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Qu’est-ce que la guerre de 4e génération ? Par Lucas

20 avril 20150
Qu’est-ce que la guerre de 4e génération ? Par Lucas 5.00/5 2 votes

Publié le : 17 avril 2015

Source : lebreviairedespatriotes.fr

La guerre de quatrième génération, plus communément appelée G4G est un concept américain inventé à West Point en 1989 et destiné à l’US Army afin de repenser la guerre. La G4G est souvent présentée comme faisant suite aux trois générations qui la précèdent, à savoir  la guerre des masses en armes, celle de la puissance de feu et enfin, la blitzkrieg. Elle se définit globalement et de manière classique comme la guerre de l’information, impliquant des populations entières, dans tous les domaines (politique, économique, social et culturel). [1]

La G4G en gestation lors de la guerre Froide

La G4G, en rupture donc avec cette idée de guerre absolue et de guerre totale ou des forces s’opposent frontalement dans un contexte de guerre conventionnelle, a pu se développer progressivement lors de la Guerre froide, et particulièrement à partir de l’époque de Johnson et Brejnev. La Guerre froide fera apparaître dans les faits l’application de la doctrine de Galula, qui consiste à mettre fin aux  buts de guerres pour penser la guerre en termes de préemption et de domination. En effet, on entre ici dans une ère du faux, de la projection et de la manipulation spectaculaire. Si on analyse macroscopiquement la guerre froide, on constate qu’elle dispose d’une « façade » ou se joue une course à l’armement et ou la dissuasion maintient l’effroi par une stratégie de la tension. Néanmoins, on s’aperçoit aussi que parallèlement, de nombreux conflits « semi caché » se sont développés, jouant principalement sur les mentalités, des guerres subversives souvent situées à la périphérie de l’affrontement.

Concrètement, ce sont par différentes opérations de déstabilisation en Amérique latine ou encore en Iran avec les opérations Ajax (renversement de Mohammad Mossadegh) [2], PBSUCCESS (renversement de Guzman au Guatemala) et FUBELT (renversement de Salvador Allende au Chili) que s’est développé le rôle des forces spéciales, rapides et discrètes , qui présentent à la fois un coût réduit et une efficacité inestimable par les déstabilisations qu’elles entrainent. L’ensemble de ces conflits seront ainsi le terrain d’essai des guerres contre-insurrectionnelles, tout comme le furent pour la France certaines déstabilisations menées au sein de nos anciennes colonies françaises. Comme nous l’explique Philippe Baumard : « La société du « ni guerre, ni paix » de l’après-guerre est aussi celle d’un nationalisme introverti, qui accepte l’émancipation des colonies avec amertume, tout en organisant par la violence indirecte la contre insurrection et les assassinats politiques. Dans un tel contexte où les tensions peuvent dégénérer à n’importe quel moment, la guerre psychologique est de fait la meilleure option en incapacité stratégique ». [3]

L’après 1991 : la nouvelle trinité «  mer, opinion et commerce »

L’ensemble de ces expériences et la rupture conceptuelle de Galula amènent une nouvelle doctrine d’action stratégique que l’on appelle « les guerres sans nom » au sein desquelles va prévaloir la guerre cognitive, les déstabilisations et l’asymétrie des conflits. La chute de l’URSS en 1991 va bien évidemment encourager ce phénomène, l’ennemi désigné ayant était vaincu. Les Russes avaient d’ailleurs sous-estimé cette capacité à rebondir des stratégistes américains. À ce titre on peut rappeler le mot d’Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Gorbatchev, qui avait énoncé en direction des Etats-Unis en 1989 : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi ! » [4] La période post 91 est donc une nouvelle ère ou la stratégie américaine va être clairement redéfinie pour répondre à ce défi, celui de la disparition de l’ennemi.

Les Etats-Unis se présenteront alors comme libérés du fantasme de puissance et tenteront progressivement de promouvoir l’idée que les conflits sont menés pour des causes sincères. Dès lors, la guerre de 4eme génération apparait clairement comme une guerre de l’information et du contrôle de l’opinion. Pierre Conesa souligne que la période post guerre froide va donner naissance à une guerre contre des concepts (« prolifération d’arme nucléaire », « terrorisme »), le tout porté par un sentiment de justice qui a pu prendre différentes formes au cours du temps : « lutte contre l’axe du mal », contre les « ennemis de la liberté », révélateur de cette nouvelle manière de présenter des guerres qui ne veulent pas s’avouer comme telles, ni désigner réellement ses cibles. Se battre contre un mode d’action stratégique ayant toujours existé ( le terrorisme) n’a pas de sens. On comprend que cette tactique revient surtout à créer un climat médiatique et intellectuel sécuritaire, ainsi qu’une définition de l’ennemi caricatural, vague et simpliste,  le tout enfin porté par une logique somatique afin d’établir un contrôle cognitif par le monopole de l’information et le formatage de l’opinion publique.

