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Egypte : Al-Sissi Imperator…et après ? Par Roland Lombardi

16 juin 20140
Egypte : Al-Sissi Imperator…et après ? Par Roland Lombardi 4.75/5 4 votes

Publié le : 13 juin 2014

Source : espritcorsaire.com

Une semaine après l’élection d’Abdel Fattah al-Sissi à la présidence de l’Egypte, il semblerait que les seules préoccupations des chancelleries occidentales et de nombreux observateurs, concernant l’actualité égyptienne, soient, encore une fois, de discuter du sexe des Djinns ou de critiquer le retour de l’armée au pouvoir (qui de fait ne l’avait jamais réellement quitté) au Caire. Car, on se plait en France à refaire l’élection en se morfondant sur la tombe des espoirs démocratiques de la Place Tahrir, en évoquant le score de l’ancien maréchal (élu avec plus de 96% des voix) ou encore la faible participation des électeurs égyptiens (due au boycott lancé par les Frères musulmans mais surtout du fait que les partisans d’Al-Sissi ne se sont pas déplacés estimant sa victoire déjà largement acquise).

En Egypte, seule une infime partie de la bourgeoisie cairote se complait encore dans les mêmes spéculations strictement philosophiques ou intellectuelles. La grande majorité des Egyptiens, elle, confrontée aux difficultés du quotidien, attend beaucoup de l’ancien maréchal. Et en effet, la principale question pour les Egyptiens (comme elle devrait l’être pour les Occidentaux), est plutôt de savoir si le nouveau président parviendra à surmonter les deux grands défis du pays, à savoir : stabiliser et sécuriser l’Egypte, puis relancer une économie exsangue.

Ces deux dossiers seront sa priorité comme celle des Egyptiens, même si depuis le 3 juillet 2013 et le retour des militaires aux rênes du pays, l’ancien chef de l’armée s’y est déjà attelé avec ardeur. Il sait pertinemment qu’aucune reprise économique ne se fera sans un retour de l’ordre dans le pays.

La purge visant les Frères musulmans va se poursuivre

Ainsi, depuis l’été 2013, après la destitution musclée de Mohamed Morsi et l’établissement de l’état d’urgence, l’armée s’est consacrée, de manière aussi méthodique que brutale, à mettre la confrérie, décrétée comme « organisation terroriste », hors d’état de nuire. La véritable purge qui touche les Frères musulmans va se poursuivre. Déjà, avec plus d’un millier de partisans tués durant l’été 2013, plus de mille condamnations à mort, entre 15 000 et 20 000 incarcérations, des démantèlements de caches d’armes et des « disparitions inexpliquées », la principale force politique du pays a été durement atteinte. Les principaux chefs et les militants les plus actifs des Ikhwan ont été écartés voire éliminés. Dans le Sinaï, l’armée égyptienne est en train de mener la vie dure (avec l’aide discrète de Tsahal et des services de renseignements israéliens) aux milices islamistes et au Hamas… Alors oui, plus d’une dizaine d’attentats ont depuis touché l’Egypte mais il n’y a pas eu de soulèvement généralisé. Certes, d’autres attaques et attentats se produiront inévitablement mais l’armée égyptienne, qui a depuis des années infiltré les Frères musulmans comme les diverses organisations islamistes égyptiennes, peut être capable de venir à bout du terrorisme, comme elle l’a déjà fait en 2009. Par ailleurs, le premier avantage d’un régime autoritaire sur les démocraties occidentales en matière de lutte contre le terrorisme, c’est qu’il ne s’embarrasse ni des lois, ni des droits de l’homme pour combattre ce fléau. On peut alors faire confiance à l’expérience, la détermination et à la férocité des militaires égyptiens dans ce domaine…

La guerre économique de Sissi

Mais la guerre la plus difficile qui attend le nouveau président égyptien se trouve sur le plan socioéconomique car la situation, après plus de trois ans de « révolution », est catastrophique : l’inflation atteint 12 %, le déficit s’accroît, le taux de chômage touche près de 40 % des jeunes égyptiens âgés de 20 à 24 ans et plus de 30 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Là encore depuis la destitution de Morsi, le gouvernement a lancé deux programmes de relance budgétaire (en août 2013 et en janvier 2014). Une partie de cette relance budgétaire est utilisée en investissements publics afin de stimuler la croissance à court et moyen termes. En janvier 2014, les traitements des fonctionnaires ont été aussi augmentés et un système de contrôle des prix des produits alimentaires a été mis en place. Une politique d’aide aux petites et moyennes entreprises (pour redonner espoir aux jeunes) et un système de subventions alimentaires et énergétiques (accordées prioritairement aux plus nécessiteux de la société égyptienne) ont été aussi instaurés. Ces mesures ont pour but de renforcer un programme de justice sociale qui protégera les pauvres tout en améliorant leur situation. Car le nouveau président doit impérativement combler le vide laissé par les services d’aides sociales sur lesquelles les Frères musulmans avaient construit leur popularité, leur influence et leur puissance. Al-Sissi devra en outre réaliser un assainissement des finances publiques, accroître les recettes fiscales et œuvrer contre la corruption notamment en lançant une importante politique de décentralisation (déjà commencée à partir de janvier 2014).

