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Européennes : le coup de gueule de Périco Légasse contre la Politique Agricole Commune

15 mai 20140
Européennes : le coup de gueule de Périco Légasse contre la Politique Agricole Commune 5.00/5 5 votes

Publié le : 13 mai 2014

Source : lefigaro.fr

A la veille des européennes et alors que le traité transatlantique pourrait remettre en question les normes agroalimentaires, le critique gastronomique Périco Légasse critique la PAC qui fait du paysan français un assisté du contribuable allemand et soumet l’agriculture française à un modèle productiviste.

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La PAC constitue près de 45% du budget européen, et la France en est la principale bénéficiaire. Certains agriculteurs dépendent intégralement des subventions européennes. Cette mise sous perfusion de l’agriculture française est-elle tenable à terme? Faut-il supprimer la PAC?

Ceux qui nous expliquent que la Politique Agricole Commune est un formidable outil de protection de l’agriculture française me font penser à ceux qui soutenaient comme parole d’Evangile que le Soleil tournait autour de la Terre. 52 ans après sa mise en place, l’agriculture française se meurt, la classe paysanne est éradiquée et – on hallucine – la France n’est pas autosuffisante sur le plan alimentaire. Francfort qui importe ses saucisses! Comme pour l’euro, les bonnes âmes répondent: «oui, mais sans elle, ce serait encore pire». Ouf, on a eu peur. Quel bonheur, nous allons mourir guéris! De deux choses l’une: soit le projet était vicié dès le départ soit quelque chose l’a dévoyé, mais le résultat est le même. Si l’on veut une agriculture qui retrouve sa place légitime dans notre économie, notre sociologie et notre alimentation, la PAC doit cesser d’entretenir un système intrinsèquement pervers. Il est simplement inconcevable que la plus riche et la plus performante des agricultures mondiales, en terme de potentiel géographique, de savoirs agronomiques, de variétés et de bio diversité, dépende des subventions du contribuable allemand. Car c’est bien l’Allemagne qui finance le gros de la PAC, sur des critères qui vont dans le sens de ses intérêts à elle et pas des nôtres. Car tout a été fait, méthodiquement, à grands renforts de triomphalisme, notamment sous l’impulsion de Jacques Chirac, pour que l’agriculteur français devienne un assisté. 45% du budget de l’Europe part dans une chimiothérapie cancérigène. Un gâchis gigantesque. La PAC ne sert qu’à réparer la folie ou l’agressivité d’un marché déréglementé et mondialisé dans lequel on a jeté une agriculture sans défense alors qu’elle devrait être l’instrument de stimulation des formidables capacités agricoles de ce merveilleux pays. «Pâturages et labourages…» autant de trésors géologiques, maritimes, botaniques et climatiques, avec le peuple le plus exigeant en matière d’alimentation et une demande internationale sans limite. Résultat des courses: chaque jour un paysan français se suicide alors que les gros céréaliers croulent sous des millions d’euros de subvention. De toute évidence il faut supprimer cette PAC là et en penser une autre.

En échange de ces subventions (aspect quantitatif) l’Union Européenne impose à l’agriculture des normes très strictes (aspect qualitatif): selon vous, ces normes européennes en matière d’environnement et de sécurité sont-elles nuisibles à l’agriculture française?

Ces normes sont nécessaires, voire essentielles, à un essor agricole durable, seule garantie de pouvoir continuer à nourrir l’humanité en préservant la planète. Elles sont également fondamentales pour la pérennité de paysages qui participent du renom touristique du pays. Pour continuer à attirer chaque année 90 millions de visiteurs il faut aussi des vaches sous le pommier. L’adoption de ces normes est un progrès sur la logique agrochimique qui préfère persister dans le productivisme pour consolider ses profits. Un enjeu qui dépasse l’Union Européenne. Ces normes ne doivent toutefois pas constituer un handicap économique pour nos agriculteurs. Prenons l’exemple des lentilles, notamment dans le Berry. La lentille verte du Berry, fleuron du légumineux français, est soumise à des contraintes environnementales qui peuvent devenir pénalisantes face à une concurrence non réglementée. Ainsi la lentille canadienne de culture intensive débarque-t-elle sur le marché français à des tarifs contre lesquels la berrichonne ne peut pas lutter. Si l’Europe impose des normes, elle a le devoir de protéger ses agriculteurs de qualité en taxant la concurrence déloyale. Les libéraux vont hurler au protectionnisme, mais on ne monte pas au front sans bouclier, surtout si l’adversaire tape sous la ceinture. La PAC doit protéger les siens.

