L’effondrement à Dacca au Bangladesh le 24 avril d’une sinistre usine d’esclaves de la mondialisation heureuse, dans lequel plus de mille malheureux ont donc trouvé la mort, n’en finit pas de livrer ses sordides enseignements.
On savait déjà que Benetton, C&A, Mango, Primark, Wal-mart, Siplec H&M, Inditex (Zara) ou Yves Dorsey avaient bien « utilisé » les services de cet enfer concentrationnaire du textile. On vient d’avoir la confirmation en images notamment avec un reportage télévisé de BFMTV que Carrefour (avec notamment sa marque Tex), Auchan (Extenso) ou Camaïeu avaient eux aussi vu leurs étiquettes surgir des décombres de Dacca.
Evidemment, c’est -comme pour toutes les marques précédemment citées- le sauve-qui-peut général chez les enseignes concernées ! Après avoir dans un premier temps et dans une unanimité remarquable carrément nié toute relation commerciale avec l’usine infernale du Bangladesh, il a bien fallu pour certaines des marques mises en cause reconnaître que les images exposant des vêtements griffés ou des piles d’étiquettes en attente dans les débris de béton de l’usine devenaient fort difficiles à ignorer, ou à balayer du revers de la main.
Mardi, H&M et Inditex ont enfin assez cyniquement présenté des excuses, et annoncé avoir immédiatement passé des « accords pour améliorer la sécurité » (il était bien temps, tiens !).
Mais côté français, malgré les preuves audiovisuelles, c’est encore le déni obstiné qui prévaut. L’ONG Peuples solidaires, présente sur les lieux de la catastrophe, affirme avoir trouvé, sur le site, des étiquettes de la marque Tex (Carrefour) ? Pour toute réponse à ce jour, l’enseigne déclare n’avoir « aucun fournisseur ni aucun client ni aucune commande » dans l’usine effondrée de Dacca. Et pour appuyer le « sérieux » de son argumentation, le responsable communication de Carrefour d’ajouter : «Nous avons commencé les audits sociaux – audits confiés à des cabinets internationaux – en 1997 avec un chapitre spécifique à la sécurité et à la santé, ce qui nous conduit à refuser des fournisseurs. Outre le suivi de l’audit durant la relation commerciale, nous avons renforcé les contrôles de sécurité en septembre dernier ». Carrefour, comme donc ses petits camarades H&M et Inditex, a signé mardi un accord sur la sécurité des usines, présenté « comme un véritable atout sociétal » venant renforcer leur « niveau d’exigence ». Cela ne s’invente pas. A ce niveau d’obscénité, on peut être pris d’une soudaine envie de s’éloigner pour aller vomir plus loin…
Côté Auchan, des « investigations » ont donc été lancées suite à la découverte le 13 mai d’étiquettes Extenso dans les décombres. Mais le porte-parole de l’entreprise le clame : « Nous n’avons procédé à aucune commande dans cette usine, ni directement ni via nos fournisseurs locaux ». C’est beau comme de l’antique.
Chez Camaïeu, même dénégations de vierge effarouchée : « nous sommes toujours attentifs et très regardant au sujet des avancées positives concernant les conditions de travail des salariés de nos fournisseurs », ose même le porte-parole de la marque. Sans commentaires.
Il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir…
Mais le pire dans la terrifiante histoire que révèle au grand jour la tragédie de Dacca, c’est que toutes ces enseignes, ces entreprises (souvent des multinationales), qui nient encore aujourd’hui toute relation commerciale et donc toute responsabilité ou implication dans la catastrophe ne « mentent » pas forcément tout à fait… Car ce système mondialisé, voulu et imposé principalement au monde par nos élites européennes ou américaines, est basé sur un réseau souvent inextricablement mêlé de filiales et de sous-traitants ignorant frontières et continents, explosant sans complexe toutes les normes sociales, bafouant les règles du droit et la simple dignité humaine sur l’autel du profit, recherchant systématiquement le moindre coût pour permettre les marges les plus juteuses, transformant au final sans scrupules des êtres humains du tiers-monde en esclaves corvéables à merci, entassés dans de véritables camps de travail pour alimenter en vêtements à bas coût, en chaussures en carton, en jouets bas de gamme notre « mode de vie » occidental, qui se résume depuis quelques décennies à une consommation devenue totalement irrationnelle, pour ne pas dire carrément pathologique.
« Il est tout à fait possible que ces trois groupes ne savaient même pas que leurs produits étaient fabriqués là » avançait dans Le Parisien de ce mercredi Nayla Ajaltouni, la coordinatrice du collectif Ethique sur l’étiquette. C’est en effet possible… parce qu’il est tellement plus facile de détourner les yeux pour ne pas voir ce qui dérange, pour ne pas avoir à constater les conséquences toujours scandaleuses et aujourd’hui dramatiques des exigences d’une course sans fin au profit, au moindre coût…
Il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… Nous en souviendrons-nous seulement lorsque nous achèterons notre prochain T-Shirt chez Carrefour, nos prochaines baskets chez Auchan, notre nouveau jeans chez Camaïeu ? Comme j’aimerais en être sûr.
Marc LEROY – La Plume à Gratter
Nous ne nous souviendrons pas, c’est sûr. Enfin quand je dis « nous », je fais allusion à la mère de famille qui gratte de tous côtés pour essayer de maîtriser son budget, celle-là, si elle peut gratter trois euros par-ci et quatre vingt centimes par là, elle le fait…et peut-on lui donner tort? Surtout que si on arrête de passer commande au Sri-Lanka, les Sri-Lankiens cessent immédiatement de manger…pas facile à résoudre, comme problème.
Amitiés.