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« Le bilan d’honnêteté » du renseignement américain est « lamentable » – Entretien avec John Kiriakou, ex-analyste de la CIA

16 janvier 20170
« Le bilan d’honnêteté » du renseignement américain est « lamentable » – Entretien avec John Kiriakou, ex-analyste de la CIA 5.00/5 3 votes

Publié le : 11 janvier 2017

Source : francais.rt.com

Le dernier rapport du renseignement américain abonde en accusations à l’égard de la Russie, mais manque de preuves concrètes. Ex-analyste de la CIA, John Kiriakou, estime que le peuple américain ne croira plus ses politiciens sur parole.

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RT : Le directeur du FBI, James Comey, affirme que l’accès au serveurs du Parti démocrate a été refusé à son agence. Les démocrates étaient pourtant les premiers à accuser la Russie de piratage, pourquoi n’ont-ils donc pas laissé le FBI enquêter ?

John Kiriakou (J. K.) : C’est vraiment une question à 64 000 dollars. Aujourd’hui, je ne cesse d’entendre des élus du Capitole dire que les preuves retenues contre la Russie sont accablantes. Ils utilisent tous ce mot. En fait, si vous regardez ce rapport publié par le Parti démocrate, les preuves ne sont pas accablantes, et si on l’ajoute à cela le fait que les démocrates n’ont pas permis au FBI d’accéder à leurs serveurs, cela me laisse simplement penser qu’il n’y a rien derrière cette histoire.

RT : Le FBI déclare qu’il a obtenu ses preuves auprès de sociétés privées. Pourquoi transmettraient-elles des informations, contrairement au Parti démocrate ?

J. K. : Le FBI utilise quelque chose qui s’appelle une « lettre de sécurité nationale » avec les entreprises de communication qui proposent l’hébergement e-mail. Alors, au lieu de devoir obtenir une assignation ou subpœna de la part d’un juge, le FBI rédige cette lettre de sécurité nationale, la présente aux entreprises de télécommunication, et cela a le même effet qu’une assignation : il peut obtenir toutes les informations qu’il veut, tout, des e-mails aux informations des fournisseurs d’accès internet, absolument tout ce dont il a besoin pour son enquête.

RT : Vous avez fait partie de la communauté du renseignement, ces rumeurs sont elles fiables ? Dans le passé, il y a eu au moins un incident avec une déclaration erronée du chef des services de renseignement…   

J. K. : Oui, en fait, je pourrais dire que je ne fais pas vraiment confiance aux informations fournies par la communauté du renseignement qui sont destinées à être consommées par le peuple américain. Le bilan de la CIA concernant son honnêteté par rapport au peuple américain, est franchement lamentable. Comme vous l’avez correctement souligné, le bilan personnel du général James Clapper est également assez piètre. Alors, à moins de voir une preuve concrète, et il doit y avoir des preuves si ce piratage a effectivement eu lieu, au moins une « trace électronique » menant au point d’origine. Nous n’avons vu aucune trace électronique, nous n’avons rien entendu du directeur de la NSA, qui dirait qu’il y a eu un piratage réussi. Cela me porte à croire qu’une telle preuve n’existe pas.

RT : Est-ce que le renseignement américain exerce une pression pour recevoir des informations ? L’imposition de nouvelles sanctions aura probablement des conséquences sur les relations entre la Russie et les Etats-Unis, sinon sur la sécurité globale, mais ces rumeurs de piratage ne semblent pas toujours fiables. En déclarant de telles choses, le renseignement a-t-il obtenu une marge de manœuvre ?

J. K. : Exactement. Et c’est de nature analytique. Il y a deux façons dont la communauté du renseignement peut traiter cela. Ils peuvent recueillir des faits, concrets, froids et les présenter comme des preuves. Mais, en l’absence des faits, ils donnent la parole aux analystes qui tirent des conclusions analytiques basées sur des petits riens disparates qu’ils sont capables de recueillir. Nous sommes ici dans cette situation. Nous avons quelque chose qui a été trituré par les analystes de la CIA  et ils ont présenté des conclusions analytiques fondées sur les faibles preuves qu’ils possèdent. Nous n’avons pas de preuve irréfutable qui laisse croire que cela a eu lieu.

RT : Quant au piratage, Pensez-vous que le piratage pourrait devenir, aux Etats-Unis, la première démocratie du monde à la sécurité la plus évoluée, une menace croissante de la part d’un autre pays ?

