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Montebourg à la chasse au Trésor !

9 octobre 20120
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Publié le : 09 octobre 2012

Source : marianne2.fr

Pour Arnaud Montebourg, il y a deux sortes de hauts fonctionnaires à Bercy : les bons, qu’il appelle sa «garde noire» - les bataillons de la direction de l’Industrie -, et les méchants, qui grouillent à la direction générale du Trésor. Dans son grand bureau du 3e étage de Bercy, le héraut du redressement productif ne manque pas de glisser une vacherie sur cette administration – sise, elle, au 5e étage . Ainsi, devant Marianne, le ministre brocarde-t-il ce «Trésor toujours réticent» et, à des confrères de l’Express, il déclare carrément que, dans son «orientation clairement ultralibérale», le Trésor n’était «pas loyal avec la pensée du gouvernement». Bigre ! Accuser les hauts fonctionnaires de contrer la volonté des politiques, quelle pire injure – hors la corruption – pour des agents publics ?

Le Trésor n’est pas n’importe quelle administration. La prévision, le financement de l’activité, la gestion des entreprises publiques, les affaires économiques européennes et internationales…, tous ces dossiers passent par les mains de ces hauts fonctionnaires avant d’atterrir sur le bureau des ministres. C’est le lieu par excellence de l’influence en matière de politique économique. De Jean-Claude Trichet qui présida neuf ans la Banque centrale européenne à Xavier Musca, secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, en passant par Jean-Pierre Jouyet, l’actuel directeur général de la Caisse des dépôts, ou Emmanuel Macron, actuel secrétaire général adjoint de l’Elysée, tous y ont fait leurs classes. S’attaquer au Trésor, c’est mettre un coup de pied dans la fabrique à conseillers du prince.

Pourtant, dans le nouveau pouvoir, il se trouve désormais quelques esprits pour pilonner la très prestigieuse administration. «Le Trésor s’est construit par la proximité, presque la consanguinité, de cette direction avec des banquiers d’affaires. Cela marque l’idéologie qui règne dans cette partie de Bercy, bien davantage que les engagements politiques de certains de ses membres», explique un ex-haut fonctionnaire des finances. Un membre du cabinet de Fleur Pellerin renchérit : «Quand on dit : on va taper là, certains freinent des quatre fers parce qu’ils espèrent pouvoir pantoufler ensuite dans la banque ou n’importe quel autre secteur du privé. C’est dingue !»

«Il faut taper sur la table»

Si quelques langues se délient – souvent en off -, c’est bien Arnaud Montebourg qui mène en tête cette chasse au Trésor. Et l’épisode de la constitution de la Banque publique d’investissement (BPI) a concrétisé l’affrontement feutré entre le «3e étage» et le «5e étage». Le Trésor conseillait à Pierre Moscovici, maître d’oeuvre du chantier, que la BPI soit centralisée à Paris, Montebourg, lui, voulait une identité régionale, plus proche des PME. «Heureusement, j’ai gagné des arbitrages à Matignon et à l’Elysée», note ce dernier avec un certain délice. «C’est toujours comme ça avec eux, abonde un membre de son cabinet : ils commencent par dire « C’est pas possible ». Il faut taper sur la table pour qu’ils acceptent un autre point de vue que le leur. Mais, ensuite, ils bossent.»

A l’occasion de «l’affaire Matthieu Pigasse», la tension plutôt politique a pris un tour paroxystique et personnel pour Arnaud Montebourg. Insupportable, pour cet ancien avocat, pourfendeur de la corruption, de s’entendre accuser d’avoir favorisé la banque Lazard pour remercier Matthieu Pigasse de l’embauche de sa compagne aux Inrocks. «Arnaud a été très meurtri par cette histoire de cornecul de conflit d’intérêts, convient un député proche de Pierre Moscovici. Or, c’est la direction du Trésor, qui gère la tutelle de l’Agence des participations de l’Etat, qui a organisé l’appel d’offres lors duquel Lazard fut sélectionné. Les passerelles entre banquiers d’affaires et « trésoriens » sont tellement nombreuses : il est possible que ces derniers ne se soient même pas posé la question des risques qu’ils faisaient courir à Montebourg en choisissant Pigasse – ancien du Trésor, au passage.» Le ministre du Redressement productif aurait demandé à voir les e-mails échangés entre les cabinets des ministres et les services. Il s’est étranglé lorsqu’il s’est aperçu que tous ses messages confidentiels étaient adressés en double à Jean-Dominique Comolli, l’ancien directeur de l’Agence des participations de l’Etat, débarqué à sa demande !

