La Plume parcourt le Net

Infosyrie s’arrête – la Syrie continue… Par Louis Denghien

1 février 20130
Infosyrie s’arrête – la Syrie continue… Par Louis Denghien 4.00/5 4 votes

Publié le : 31 janvier 2013

Source : infosyrie.fr

J’ai repoussé autant qu’il était possible cette décision : mais voilà, Infosyrie cesse son activité à compter de ce 31 janvier.

Pourquoi ? Parce qu’il ne m’est tout simplement plus possible d’assumer seul, même avec l’aide de l’amie Cécilia, cette charge de travail, alors que d’autres impératifs – professionnels ou d’ordre privé – me sollicitent de plus en plus. Bien sûr, cette décision n’a rien à voir avec des menaces qui émaneraient de correspondants parisiens du front al-Nosra – ou du ministère français de l’Intérieur. Non plus qu’avec un tarissement d’une aide financière du gouvernement syrien : en 20 mois d’activités nous n’avons pas reçu le moindre euro – ou la moindre livre syrienne – de Damas. Pas plus que je n’ai eu de contacts d’ailleurs avec des représentants du gouvernement syrien, à part un verre un jour avec Mme l’ambassadeur à Paris (la vraie, pas le SDF de la « coalition » reçu par François Hollande).

 Un combat pour le principe de souveraineté et contre le mensonge

Ce travail a été fait à côté d’activités professionnelles plus « ordnaires », sans moyens exceptionnels  – un webmestre et puis trois puis deux puis un rédacteurs. Nous avons prouvé ainsi qu’on pouvait faire pas mal avec très peu – et beaucoup moins que les « grands » médias. Et ce que nous avons fait pendant 600 jours, nous ne le le faisions pas pour l’argent. Pas même pour Bachar al-Assad, même si nous avons toujours écrit, et nous le maintenons, qu’il est le seul à même de garantir l’unité, l »équilibre, la souveraineté de la Syrie telle qu’elle est. Non, c’est surtout la dénonciation du bourrage de crâne de nos chers confrères qui nous a motivé. Cette propagande anti-Bachar a tout de suite éveillé en nous de mauvais souvenirs, de l’Irak et de la Yougoslavie, puis de la Côte d’Ivoire et de la Libye. C’est, hier comme aujourd’hui, la même propagande, simpliste et belliciste, qui maquille en défense des droit de l’homme et de la liberté d’assez prosaïques intérêts géostratégiques, ceux des Américains et de leurs amis, suiveurs et clients internationaux, pour faire simple (mais juste).

La différence avec les cas précédents, c’est sans doute l’intensité et la durée – proportionnelle à la résistance syrienne – de cette campagne de diffamation internationale, portée en France par les milieux atlantistes-sionistes de gauche, de droite et du centre, et qui s’acharnaient à présenter Bachar comme un chef de gang coupé de son peuple, et les opposants comme des humanistes, tout juste contraints de prendre les armes pour se défendre des soudards et autres chabihas du régime. On peut dire que la crise syrienne a vu sombrer le peu de crédit résiduel de notre presse, qui sur la Syrie, s’est exprimée globalement avec autant de mesure et d’acuité que la presse officielle de certains États autoritaires. C’est que Le Monde, Libération, I-Télé, ça n’est rien d’autre que de la presse officielle du Système occidentalo-libéral, et une presse sacrément militante. On s’en doutait confusément depuis des années, mais la Syrie a dépassé, de ce point de vue, nos fantasmes les plus fous !

Face à ce rouleau compresseur, quasi-quotidien jusqu’à il y a peu, Infosyrie s’est efforcé de faire entendre un autre son de cloche. Avec un succès marginal mais effectif. En 20 mois, ce site a été consulté par 723 700 personnes différentes (chiffre au 28 janvier 2013), avec des pics de fréquentation de 15 000 visiteurs quotidiens (et différents) au moment des événements dramatiques de juillet/août 2012  – attaque d’ampleur des rebelles à Damas, attentat contre le Conseil sécuritaire gouvernemental, début des combats à Alep ; ces dernières semaines, on enregistrait une moyenne de 7 à 8 000 visiteurs différents par jour. Une décrue qui s’explique par le « retrait » de la Syrie des « unes » de l’actualité, depuis le dernier échec rebelle autour de Damas, et aussi l’arrivée du Mali sur le devant de notre scène géopolitique. Cette discrétion médiatique étant elle même liée, peut-être, à l’odeur de plus en plus prenante de fanatisme islamiste de la rébellion, et à une certaine prise de distance américaine.

 2013 : la sortie du tunnel ?

