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En Inde, les dérives de la gestation pour autrui (GPA)

1 février 20130
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Publié le :

Source : lepoint.fr

L’appel à des mères porteuses est devenu un véritable business en Inde, où de 25 000 à 30 000 étrangers en profitent chaque année. Enquête.

Depuis sa légalisation en 2002, l’appel à des mères porteuses rémunérées s’est banalisé en Inde. Les enjeux éthiques de la gestation pour autrui (GPA) ont fait peu de bruit, au profit de l’approche pragmatique des cliniques spécialisées. Et les nouvelles restrictions du gouvernement, émises sans publicité ni explication, sont d’abord passées inaperçues. Annoncées par le ministère de l’Intérieur fin décembre 2012, elles interdisent désormais aux célibataires et aux couples homosexuels étrangers de recourir à des mères porteuses. Seuls les couples hétérosexuels et « mariés depuis au moins deux ans » pourront user de la GPA. Les intéressés devront demander un visa médical au lieu d’un visa touristique, fournir l’accord écrit de la mère porteuse, et donner l’assurance que le nouveau-né bénéficiera bien de leur nationalité.

Pour les autorités indiennes, il s’agit d’une tentative visant à contrôler un marché en pleine expansion. « Les dizaines de cliniques de fertilité que j’ai visitées proposent la GPA à tous les demandeurs, qu’ils soient célibataires, homosexuels ou hétérosexuels », note Stéphanie Lebrun, auteur de deux films documentaires sur le sujet. Dans une Inde conservatrice où l’homosexualité a été dépénalisée il y a moins de deux ans, la situation en paraissait presque paradoxale. D’autant que les Indiens sont sensibles aux symboles liés à leurs relations avec les pays développés, et notamment à la représentation de riches Occidentaux payant des Indiennes pauvres pour enfanter. Certains ne sont pas loin d’y voir une forme de « néocolonialisme ».

Une facture totale de 10 000 à 25 000 euros

Néanmoins, c’est plutôt l’idée d’une « délocalisation » prénatale qui avait été retenue. La croissance du marché procréatif s’est inscrite dans une économie où l’Inde encourage le tourisme médical, avec des spécialités telles que les interventions dentaires, les remplacements de la hanche ou la chirurgie esthétique. Dans ce contexte, de plus en plus d’étrangers ont sollicité des mères porteuses indiennes. Certaines régions, dont celle d’Ahmedabad-Anand dans le Gujarat, se sont spécialisées dans ces services. Les experts et médecins estiment que de 25 000 à 30 000 étrangers font appel chaque année à des mères porteuses. « Plus de 500 bébés occidentaux, dont 35 en novembre, sont nés de mères porteuses dans mon centre », explique le docteur Shivani Sachdev du Surrogacy Center India (SCI) à Delhi. Son blog présente des dizaines de nouveau-nés de parents originaires d’Australie, de Suède, d’Espagne ou des États-Unis. « Nous avions de nombreux parents célibataires ou homosexuels et nous ne nous en sommes pas préoccupés, dit le docteur. Cela ne détermine pas un bon ou un mauvais parent ; nous ne jugeons pas. »

La GPA en Inde permet aux intéressés de contourner les interdictions de leurs propres pays, comme en France. Paul, un Français homosexuel, a pourtant dû attendre quatorze mois en Inde avant de régulariser les papiers de ses deux bébés. « Les avocats indiens, profitant des complexités juridiques, m’ont extorqué beaucoup d’argent, et j’ai refusé de tricher comme certains le proposaient, dit-il. Mon encadrement médical s’est très bien déroulé, mais j’ai pu observer une autre clinique où plusieurs naissances étaient prématurées, soulevant la suspicion que les accouchements des mères porteuses étaient provoqués à sept mois de grossesse. » Pour les demandeurs américains, il s’agit souvent de bénéficier de formalités et de coûts plus abordables. Les Indiennes louent leur corps entre 1 300 euros et 7 000 euros, et la facture totale payée par les étrangers se situe entre 10 000 euros et 25 000 euros. Car toute une chaîne commerciale s’est mise en place, avec un millier de cliniques spécialisées, des agents recruteurs, des avocats, des hôtels.

Utérus à louer

Depuis quelques jours, les nouvelles règles soulèvent de fortes critiques. « Le ministère de l’Intérieur a imposé ces mesures à la suite de ma demande officielle de précisions, explique Hary G. Ramasubramanian, avocat au sein de l’Indian Surrogacy Law Centre, basé à Chennai. Mais elles ont été prises à la hâte. Il n’y a aucune clarté sur la position des parents étrangers qui attendent actuellement la naissance de leur enfant. » Au-delà, il ne sera pas aisé de freiner une « industrie » en plein essor. « Les décisions semblent difficilement applicables, souligne Stéphanie Lebrun. Les cliniques vont tenter de résister. Comment les contrôler ? »

Les acteurs de cette « économie » se joignent au cortège des militants pour les droits des homosexuels, qui jugent discriminatoires les restrictions. « Nous sommes 1 200 médecins indiens à contester les mesures et nous avons envoyé aux autorités une demande d’explications », dit le docteur Shivani Sachdev. « Nous pensons que des adultes capables d’offrir un environnement aimant et sécurisé doivent avoir le droit d’être parents », affirme par ailleurs Vinod Sankaran, vice-président d’une entreprise américaine, Proactive Family Solutions, qui propose des parcours fiables pour identifier des mères porteuses. Sur le site Internet de son organisation, les avantages du pays ne font pas de mystère : « Les mères porteuses en Inde ne sont pas en position de soulever des enjeux légaux importants », lit-on.

Certaines organisations critiquent cependant le principe d’un « utérus à louer » et s’offusquent de l’exploitation possible d’Indiennes défavorisées. À Delhi, le Centre de la recherche sociale a produit en mars une étude menée au Gujarat, intitulée « Mère porteuse : éthique ou commercial ». Elle montre que ces mères se retrouvent isolées de leurs familles et parfois non indemnisées si le nouveau-né présente des « défauts ». À l’occasion, les tribunaux indiens doivent dénouer de véritables imbroglios. Mais des initiatives tentent de remédier aux dérives. À Chennai, la fondation Surrogate Mothers Advancing Rights Trust vient d’être créée pour accompagner les mères porteuses sur les plans physique, psychologique et financier. Les enjeux émotionnels de la situation sont tels qu’ils inspirent aussi les écrivains indiens. Dans son dernier roman, Origins of Love, Kishwar Desai dépeint à la fois les histoires complexes d’Indiennes devenues mères porteuses, et la souffrance d’Occidentaux aspirant à avoir un enfant.

Vanessa Dougnac

 

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