalité américaine (Indian Citizenship Act), et d’une politique de contrôle de l’immigration, par le renforcement des quotas et le renforcement du contrôle de la frontière avec le Mexique.

Les affrontements de Charlottesville ont servi de détonateur. La ville a décidé de démonter la statue du Général Lee, figure centrale de la guerre de Sécession. Une manifestation contre le démontage a donc été organisée, bien que non autorisée (note de La Plume : ceci est une erreur factuelle, la manifestation de protestation contre le démontage de la statue était tout à ait autorisée, parfaitement légale). Des confrontations avec les partisans du démontage furent inévitables. Jusque-là rien d’inhabituel. Jusqu’au moment où la victime sacrificielle est apparue … sous les roues d’un conducteur « d’extrême droite », qui a jeté sa voiture dans la foule. Ce qui est intéressant est que personne ne connaissait les sympathies de ce conducteur pour l’extrême droit avant la tragédie et qu’il n’appartient à aucun mouvement d’extrême droite.

Mais le cocktail est prêt et la machine est lancée, alors que le démontage a lieu depuis des mois. Trump n’intervient pas assez vite au goût de la presse, puis pas assez bien. Finalement il doit lui aussi faire un acte de contrition et dire que le KKK n’est pas fréquentable, ce qui est une lapalissade. Mais lorsque la parodie de la bonne foi médiatique bafouée atteint le stade de la nausée, il a le malheur de rappeler que parmi les manifestants, de part et d’autres, il y a des responsables, des provocateurs, et qu’il n’y a pas que des KKK et des suprémacistes racistes qui s’opposent au démontage.

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La fureur médiatique se lance encore plus fort. Surtout qu’il ose demander, avec un bon sens dont il n’est pas toujours partisan, jusqu’où va aller la folie du nettoyage historique.

La question se pose en effet. En Virginie, le Gouverneur demande de déboulonner les monuments de nuit pour éviter les confrontations, le maire de New York propose d’enlever la plaque commémorative de Pétain datant d’avant la Seconde Guerre Mondiale, un drapeau confédéré est brûlé à Boston qui s’enflamme aussi. L’histoire doit être simpliste, des hordes bestiales nourries par l’inculture sont lancées pour la démonter.

Finalement, dans toute cette tornade médiatico-sociale, il est reproché à Trump de ne pas jouer la carte de la guerre des communautés et de tenter de les réconcilier pour éviter l’explosion. Assez surprenant quand même. Quelques conclusions s’imposent à ce stade des évènements.

1) Le communautarisme ne fonctionne pas.

L’élection d’Obama a redonné des espoirs aux noirs d’obtenir une revanche. Ils ne l’ont pas eue, Obama était le candidat d’un système qui avait besoin de jouer cette carte, non pas de défendre les droits des noirs. Trump, qui a été élu à la surprise générale, a laissé croire par son discours conservateur que l’extrême droite pourrait elle aussi avoir sa revanche. Ces espoirs aussi ne furent pas satisfaits, il n’a pas soutenu le KKK ou les suprémacistes, mais cherche un compromis pour cette société multiculturelle, crispée sur ses différences. Autrement dit, les différentes communautés ne vivent pas ensemble, elles vivent les unes à côté des autres, chacune cherchant à dominer dans le contexte politique. En jouant la carte du diviser pour mieux régner, l’état profond risque de faire exploser le système qui reposait sur un mythe ; celui de la cohabitation pacifiée et acceptée.

2) L’Etat profond, ou de Deep state, n’est pas les Etats-Unis.

L’on a tendance à considérer les Etats-Unis comme le centre névralgique de la globalisation. Mais l’on confond l’état profond, celui qui dure quels que soient les changements électoraux, avec les Etats Unis dans leur ensemble. L’élection surprise de Trump a remis sur le devant de la scène ces Etats-Unis méconnus et méprisés par la communauté internationale globalisée.

Un clan idéologique, néoconservateur aux Etats-Unis ou néolibéral en Europe, monopolise le discours politique et médiatique, constituant ainsi « l’opinion publique », en dehors de laquelle il n’est point de salut. S’ils viennent étrangement de la droite financiariste, l’idéologie s’est emparée des mouvements de gauche de type révolutionnaire (trotskistes et néo-trotskistes) pour accoucher d’un monstre globaliste détruisant la répartition gauche/droite, comme l’illustre Macron en France. Ce que certains appelaient la fin de l’idéologie : puisqu’il n’y en a qu’une et qu’elle ne peut accepter la concurrence, nous ne sommes plus censés la voir. Il y aurait ainsi des pacifistes de gauche, qui ne peuvent qu’être pacifistes, sous la carte antifas, altermondialistes et autres foutaises pour esprits simplifiés, face à une droite identifiée à l’extrême droite dès qu’elle n’est pas mondialiste. Et pour être certains de ne pas se tromper, l’on sort même quelques croix gammées, symbole particulièrement bien instrumentalisé ces derniers temps, pour bien montrer où sont les méchants, ceux-là étant historiquement incontestables.

Dans cette furie, le dernier conseiller tant décrié de D. Trump, Steve Bannon, déclare que la présidence de Trump, celle pour laquelle ils se sont battus et ont été élus, est terminée. C’est pourquoi il part, mais le combat va continuer, ailleurs.

La question qu’il reste à résoudre reste de savoir jusqu’où les néoconservateurs sont-ils prêts à détruire le navire s’il ne les conduit pas à bon port ? Et jusqu’où les véritables anti-globalistes, qui ne constituent pas l’état profond et n’ont rien à voir avec ces mouvements altermondialistes téléguidés, sont prêts à aller pour empêcher que le navire ne continue à s’éloigner du port des états démocratiques souverains ? D’une certaine manière, une bataille idéologique décisive se livre aux Etats Unis.

Karine Bechet-Golovko

 

 

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