on ne touche pas au Trésor

Mais on ne touche pas au Trésor, encore moins à son patron, Ramon Fernandez. Pierre Moscovici, qui a seul la main sur cette administration, l’a rappelé sèchement en envoyant une missive proprement extraordinaire aux hauts fonctionnaires du 5e. Le ministre de l’Economie, désavouant son collègue, les assure de sa «confiance en leur loyauté et en leur compétence». Il ajoute : «L’expertise et l’intégrité de la direction du Trésor sont connues et respectées. Depuis mon arrivée, j’ai pu vérifier combien cette réputation d’excellence est méritée et légitime.»

C’est que Ramon Fernandez a su très vite se rendre indispensable. C’est lui qui prépare les Conseils des ministres de l’Economie et des Finances de l’Union européenne (Ecofin), les réunions aux enjeux les plus stratégiques. Indispensable à Moscovici, Fernandez l’est aussi au chef de l’Etat, car il est la mémoire de l’Etat français au niveau des négociations économiques internationales. Nommé en 2009 pour succéder à Xavier Musca parti à l’Elysée -avec qui il formait un duo inséparable -, il a suivi tous les épisodes de la crise financière dans le sillage de Nicolas Sarkozy. Cela ne pose aucun problème à l’actuel président de la République. Dès avant son élection, François Hollande confiait en privé que les hauts fonctionnaires, hors la police et la justice, n’avaient rien à craindre de l’alternance, pourvu qu’ils aient le sens de la République… Depuis le 15 mai, le directeur général du Trésor est de tous les sommets, comme auparavant.

Le tandem d’hier avec Musca est reconstitué avec le sherpa présidentiel de gauche, l’ex-inspecteur des finances, ex-banquier d’affaires – et ex du Trésor ! – Emmanuel Macron… Il a même pris du galon, puisqu’il est désormais en charge de trouver des propositions communes avec les Allemands sur l’Europe. Apprécié à l’Elysée, Ramon Fernandez l’est aussi des milieux financiers. La chose est peu connue : des représentants des grands fonds d’investissement et des agences de notation financière ont fait passer discrètement le message auprès de François Hollande, avant son élection : «Vous allez changer de ministre de l’Economie, mais gardez-nous le directeur du Trésor avec lequel nous avons pris l’habitude de converser.» Une véritable assurance vie !

Après avoir mené la charge, Arnaud Montebourg amorce, depuis quelques jours, une retraite en bon ordre. Ainsi, au ministère du Redressement productif, fait-on remarquer que la directrice adjointe du cabinet vient justement du Trésor, preuve que «cette administration peut bouger et s’habituer au ministre»… De plus, la machine intellectuelle Fernandez impressionne, et «malgré son logiciel libéral, on peut travailler avec lui». Un petit air de résignation. Comme si le flamboyant ministre se rendait compte du rapport de force réel. Il faut dire qu’il est bien isolé, Arnaud Montebourg, à Bercy. Non seulement il commande à peu de fonctionnaires du paquebot, mais, politiquement, il est marginalisé : «Fleur Pellerin, déléguée aux PME, Geneviève Fioraso, à la Recherche, et Nicole Bricq, au Commerce extérieur, sont trois ministres avec lesquelles il est censé travailler étroitement. Et ce sont toutes trois des copines de « Mosco »», note un député ami. Qu’importe, Arnaud Montebourg assure qu’il veut demeurer à ce poste cinq ans. C’est long, cinq ans !

Hervé Nathan

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