Nous avons toujours souhaité qu’Infosyrie ne serve plus à grand chose, ce qui aurait signifié que la situation se serait normalisée en Syrie. En ce début d’année 2013, on n’en est pas encore là, mais les signes et informations sont encourageants. Militairement, la rébellion, qui n’a jamais été en mesure de triompher de l’armée syrienne, a enregistré récemment des échecs sanglants à Damas, mais aussi à Alep, Idleb, Hama, Homs, Deraa, Deir Ezzor. Son recours intensif  aux vidéos et communiqués de propagande est impuissant à camoufler le fait central qu’elle n’a, depuis des mois, aucun succès significatif à mettre en avant. À part des prises de bases aériennes désertées et de camps secondaires. Notre « confrère » Rami Abdel Rahmane de l’OSDH, premier fournisseur des médias internationaux en informations biaisées et statistiques truquées, a dû, voici un  mois, reconnaître que le gouvernement contrôlait toujours toutes les grandes villes, d’Idleb à Deraa. À Alep, importante exception à cette règle, les rebelles ne progressent plus depuis des mois, et même voient leurs positions systématiquement réduites : là encore, depuis combien de temps l’OSDH, les CLC et autres islamistes ont-ils annoncé un succès – même bidon – de leurs troupes dans cette ville ?

Pris à la gorge par l’armée, secondée désormais par une levée de volontaires civils, les rebelles doivent désormais affronter dans leur bastion du nord les miliciens kurde, bras armé d’une communauté farouchement attachée à son identité. Et viennent de se mettre à dos les Druzes dans le sud du pays. On ne voit vraiment pas, dans ces conditions, ce que peuvent espérer les insurgés. D’autant que la rébellion n’est plus celle du « bon vieux temps » de 2011 : le sigle ASL a presque disparu des articles et communiqués, au profit du djihadisme le plus sectaire et sanglant, celui du Front al-Nosra. Même les médias les plus endurcis dans leur anti-bacharisme ne peuvent plus, depuis la rentrée dernière, commettre un article sans utiliser le mot « islamiste » ou le nom « Al-Qaïda« . Dès lors, la rébellion, déjà ultra-minoritaire au temps de l’ASL, est condamnée à la défaite, et à la fuite en avant dans le terrorisme, hélas.

Quant à l’opposition politique et exilée, elle est plus que jamais, en dépit du récent replâtrage de la « Coalition nationale« , plus déconsidérée que jamais. Ignorée de la plupart des Syriens, et carrément méprisée par la plupart des combattants de terrain, djihadistes ou non, elle apparait clairement pour ce qu’elle est : une réunion de fantoches et d’islamistes, sous perfusion financière du Qatar et politique de la France.

Évidemment, il faut compter dans cette région avec l’imprévisible et les provocations : au moment d’écrire cet éditorial, nous avons appris l’affaire du raid aérien israélien contre une installation militaire syrienne. Qui nous rappelle, en plus grave, certaine provocation aérienne d’Erdogan. Nous ne croyons cependant pas que nous sortirons, là non plus, du cadre limité de la provocation. Netanyahu, pas plus qu’Erdogan, n’a les moyens politiques – sinon militaires – d’une aventure « consistante ». Et le gouvernement syrien, de son côté, sait qu’il ne doit pas céder à pareille provocation, mais plutôt essayer de la retourner contre l’adversaire, au niveau diplomatique et médiatique international.

 

 Fait nouveau, symbolique  et majeur

La déclaration « historique » de Moaz al-Khatib, le chef de l’opposition radicale à soutien qataro-français, hier, qui se dit prêt à négocier avec de représentants du gouvernement syrien, est une confirmation spectaculaire de la panade de cette opposition. L’homme des Frères musulmans, du Qatar, se dit prêt à négocier, en fait, avec Bachar. Il sera sans doute désavoué par nombre de ses amis, peut-être contraint à la démission. Mais il a dit ce qu’il a dit, et cette « demande d’armistice » est bien un fait symboliquement et politiquement énorme. Et c’est une bonne nouvelle pour la Syrie résistante, quoi qu’il se passe dans les jours à venir… La fermeté et la foi ont payé !

 Basculement du rapport de forces international

Ceci étant la conséquence de cela, le front international anti-syrien s’est fissuré depuis peu : les États-Unis, sous Obama II, vont échanger le tandem belliciste Clinton/Panetta contre le binôme, moins hystérique et plus neutraliste, Kerry/Hagel, et c’est au minimum une diplomatie moins agressive que vont promouvoir la Maison Blanche et le Département d’État. Dans la région, l’Arabie séoudite semble faire machine arrière, elle aussi. Au fond, demeure un quarteron d’États activistes : en Europe la France et la Grande-Bretagne, et dans la région le Qatar et la Turquie.

La crise syrienne connait déjà un vainqueur, la Russie de Poutine, qui s’est révélée comme l’adversaire le plus efficace à l’hégémonisme atlanto-wahhabite. Et qui a pris la tête d’un regroupement de nations résistantes au projet de l’Empire atlantiste. Une résistance victorieuse, car ce qui a marché en Libye a manifestement échoué en Syrie, et les Russes ont joué, après l’armée et le peuple syriens, un  rôle fondamental dans cet échec. On peut toujours essayer d’analyser ou disséquer, ou retourner telle ou telle déclaration de responsable russe : le fait demeure que Moscou ne fera rien contre le gouvernement syrien, et qu’il continuera de l’aider – discrètement – diplomatiquement, économiquement et militairement. Parce que, pour Poutine et son administration, ce qui est en jeu en Syrie, ce n’est pas la base navale de Tartous, c’est la crédibilité internationale de la Russie.