J. K. : Non, je ne pense pas qu’il y ait une menace croissante. Une menace réelle contre la démocratie et des élections démocratiques, aurait découlé du fait que la Russie ou un autre pays ait hacké les machines de vote ou la Commission électorale fédérale ou les commissions électorales locales des différends Etats. Cela ne s’est pas passé. C’est le cœur lourd que j’en parle, parce que j’ai été démocrate tout au long de ma vie. La réalité, c’est qu’Hillary Clinton était une candidate terrible. Il y a une preuve qui démontre qu’elle avait pratiquement volé la candidature à Bernie Sanders. C’est pourquoi Hillary Clinton a perdu ces élections et pas à cause d’un scandale de piratage.

RT : Le président de la Commission du Sénat sur le renseignement a récemment déclaré que la démocratie américaine n’était pas exposée au risque de piratage en dépit de l’ingérence présumée de la Russie dans les élections américaines. Alors pourquoi une telle hystérie ?

J. K. : C’est cela qui m’amène à croire qu’il n’y a pas de preuve de piratage. Parce que si une telle preuve existait, le président de la Commission du Sénat sur le renseignement, Richard Burr, l’un des élus les plus conservateurs et pro-CIA du Capitole, n’aurait jamais dit ça.

RT : De nouvelles sanctions sont aussi à l’ordre du jour dans relation entre Washington et Moscou. Estimez-vous que des preuves doivent être présentées avant la prise de mesures plus sévères ?  

J. K. : Tout à fait, les jours où un politicien américain pouvait dire aux Américains de le croire sur parole sont révolus. Franchement, nous n’avons pas de confiance en nos représentants élus, nous ne les suivons et nous ne les croyons pas, lorsqu’ils disent que nous serions d’accord avec eux si nous savions ce qu’ils savent. C’est trop tard pour cela. En 2017, nous avons besoin de voir des preuves.

RT : Le directeur de la NSA, James Clapper, dit qu’il ne sait pas si RT doit être présent aux Etats-Unis, la chaîne a été mentionnée dans certaines déclarations. Comment cette chaîne est-elle devenue un sujet central du rapport, en l’absence de toute preuve ?

J. K. : Cette histoire ridicule a commencé dans le Washington Post il y a trois ou quatre semaines. En fait, ils ont énuméré une trentaine ou une quarantaine de médias qui étaient prétendument les larbins de la propagande russe, volontairement ou involontairement, bien sûr avec RT en haut de la liste. Mais la plupart des médias de la « gauche progressiste » américaine figuraient aussi sur cette liste. Je peux vous dire que je collabore avec quatre de ces médias et que j’apparais sur RT régulièrement. Ma propre expérience atteste que cette idée est simplement absurde.

RT : Pourquoi le FBI s’est-il adressé directement aux compagnies privées pour obtenir des informations dans cette affaire ?

J. K. : Tout d’abord, il y a une méfiance innée entre la Parti démocrate et le FBI à cause du rôle que le directeur du FBI, James Comey, a joué dans cette élection. Ces deux organisations ne s’aiment pas vraiment. On dirait donc que le Parti démocrate, en tant qu’institution, n’a pas voulu coopérer avec le FBI car il sentait peut-être que le FBI cherchait à recueillir plus d’informations que cela n’était nécessaire pour l’enquête, et que, pour cette raison-précise, le parti a choisi de ne pas coopérer. Le FBI s’est donc adressé directement aux entreprises privées.

RT : Connaissez vous les organisations à cause desquelles la sécurité des serveurs du Parti démocrate n’a pas pu être garantie ?

J. K. : Je ne sais pas quelle compagnie fournissait un appui technique et une plateforme informatique au Parti démocrate. Mais je sais que John Podesta, qui était directeur de la campagne d’Hillary Clinton, utilisait Gmail, et que ce service appartient à Google. Sans aucun doute, Google est impliqué.

RT : Le département d’Etat américain insiste sur le fait que les preuves ne doivent pas être rendues publiques, qu’il faut juste faire confiance aux agences. Les gens vont-ils l’accepter ?

J. K. : Les responsables sont obligés de prouver [ce qu'ils avancent]. Ils ne peuvent pas simplement porter une accusation et dire aux Américains de les croire sur parole. Nous ne pouvons pas avoir confiance dans tout ce qu’ils disent, car tout ce qu’ils nous ont dit par le passé était un mensonge. C’est la même chose dans le cas présent. Nous ne pouvons pas les croire sur parole, il nous faut des preuves. Mais ils prétendent qu’ils ne peuvent pas nous présenter ces preuves, parce que, dans ce cas, leurs sources et leurs méthodes seraient dévoilées. C’est faux, tout simplement. Ce qu’ils peuvent faire – ça s’appelle « tear line » (ligne de déchirure) – c’est de diluer suffisamment l’information pour protéger les sources et les méthodes, mais ces informations peuvent tout de même être portées à la connaissance du public. Ils ne l’ont pas fait, et je pense que c’est simplement parce qu’ils n’ont pas de preuves.

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