D’ailleurs, afin de préparer le terrain pour d’autres futures réformes dans le domaine de la lutte contre la corruption, l’Etat a aussi lancé en 2013 un système de carte à puce qui automatisera la distribution des carburants dans tout le pays pour enrayer la corruption qui touche les réseaux de distribution. L’Etat pourra ainsi établir une base de données unique des usagers qui permettra d’améliorer le ciblage des bénéficiaires et éviter les abus.

En outre, Al-Sissi semble conscient qu’une réforme profonde et structurelle de l’économie égyptienne, basée auparavant sur la rente, est nécessaire afin de la rendre plus productive et lui permettre d’optimiser l’utilisation du formidable potentiel et des abondantes ressources du pays.

Comme son programme le mentionnait, Al-Sissi envisage ainsi de gigantesques plans de développement notamment dans le domaine de l’agriculture comme du transport (créations de nouvelles provinces, développement et modernisation de l’élevage et de l’irrigation des terres, créations d’usines agricoles, constructions de routes…).

Pour cela, le nouveau raïs mise sur le retour de la sécurité et de la stabilité politique qui entraîneront la reprise du tourisme et surtout, celle des investissements directs étrangers (IDE). Ces derniers ont d’ailleurs commencé à montrer des signes de reprise depuis juillet 2013.

Déjà, les Etats du Golfe (Arabie saoudite, Koweït et Emirats arabes unis) ont fourni, depuis la destitution de Morsi, une aide financière de 16 milliards de dollars à l’Egypte. Une autre aide de 9 milliards USD (voire plus) doit suivre…

Et même si les Etats-Unis, qui restent les premiers partenaires commerciaux de l’Egypte, se sont finalement résignés, pour des raisons géopolitiques, à maintenir leurs aides (surtout militaires) à destination du Caire, d’autres partenariats très importants sont en train de se développer à grande échelle. A commencer par la Chine, qui déjà depuis les années 2000, avait créé de nombreuses coentreprises avec des Egyptiens dans le secteur industriel ou textile. Depuis l’été 2013, cette coopération a retrouvé de sa vigueur.

Ensuite, depuis juillet 2013 et le « retour » de l’armée aux commandes, c’est la Russie qui a véritablement repris pied en Egypte. Clairement, comme certains pays du Golfe, les Chinois et les Israéliens, Vladimir Poutine mise sur Al-Sissi ! Au-delà de leur nouvelle coopération dans le domaine militaire et de la lutte anti-terroriste ainsi que de l’achat d’armement russe par l’Egypte pour plus de 3 milliards de dollars, Le Caire est devenu ces derniers mois, le principal partenaire économique de Moscou dans le monde arabe comme en Afrique. Dans le domaine de l’agriculture par exemple, l’Egypte est un important client de la Russie (Blé). Par ailleurs, de grandes sociétés russes comme Lukoil, Novatek ou encore Gazprom investissent de plus en plus des sommes considérables dans l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures, de l’or et d’autres minéraux en Egypte. D’autres entreprises russes investissent massivement dans le secteur touristique égyptien, notamment dans les infrastructures hôtelières (les touristes russes sont aujourd’hui les plus nombreux à revenir en Egypte, pays qui est par ailleurs l’une des trois premières destinations prisées avec la Turquie et la Chine).

En somme, comme nous venons de le voir, et même si l’élection d’un militaire à la tête de l’Egypte ressemble fort à un triste retour en arrière, l’optimisme reste pourtant de mise. Si malheureusement la démocratie attendra, espérons alors que le printemps du Nil aura au moins servi à faire prendre conscience à l’institution militaire de l’urgence à réformer le système économique égyptien.

Pour l’heure, le nouveau président égyptien est un sauveur pour certains. Pour d’autres, sûrement plus nombreux, il est un moindre mal. Jusqu’ici l’ancien maréchal a toujours été décrit comme intelligent et rusé (il l’a prouvé jusqu’à présent) mais aussi comme un homme honnête et intègre. S’il ne fait pas les mêmes erreurs que ses prédécesseurs et qu’il ne tombe pas dans les mêmes travers, les espoirs des Egyptiens ne seront pas trahis.

Roland Lombardi

 

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