Nous pensons donc sincèrement que la Syrie souveraine est capable de gagner la partie en 2013. La partie militaire, car il faudra ensuite gagner la paix, avec l’énorme travail de reconstruction, des infrastructures et des coeurs. Il y a eu des causes légitimes au soulèvement d’une minorité de la population en 2011 : chômage, corruption, brutalité de certains cadres politiques et administratifs. Explosion démographique aussi. Nous croyons que Bachar al-Assad, qui a su s’imposer comme un véritable chef d’État dans ces dramatiques circonstances, a les moyens et la volonté de réparer le maximum de dégâts. Il faut espérer que la frange la plus responsable de l’opposition accepte de participer à cette oeuvre de reconstruction et de réconciliation. On peut considérer que ni les uns ni les autres n’ont le choix.

 Ce n’est (peut-être) qu’un au revoir

Revenons à Infosyrie : j’ai pleinement conscience que cette décision d’arrêt du site est une bien mauvaise surprise pour ses visiteurs, et notamment ceux qui s’expriment régulièrement sur son forum. Encore une fois, et malgré les difficultés, j’ai joué les « prolongations » autant qu’il a été possible. Il n’est de richesse que d’homme et je suis un homme seul : il y a dans mon entourage pas mal de partisans de la Syrie telle qu’elle est, mais aucun n’a le temps ou le désir de s’investir dans pareille tâche. Et par ailleurs, nous n’allons pas me chercher un successeur par le biais de petites annonces. Et nous ne pouvons, pour d’évidentes raisons de responsabilité et de sécurité, faire appel à des inconnus – même sympathisants.

Cela dit, il y aura peut-être, dans un mois, un « continuateur » du site, que nous allons rencontrer d’ici là. Ce n’est pas absolument sûr, mais il y a une réelle possibilité. Nous vous tiendrons informés, s’il y a lieu, via la page d’accueil du site, de l’évolution de la situation. Et nous laisserons le forum ouvert encore jusqu’à dimanche, en s’excusant de ne plus répondre à tous nos amis – les trolls étant de toute façon persona non grata

Nous avons tenu, à deux et demi puis à deux, 600 longs jours de bombardement médiatique, et signé 1 468 articles. Inégalement intéressants ou inspirés, mais globalement, tant en qui concerne l’analyse que l’éclairage, il nous semble qu’Infosyrie n’a pas usurpé sa raison sociale : site de réinformation. Aux « orphelins » du site, nous conseillons de se connecter désormais, s’ils ne le font déjà, sur des sites proches, au moins en ce qui concerne la question syrienne : Égalité et Réconciliation, notamment, qui a le mérite de centraliser les articles intéressants à cet égard.

Et puis, même si je comprends la déception, ce n’est pas Infosyrie qui va faire gagner la Syrie. Nos victoires à nous, c’est d’avoir vu certains médias « de référence » reprendre tout ou partie de nos arguments, même en traînant les pieds, ainsi, à droite, le Figaro et Valeurs Actuelles, ainsi que des sites « néocons » comme Causeur et Atlantico. Nous n’avons en revanche rien pu faire pour les cas – désespérés – des organes de la gauche bobo, du Monde à Libération en passant par France 24 et Télérama, sans oublier la terrifiante presse féminine genre Elle. Ces gens-là sont sortis depuis longtemps de la common decency journalistique, et ont troqué déontologie et honnêteté intellectuelle contre les avantage en nature que procurent la servilité à un système politico-économique. Le fait que la plupart de ces médias ne sauraient survivre par leur seuls lecteurs ou téléspectateurs n’est qu’une petite consolation.

Autre victoire, et pas la moindre : les dizaines de milliers de personnes qui nous ont lu plus ou moins régulièrement, et les centaines qui nous ont fait savoir leur approbation. Des gens venus – et ce n’est vraiment pas là une formule bateau – d’horizons très divers. Mais réunis par le plus petit commun dénominateur du refus de l’impérialisme maquillé en humanitarisme et du mensonge camouflé en information. Que tous en soient remerciés ici,  et singulièrement Cécilia aujourdhui et Mohamed hier.

Pour paraphraser une formule soixanthuitarde, par la force des choses « nous sommes tous des bacharistes syriens » ! L’aventure Infosyrie s’achève, le combat pour la Syrie continue. Il concerne d’ailleurs, bien au-delà de la Syrie, tous ceux qui refusent l’impérialisme, quelle que soit la couleur dont il s’est peint, et le mensonge, si « prestigieux » que soient ses auteurs…

Louis denghien

EmailPrintFriendlyBookmark/FavoritesFacebookShare

Mots clés : , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*