Un complexe « militaro-intellectuel » [5] va prendre forme, élevé dans la fascination américaine dans le contexte d’hyper puissance des années 90, pour justifier les excès d’une puissance prédatrice n’ayant aucun adversaire à sa taille. L’information, dans toutes ses définitions, est alors au cœur de la puissance comme l’explique le commandant Romanych Mary J. : « La technologie de l’information révolutionne la structure de la puissance globale, où l’efficacité du déploiement du pouvoir d’information d’un état détermine le succès que connaît celui-ci pour influencer le corps politique mondial. L’information est aujourd’hui un produit arsenalisé et la médiasphère un élément crucial de l’environnement opérationnel des forces armées. » [6]

Cette nouvelle manière de faire la guerre par l’information s’applique dans les nouvelles techniques de subversion comme confirme le rapport Special Forces Unconventional Warfare de novembre 2010 réalisé par le Headquarters Department of the Army. On peut lire dès l’introduction : « Le but des efforts de l’UW (Unconventional Warfare) c’est d’exploiter les vulnérabilités politiques, militaires, économiques et psychologiques d’une puissance ennemie en développant et soutenant des forces de résistance pour qu’elles accomplissent les objectifs stratégiques des US. Dans le futur proche les forces US s’engageront pour l’essentiel dans des opérations de guerre irrégulière. (IW) » [7].

Cette conception de la guerre, en violation du droit international et de la souveraineté des Etats, permet d’engager des conflits asymétriques et de se poser en libérateur, contraint d’assurer le rôle de gendarme du monde. On peut identifier trois vecteurs, trois faiseurs d’opinions, parfois de bonne volonté, qui constituent en partie l’agenda militaire du fait de leur imbrication avec l’infosphère : l’ONG (avec l’idée selon laquelle celui qui connait les victimes, connait les bourreaux), la diaspora (exemple de l’Arménie) et l’intellectuel médiatique (qui développera le concept de l’ingérence humanitaire).

La victimologie est, comme on peut le constater, un des leviers puissants qui permet de jouer sur une stratégie de l’émoi et ainsi, disposer d’un accès privilégié au politique [8]. Pour développer un peu plus le rôle des ONG, on peut rappeler la déclaration en octobre 2001 de Colin Powell, le ministre des Affaires étrangères sous Bush : « Les ONG sont pour nous un tel levier, une part tellement importante de notre équipe de combat ». Les ONG révolutionnent ainsi l’idée de « soft power » elles anoblissent le concept pour faire émerger celui de « smart power » qui se caractérise par une dimension morale supplémentaire. Validant ce constat, une étude récente de l’Ecole de Guerre Economique souligne les interactions douteuses d’ONG comme la FIDH, Amnesty international avec les intérêts américains [9]. Ainsi, conscient de cette réalité, un pays comme la Bolivie avec à sa tête le président Evo Morales, a récemment décidé de faire fermer des ONG étrangères (l’ONG danoise Ibis et avant elle,  l’ONG américaine USAID ) [10].

Dictature du temps médiatique et vide stratégique

Ce contrôle de l’information et de l’opinion va au-delà même de ce qu’on appelle pudiquement les relations publiques, puisque naît de cette guerre cognitive une dictature de l’information dont les forces High Tech sont aussi parfois les premières prisonnières. De manière factuelle, par la dépendance aux nouvelles technologies et à des informations médiatiques pouvant se révéler fausses sur le terrain ou renseigner l’ennemi. La récente polémique autour des informations divulguées en temps réel par BFMTV lors de l’assaut de l’hyper casher est l’exemple même des risques que peuvent engendrer l’information sur nos forces de polices ou notre armée. De plus, la guerre cognitive n’est pas une science exacte, il est possible d’assister à un retournement de l’opinion publique. Par exemple, lors du conflit israélo-libanais de 2006, les combattants du Hezbollah pour la première fois depuis 1948 se sont montrés supérieurs en termes de C3I (command, control, communication, intelligence) face à leurs adversaires, grâce à une campagne médiatique sans précédent (Michel Drac) [11].

