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Ukraine : Les visiteurs – Par Dominique Jamet

7 février 20150
Ukraine : Les visiteurs – Par Dominique Jamet 5.00/5 3 votes

Publié le : 07 février 2015

Source : bvoltaire.fr

Avant de s’envoler pour Kiev et de là pour Moscou après un crochet par Paris (le Président aurait intérêt à changer de tour operator !), François Hollande avait tenu à spécifier qu’il n’envisageait un accord que dans le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Sans doute, mais que faut-il entendre par là ? Soyons sérieux. Si M. Hollande voulait dire qu’il n’est pas question d’entériner le rattachement de la Crimée à la Russie, retour à la mère patrie accompli pratiquement sans violence et avec l’assentiment massif des populations concernées, il pouvait s’éviter et épargner à sa bonne amie Angela la fatigue du voyage. Mais il s’agit bien de cela ! La question, telle qu’elle se pose en février 2015, n’est pas de savoir si l’Ukraine peut récupérer le cadeau que lui avait fait en tout arbitraire Nikita Khrouchtchev dans un contexte bien différent, mais ce que sera le contour des régions qui échapperont plus ou moins à la juridiction ou à l’autorité de Kiev. Figera-t-on les lignes de front actuelles, étendra-t-on la zone tenue par les séparatistes ? Quel sera le statut des régions de Donetsk, de Lougansk, voire de la Novorussia ? Comportera-t-il une forte dose d’autonomie, ira-t-il jusqu’à une indépendance au moins nominale, voire jusqu’à une annexion de facto ou de jure par le grand pays voisin ?

Donner satisfaction à une rébellion télécommandée, soutenue, financée, armée et approvisionnée en moyens humains et matériels par Moscou, ce ne serait rien de moins qu’un crime contre l’Ukraine et contre le droit, hurlent ceux qui ont il y a plus d’un an ourdi, assisté, équipé, financé, manipulé, reconnu la révolution de Maïdan et installé au pouvoir, au prix de l’éclatement du pays, l’oligarchie pro-occidentale qui s’est substituée à l’oligarchie pro-russe. Et de répéter que ce serait un précédent gravissime que d’accepter pour la première fois en Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale la modification des frontières et le démembrement d’un État souverain internationalement reconnu. La première fois ? Et que s’est-il passé d’autre lorsque la Tchéquie et la Slovaquie ont divorcé ou lorsque la RDA et la RFA ont fusionné ? Il est vrai que, dans le premier cas, on avait affaire à une séparation amiable et dans le deuxième à un mariage d’amour. Mais l’Europe, l’OTAN et les États-Unis n’ont-ils pas porté sur les fonts baptismaux l’indépendance du Kosovo, à la suite d’une guerre, en toute illégalité, sur une base ethnique, sans la moindre considération pour le droit, la dignité, et les sentiments de la Serbie ? N’y a-t-il pas là quelque chose qui ressemble d’assez près à un précédent ?

La route qui pourrait ramener la paix dans l’Est européen ravagé par un conflit de plus en plus aigu et de plus en plus meurtrier est toute tracée. Encore faudrait-il que chacun y mette du sien. La première étape est, évidemment, celle d’un cessez-le-feu effectif, accepté par les deux parties et leurs mentors. La deuxième consisterait, une fois le calme rétabli, à organiser sous le contrôle impartial d’une force internationale des référendums régionaux qui permettraient de connaître sans équivoque le vœu des populations concernées.

Ici se pose une autre question, celle de l’impartialité et de la loyauté des bonnes fées qui se penchent de très près, et parfois d’un peu trop près, sur le berceau de l’Ukraine. C’est vrai de la Russie, naturellement, mais ce n’est pas moins vrai de la France, de l’Allemagne, de la Pologne, de l’OTAN et des États-Unis. L’évolution et les derniers développements du conflit n’incitent pas forcément à l’optimisme. Aux prétentions et aux incontestables ingérences de la Russie, pays qui paraît cependant plus légitimement concerné par le problème que l’Australie, le Canada ou les États-Unis, l’Occident, qui a cependant à fouetter tant d’autres chats, infiniment plus dangereux et plus sauvages que M. Pouchkine, n’a répondu que par la menace, puis par la mise en œuvre, puis par l’escalade de sanctions et la mise au ban des nations d’une Russie qui n’est pourtant plus celle de Staline.

La France s’est distinguée au premier rang des précepteurs étrangers de M. Poutine en refusant de lui livrer les Mistral qu’elle lui devait au prétexte qu’il était bien capable de s’en servir. Chaque jour davantage, en revanche, le Congrès américain parle de livrer à M. Porochenko des armes qu’il n’emploierait évidemment qu’avec délicatesse, modération et discernement. À force de jouer avec le feu, on risque seulement d’étendre l’incendie. M. Hollande, Mme Merkel et M. John Kerry, qui n’est pas bien loin, viennent-ils à Moscou, sinon en amis, au moins en négociateurs, en médiateurs, ou en va-t-en-guerre ?

Dominique Jamet

 

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