Publié le : 06 mars 2017
Source : zeit-fragen.ch
Il y a 15 ans, le 11 février 2002, j’écrivis pour la première fois à propos de la Conférence sur la sécurité de Munich (« La guerre mondiale est planifiée »). Déjà à cette époque, le sénateur américain John McCain, intervenant lors de cette réunion, apparaissait ouvertement comme faisant partie du parti belliciste.
Pour ce sénateur des Etats-Unis, la guerre en Afghanistan, démarrée quelques semaines plus tôt, n’était qu’une avant-garde d’une guerre à mener dans le monde entier. Il s’agissait, selon McCain, « de créer un monde nouveau » ce qui signifiait pour les Etats-Unis et leurs alliés militaires: « Nous sommes chargés de cette mission devant l’Histoire. »
John McCain est resté fidèle à ses plans de jadis, y compris en cette année. Il n’a toujours pas saisi que ce plan d’alors du gouvernement américain n’était plus réalisable, le monde s’étant transformé. En 2002, le pays était au sommet de sa puissance, léguant au cours de ces 15 dernières années un véritable désastre, en destructions et en victimes, perdant fortement en considération dans le monde. Malgré cela, certaines personnes comme John McCain croient toujours à la « victoire finale », grâce peut-être à leurs « solutions miracles ».
John McCain félicite Angela Merkel
Cependant, il y a un changement chez le sénateur McCain. Lui, la grande voix du parti belliciste, s’est fendu en « compliments » pour le gouvernement allemand et la chancelière Angela Merkel: « Il n’est pas donné à tous les Américains de comprendre le rôle essentiel joué par l’Allemagne et son honorable Chancelière Merkel dans la défense des conceptions et de la conscience de l’Occident. Permettez-moi donc de dire merci au nom de tous ceux qui en ont conscience. »
En réalité, du fait du changement de gouvernement aux Etats-Unis et après son « briefing » par l’ancien président des Etats-Unis, Barack Obama, à la fin de l’année dernière, la chancelière se trouve en première ligne du parti belliciste, secondée par sa ministre de la Défense, Ursula von der Leyen. Le SPD ne joue qu’un rôle mineur, comme cela ressort du discours du ministre des Affaires étrangères, Siegmar Gabriel, leur rôle se limitant à calmer les inquiétudes. Le parti a perdu tout pouvoir dans le domaine des relations extérieures.
Ursula von der Leyen mène la barque
C’est Ursula von der Leyen qui donne le ton à Munich, alors même que ses louanges des interventions militaires allemandes un peu partout dans le monde ne tiennent pas la route. Ses félicitations prononcées face à la Lituanie dans le contexte de l’engagement militaire allemand dans le pays furent particulièrement embarrassantes.
Pourquoi la ministre n’a-t-elle pas émis le moindre mot concernant les discriminations dont souffre la minorité russe dans le pays ? C’eut été honnête et cela aurait pu contribuer à la paix. Mme von der Leyen ne fit cela ni pour le compte des Allemands ni avec leur appui – ses donneurs d’ordre se trouvent ailleurs.
La chancelière allemande se présente toute « soft » …
La chancelière allemande a endossé un autre rôle à Munich. Angela Merkel apparut « réfléchissante » et « soft ». Elle plaida pour des « structures internationales multilatérales » en pensant à l’UE, à l’OTAN, à l’ONU et au G20. Mais pas un mot sur la structure qui fut la plus apte à surmonter le fossé Est–Ouest d’avant 1990, soit l’OSCE. En revanche, elle préféra appuyer sa ministre : « Nous nous engagerons davantage en matière de politique de défense. » Il n’y aura toutefois pas d’indépendance européenne, car « la capacité de défense européenne ne doit jamais apparaître comme une alternative à l’OTAN », elle doit toujours « se soumettre aux capacités de cette dernière ». C’est certainement ce qu’elle a dû promettre à Obama afin de pouvoir « diriger l’Europe ».
Angela Merkel en revint à la situation en Ukraine, en prêtant allégeance au parti belliciste : « Le rôle de l’OTAN a, une fois de plus, gagné en importance, de triste façon, par l’annexion de la Crimée et les combats dans l’Est de l’Ukraine où la Russie soutient les séparatistes. » Cette situation provoque « de grands soucis » et crée une « forte insécurité » du fait que « le principe de l’intégrité territoriale, ayant créé en Europe la sécurité et la paix à la suite de la Seconde Guerre mondiale, ait été violée ».
… pour mieux mener les populations par le bout du nez
C’est vraiment le comble de l’indécence de mener les populations des pays européens ainsi par le bout du nez – car dans ces quelques phrases rien ne correspond à la réalité.
Pour mémoire : les frontières en Europe ont été modifiées à plusieurs reprises après 1990, parfois avec une forte participation (guerrière) allemande : par exemple avec la dissolution violente de la Yougoslavie depuis 1990 (L’Allemagne a reconnu comme un des premiers pays « l’indépendance » de la Slovénie et de la Croatie). L’Union soviétique elle-même s’est effondrée fin 1991/début 1992 laissant la place à de nouveaux Etats en Europe : les Etats baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan – tout ceci sans consultations populaires – aucun des pouvoirs participants ne se préoccupa du droit international – car c’était la volonté politique des puissants d’alors.
La péninsule de Crimée a appartenu pendant des siècles à la Russie, avant d’être « offerte » à l’Ukraine en 1954 – sans que sa population ait été consultée. Une forte majorité de la population de la Crimée s’est prononcée, lors d’une consultation populaire à la suite du coup d’Etat à Kiev au printemps 2014, en faveur de la sortie de la structure étatique de l’Ukraine pour devenir membre de la Fédération de Russie. Les jugements portés en matière de droit international sur les événements du printemps 2014 divergent. Les professeurs de droit public et de droit constitutionnel, tels que Markus Merkel, Karl Albrecht Schachtschneider ou Alfred de Zayas analysent cette affaire autrement que Mme Merkel.
La situation en Ukraine orientale est particulièrement complexe. Les experts de l’OSCE se trouvant sur place estiment que chacune de parties au conflit (le gouvernement de Kiev, les troupes de mercenaires sur le terrain et les prétendus séparatistes) font avant tout de la propagande, en voulant atteindre leurs « objectifs de guerre ». Les descriptions très concrètes du Ministre russe des Affaires étrangères, en réponse à une question à Munich (1) valent la peine d’être consultées, car elles présentent des aspects différenciés, ne concordant guère avec la vue « occidentale » de la situation. Les affirmations de la chancelière ne sont cependant que de la poudre aux yeux et ne servent pas au but primordial : de faire taire les armes pour de bon et de laisser les populations décider elles-mêmes en toute liberté de la façon dont elles désirent vivre.
Quand Mme Merkel cessera-t-elle de mettre de l’huile sur le feu ?
En résumé : ce serait un bienfait pour l’entente entre les populations que Mme Merkel (et son gouvernement) sache différencier et rechercher la vérité. Mais elle s’en abstient en toute conscience et en rajoute en jetant de l’huile sur le feu. On ne peut en tirer qu’une conclusion : Angela Merkel fait partie du parti belliciste. Ô combien plus précieuse eut été, à la conférence sur la sécurité de Munich, une contribution allemande exprimant ce que quiconque à l’Est comme à l’Ouest devrait rechercher le plus sérieusement possible : une voie honnête vers une paix juste.
Karl Müller
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