Le réel enjeu, au-delà de savoir qui sera le plus grand bénéficiaire de ce climat hyper informationnel, consiste à réaliser le vide stratégique dans lequel nous nous trouvons actuellement. C’est par cette guerre cognitive et ce règne de la tactique que le politique et le stratégiste sont emportés, les empêchant ainsi d’agir en adéquation avec les intérêts supérieurs de la nation. L’information comme on l’a vu en vient à définir les théâtres d’opérations au nom souvent d’une moraline journalistique ou d’une quelconque campagne compassionnelle. C’est aujourd’hui une réalité, les OPEX suivent la médiatisation des conflits, ce qu’on appelle selon la typologie de Pierre Conesa l’ennemi médiatique accompagnant souvent l’ennemi conceptuel précédemment développé. La grande rupture qu’impose le storytelling, ou le combat des récits narratifs, est qu’il place la gestion de la communication au centre de l’acte de gouverner et non plus comme accompagnement de l’action politique. Le tempo médiatique n’étant pas le tempo stratégique, plusieurs décisions apparaissent en déconnexion avec le réel. La France s’engage dans des conflits dont-elle ne tire aucun intérêt et pire encore y perd des alliés ainsi que ses hommes, elle est prisonnière de l’escalade de l’engagement où on ne trouve  aucune trace d’instinct de survie, tel un addict aux jeux prêt à tout abandonner pour continuer à miser.

Enfin, cette dictature de l’information touche aussi bien nos élites que la population française ou américaine ainsi que celles des pays visés par les G4G. Ces guerres sans nom, potentiellement illimitées, provoque ainsi dans la population occidentale, par le climat d’hyper information et d’images peu commentées, un effet spectacle dans lequel la population a oublié le  prix du sang et la réalité de la guerre (les jeux de guerre ayant aussi un impact puissant). À l’opposé, une radicalisation des esprits se développe dans des pays étrangers, à cause de citations parfois truquées par les journalistes (en 2005 « l’Iran voudrait rayer Israël de la carte » [12] ou la déclaration de Chavez « les USA disparaîtront un jour » [13]) ou par des acharnements médiatiques (exemple du climat médiatique de l’après 11 septembre ou 7 janvier).

La guerre de 4eme génération est un concept mouvant, changeant et difficile à cerner de par sa capacité à s’adapter et à user de l’ingénierie sociale. Néanmoins, au lendemain de plusieurs guerres sans nom et de massacres chaotiques (Irak, Lybie, Syrie) certaines leçons peuvent être tirées.

La guerre de 4eme génération par sa mise en tension provoque la radicalisation et empêche l’établissement d’une paix tel que dans un conflit classique : la G4G n’élimine pas les ennemis, elle les multiplie ; enfin, la lutte contre le terrorisme n’est pas un argument valable comme on l’a vu mais vient uniquement justifier une « guerre préventive », ayant souvent des conséquences désastreuses [14]. Ainsi, la guerre de 4eme génération est caractéristique de notre siècle, un siècle au sein duquel règnent les nouveaux dogmes que craignait de voir apparaître Kolakowski ; à savoir « l’éloge de l’inconséquence, le manque d’esprit de suite, et le manque d’esprit tout court ». [15]

Lucas

_____

[1] Michel Drac, Choc et simulacre p.13, 14

[2] Reconnu par Obama en 2009 : «  « En pleine guerre froide, les États-Unis ont joué un rôle dans le renversement d’un gouvernement iranien démocratiquement élu ».

[3] Philippe Baumard – Le vide stratégique p. 101

[4] Pierre Conesa – La fabrique de l’ennemi

[5] Pierre Conesa – Interview, Politique de contre-radicalisation en France

[6] ROMANYCH, Marv J. (commandant), « A Theory-Based View of IO ». IOsphere, printemps 2005,14-18

[7] Christina M. Knopf, Eric J. Ziegelmayer, La guerre de quatrième génération et la stratégie des médias sociaux des forces armées américaines

[8] Pierre Conesa – Interview, Politique de contre-radicalisation en France
[9] Ecole de guerre économique – Le dessous des ONG, une vérité cachée.

[10] http://www.michelcollon.info/Evo-Morales-prudent-face-a.html

[11] Ecole de guerre économique – Conflit Israël Hezbollah été 2006 : illustration d’une guerre de l’information.

[12] En réalité, il avait déclaré : «  Oh cher Imam (Khomeiny), vous aviez jadis daigné dire, que le régime sioniste est un régime d’occupation et d’usurpation ainsi qu’un cancer, et qu’il doit disparaitre des pages du temps. Aujourd’hui je vous offre respectueusement ma réponse, ce discours lumineux et visionnaire et ce dont vous rêviez, tout cela est sur le point de porter ses fruits : le régime sioniste a renoncé à la philosophie qui fondait son existence. … Le régime sionisme se trouve dans une impasse complète et votre souhait deviendra bientôt réalité, et ce germe de corruption disparaitra ».

[13] Le 14 avril 2010, Hugo Chavez déclare : « L’empire maudit des Etats Unis, un jour disparaitra ».

[14] François-Bernard Huyghe -Guerre de quatrième génération et quatrième guerre mondiale p.3

[15] Philippe Baumard – Le vide stratégique, p. 15

 

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