Si la PAC permet la survie des agriculteurs français, elle cautionne aussi un type d’agriculture ultra-productiviste. Faut-il remettre en cause le modèle d’agriculture intensive?

Nous sommes en 2014, soyons réalistes, on ne va pas pouvoir continuer à transformer nos campagnes en usines ni gérer l’agriculture française comme un trust financier qui fabriquerait des boulons. N’en déplaise à la Fnsea et à son président Xavier Beulin, la France a besoin d’une agriculture basée sur des exploitations à échelle humaine, rentables et durables, en osmose avec les réalités d’une ruralité bio diversifiée dont la préservation est essentielle pour ce pays.

Les agriculteurs doivent vivre – et bien vivre – de leur travail. C’est un métier pénible, fastidieux, risqué mais noble, car il n’y a rien de plus beau que d’œuvrer pour nourrir l’homme. La sueur et le courage doivent payer et bien payer. L’ultra productivisme, c’est produire beaucoup pour gagner très peu. La PAC est là pour financer les pertes programmées de la surproduction. On ruine le paysan pour être sûr de pouvoir lui donner l’aumône. L’agriculture intensive soutenue par la PAC répond aussi aux exigences de la grand distribution de faire sans cesse baisser les prix qu’elle fixe elle même. Cela doit cesser. C’est au producteur de fixer le prix de sa production, et non au client, entendez l’industrie alimentaire et la grande distribution. La baisse obsessionnelle des prix engendre une baisse de la qualité, donc favorise la malbouffe et détériore la santé. L’ultra productivisme a pour alliée l’industrie pharmaceutique qui ne veut pas d’amélioration alimentaire car les maladies liées aux pesticides, aux insecticides et aux engrais mais aussi aux antibiotiques utilisés dans les élevages intensifs lui font vendre de plus en plus de médicaments.

La France pourrait-elle être le laboratoire d’un contre-modèle?

Oui, la France peut être le laboratoire d’un contre modèle. Elle a commencé à l’être depuis l’adoption du programme d’Agroécologie lancé par le Ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll. Un projet conforté par la loi d’avenir actuellement en discussion au parlement, qui, même si elle est loin d’être parfaite, jette les bases d’une redéfinition de l’agriculture française. L’Agroécologie est le moyen de concilier l’idéal et le possible en favorisant des méthodes de culture et de productions durables tout en améliorant la rentabilité des exploitations. Produire juste et produire bon pour vendre mieux dans un marché sensibilisé à cet enjeu majeur. Une idée irréversible qui est la seule voie de salut de l’agriculture française.

L’accord transatlantique en cours de discussion à Bruxelles prévoit d’aligner les normes européennes sur les normes américaines. Quel pourrait être l’impact de cet accord sur l’agriculture française?

C’est une menace apocalyptique sur l’avenir de notre agriculture. Si, le gouvernement français, face à la Commission, puis l’Union Européenne, face aux Etats-Unis, ne font pas preuve d’une intransigeance drastique, tout ce qui a été évoqué ci-avant partira en fumée. Cet accord n’est pas un pacte commercial mais une demande d’alignement de l’Europe sur la déréglementation du marché américain. Toute concession sur ce qui constitue le rempart de nos spécificités et de nos valeurs supposerait, à moyen terme, la disparition de notre patrimoine agricole et alimentaire. Le Président de la République le sait parfaitement. L’avenir de ce pays va dépendre de son courage et de sa capacité de résistance aux exigences de Bruxelles et Washington. Autant dire que c’est pas gagné.

Entretien mené par Eugénie Bastié

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