Economie

L’évasion fiscale, une cagnotte de 590 milliards !

29 mars 20120
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Publié le : 29 mars 2012

Source : marianne2.fr

Un livre-enquête d’Antoine Peillon révèle les agissements suspects de la banque suisse UBS aboutissant à faciliter, voire organiser l’evasion fiscale de milliers de citoyens français. Le même scandale avait abouti aux Etats-Unis à de lourdes sanctions contre la banque. Qui, pour le moment, ne réagit guère…

L’évasion fiscale pèse sur l’économie de nos pays développés dans des proportions insoupçonnées par les responsables politiques. Telle est, après quelques mois d’enquête sur le cas, très peu particulier sans doute, de la banque suisse UBS, la conviction du journaliste Antoine Peillon, grand reporter à la Croix.

L’évasion fiscale concernerait en France 150 à 200 000 personnes pour un montant de 590 milliards d’euros, dont 108 rien qu’en Suisse. UBS, sa filiale française créée en 1999, représenterait, selon l’auteur, à peu près un vingtième de ce marché. Un marché, comme le démontre bien son enquête, qui ne s’embarrasse guère de la législation. Tout le jeu de la banque consiste à cibler les clients fortunés – 10 millions d’euros au moins de patrimoine – puis à les cotoyer dans des manifestations conviviales. Objectif : convaincre ces Français d’ouvrir des comptes non déclarés, vis, par exemple, une création de société dans un paradis offshore, ou des facturations indues.

Le scandale de l’évasion fiscale aux Etats-Unis  a révélé que l’UBS, qui rappelons-le, est la première banque mondiale de gestion de patrimoine, avait permis l’ouverture de quelques 52 000 comptes non déclarés de citoyens américains aboutissant, après un conflit avec le fisc américain, à une mega-amende. C’est cette histoire qui décide Antoine Peillon d’enquêter sur UBS-France. Bingo : il constate que la filiale française accueille les mêmes responsables que la filiale américaine, pour conduire, finalement, le même genre d’opération. Peu à peu il découvre que les manoeuvres de la banque ont été critiquées et repérées non seulement par certaines autorités de contrôle comme l’Autorité de contrôle prudentiel de la Banque de France, la douane financière ou même les enquêteurs de la DCRI, mais qu’elles ont sucité des conflits entre certains cadres et la direction de la banque. Cerise avariée sur ce pudding  pourri, le livre de Peillon se conclut par l’exposition à la lumière de quelques opérations de transfert financier entre différents compte de Liliane Bettencourt qui le conduisent à subodorer, là encore, une opération d’évasion fiscale, via UBS et la compagnie italienne Generali.

Le plus étonnant dans cette affaire est l’extrême lenteur de l’Etat. On se rappelle que, dès le début de la crise, en 2008, le président Sarkozy a annoncé la fin des paradis fiscaux. Apparemment, non seulement le temps des listes noires ou grises est révolue, mais la gestion de patrimoine permet aux citoyens français les plus riches de contourner allègrement la législation sans encourir les foudres des autorités. Quant au gouvernement suisse, déjà échaudé par le scandale UBS aux Etats-Unis, on attend avec impatience sa réaction à l’enquête d’Antoine Peillon. Contacté par Marianne, l’ambassade n’a pas donné suite…

Ces 600 milliards qui manquent à la France, par Antoine Peillon, 185 p, Seuil, 15 €.

 

Interview d’ Antoine Peillon :

 

Comment les commerciaux de la banque UBS abordent-ils leurs clients ? Quelle différence faites-vous entre l’optimisation fiscale et l’évasion fiscale ?

Antoine Peillon : Au départ, il s’agit toujours d’optimisation fiscale. Il existe d’ailleurs tout un lexique adapté à ce marché. On parle de transferts transfrontaliers pour euphémiser des opérations qui ne sont pas toujours légales. Mais le plus souvent, la clientèle qui peut être constituée par des gens peu diplômés, des commerçants très riches ou des joueurs de football, impose de tenir un langage non technique; Alors on dit à ces clients  des phrases du genre « Vous serez bien chez nous », comme pour dire que la législation français n’est pas « optimale » par rapport à leurs intérêts.

Quel type de rémunération l’UBS propose-t-elle à ces clients ultra-riches ?

Pour devenir un client de ces prestations un peu spéciales, il faut disposer en général d’au moins 10 millions d’euros. Il existe différents niveaux de rémunération Selon le risque pris par le client, les rémunérations proposées varient de 4%, pour les contrats les plus sécures, à 10% pour les plus risqués. Ce qui fait que le capital déposé paut rapidement augmenter : avec un gain de 10% sur dix ans le capital déposé fait plus que doubler !

Comment la banque se rémunère-t-elle ?

Il y a la rémunération classique de la gestion de patrimoine, qui est de 1% par an sur les sommes déposées. Ensuite, certaines prestations donnent lieu à des commissions, comme la création d’entreprise offshore ou les conseils d’un avocat spécialisé. La place des intermédiaires est importante dans le système. Ainsi un jeune joueur de foot débarquant dans un club peut être « parrainé » par un aîné… D’ailleurs, l’attrait des clients n’est pas uniquement pécunier. Au fond, UBS leur propose une sorte de passeport pour entrer dans le club des ultrariches. La banque créée sans cesse des évènements conviviaux pour conforter ce sentiment : tournois de golf, déjeuners littéraires, concerts, etc.

Votre enquête met-elle en cause les institutions françaises et lesquelles ?

Les enquêteurs de l’Autorité de contrôle prudentiel de la Banque de France ont fait leur travail, tout comme la douane financière et les officiers de renseignement de la DCRI. En revanche on peut se demander pourquoi tous ces rapports n’ont rien déclenché du côté du Parquet de Paris. Des plaintes ont même été déposées par des cadres de l’UBS qui n’ont donné lieu, pour le moment, à aucune poursuite.

Le porte parole de l’UBS, interrogé par la télévision romande, a déclaré que votre enquête exploitait quelques conflits du travail existant au sein de la banque. Que répondez-vous ?

J’estime qu’il y a au moins une quinzaine de cadres et commerciaux sont dans une procédure prud’hommale contre la direction d’UBS-France. Mais ces conflits sont nés, justement de leur dénonciation de l’évasion fiscale. Et puis les sources de mon enquête sont très loin de se limiter à ces personnes.

 

Philippe Cohen

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