La Plume parcourt le Net

On n’est pas sérieux quand on a 17 ans – Rimbaud doit-il son génie à son homosexualité ?

5 novembre 20120
On n’est pas sérieux quand on a 17 ans – Rimbaud doit-il son génie à son homosexualité ? 5.00/5 4 votes

Publié le : 05 novembre 2012

Source : atlantico.fr

Dans une interview accordée au magazine Têtu, la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, condamne le silence qui entoure l’homosexualité de certains personnages historiques dans les manuels scolaires.

La ministre des Droits des femmes et porte-parole de l’actuel gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a déclaré, au sujet des manuels scolaires : « Aujourd’hui, ces manuels s’obstinent à passer sous silence l’orientation LGBT (lesbienne, gay, bi et trans) de certains personnages historiques ou auteurs, même quand elle explique une grande partie de leur œuvre comme Rimbaud ». Cette déclaration d’un personnage aussi éminent du gouvernement de François Hollande mérite quelques éclaircissements.

Le 10 novembre 1891, le poète décède, à l’âge de trente-sept, à l’hôpital de la Conception de Marseille. Atteint d’un cancer, amputé d’une jambe, il serait revenu, lors de cette épreuve, à la foi de son enfance, selon sa sœur Isabelle. Elle écrit à leur mère le 28 octobre 1891 que son frère est « un juste, un saint, un martyr, un élu ». Une lettre dont l’authenticité fait toutefois toujours débat, car il semble qu’elle ait été écrite après coup, pour amplifier la renommée familiale due à la célébrité grandissante du jeune poète. Longtemps cette image a prévalu : celle d’un poète devenu aventurier, doublé d’un « mystique à l’état sauvage », pour reprendre les termes de Paul Claudel, lui-même converti à la foi catholique après sa lecture de Rimbaud. Une image qui paraît n’avoir été édifiée que pour parer la légende d’un Rimbaud dépravé, procédurier et immoral.

Dès 1885, il est avéré que le frère aîné de Rimbaud, Frédéric, un modeste voiturier, qui louait une maison à Attigny près de celle du chef de gare, Alain Poher – dont le petit-fils qui porte les mêmes prénom et nom sera élu en 1968 président du Sénat -, ait tout appris des années de jeunesse d’Arthur à Paris, et s’en soit ouvert aux siens qui le méprisaient de ne pas réussir, autant qu’ils glorifiaient son cadet parti en Afrique où il menait la vie ardue d’un homme qui tente la fortune. Frédéric tenait l’histoire de Paul Verlaine lui-même qui séjournait alors à Coulomnes, à quatre kilomètres de Roche, où se situait la ferme familiale de Mme Rimbaud. A preuve, il semble que Frédéric, dont sa mère refusait le mariage avec une femme misérable, Blanche Justin, ait eu une explication avec elle, puis il fut déclaré persona non grata à la ferme.

Datée de la même année que la préface de Paul Claudel, 1912, on trouve un texte de son ami André Suarès, repris dans Portraits et préférences (Gallimard, 1991), où le Condottière, bien au fait de l’homosexualité supposée de Rimbaud, écrit, dans un esprit opposé à celui de « l’Apollon du Sacré Cœur » : « Quoi de plus absurde que de faire aujourd’hui un honnête jeune homme de Rimbaud ? (…) Mais quoi ? Rimbaud eût-il mis dans sa couche vingt mignons, je ne lui verrais pas moins d’innocence ». Après la Première Guerre mondiale, Rimbaud devint l’étendard des surréalistes, dont on sait qu’ils étaient animés par une homophobie totale, André Breton en tête qui déclarait : « J’accuse les pédérastes de proposer à la tolérance humaine un déficit mental et moral qui tend à s’ériger en système et à paralyser toutes les entreprises que je respecte. » Il n’empêche : le culte de Rimbaud devient un dogme, et, à la faveur du double interdit de Claudel et de Breton, la question de l’homosexualité du poète est une matière si taboue que personne n’en a parlé, ni surtout ne s’est avisé de la célébrer, sauf Cocteau. Sans doute aura-t-il fallu les années qui ont suivi Mai 68 pour que la question sexuelle s’impose de plus en plus, et en vienne à occulter toutes les autres dimensions, au risque de faire de Rimbaud l’archétype de l’homosexuel  en gloire – ce dont ni son œuvre, ni sa vie ne témoignent.

Inutile de se voiler la face : il est assuré que Rimbaud a eu une aventure homosexuelle avec Paul Verlaine, aventure qui s’est d’ailleurs terminée de manière dramatique, puisque Verlaine a tiré au pistolet sur Rimbaud à Bruxelles en 1873. A la suite de quoi, Rimbaud qui espérait que Mme Verlaine lui donnerait de l’argent, pour financer ses publications, s’est vengé et a fait envoyer son amant en prison – d’où il est revenu catholique. Retourné chez lui, blessé à la main, et donc inapte aux travaux des champs, Rimbaud a alors écrit le récit de sa liaison avec Verlaine sous le titre « Délires », où l’on entend la « vierge  folle » et « l’époux infernal » parler de manière sévère de leur amour. Rimbaud écrit dans ce texte, qui est le point culminant de la Saison en enfer : « Peut-être devrais-je m’adresser à Dieu. Je suis au plus profond de l’abîme, et je ne sais plus prier. » Mais plus que de savoir si ce texte met en balance l’homosexualité et la mystique, il importe de voir que le titre du livre dit l’essentiel : si « saison en enfer » il y a eu, cette « saison » n’est qu’un moment – il est d’autres saisons. Dit autrement, tout l’enjeu de la poésie de Rimbaud – cette poésie non rêvée, mais écrite – , est de permettre l’arrachement de l’ « enfer ». Après quoi, une fois le mauvais rêve de la liaison avec Verlaine dissipé, Rimbaud écrira ses plus grands textes, des proses poétiques qui renversent dialectiquement les propositions infernales de la Saison – c’est-à-dire les Illuminations.

« L’amour est à réinventer », peut-on lire dans « Délires ». Phrase plus universelle que proprement homosexuelle, surtout si l’on songe aux propos de Rimbaud sur les femmes dans sa lettre dite du « Voyant » : « Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, jusqu’ici abominable, lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi. La femme trouvera de l’inconnu. » Dans « Génie »,  qui clôt les Illuminations, on lit cette définition : « Il est l’amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue. » La métaphore de la « mesure » est musicale : sans doute celle qui résume le mieux l’entreprise de Rimbaud, sa tentative géniale et désespérée de réinvention des choses. « Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l’amour. » Si l’amour ici est dit « raison », c’est au sens où le poème qui l’invoque « A une raison », dans les Illuminations, celle-ci est saluée comme un pouvoir d’harmonie : « Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie. » C’est-à-dire aussi bien en elle le nouvel amour. D’où vient qu’on lit un peu plus loin, dans le même poème, ceci qui vient en écho de la définition finale de « Génie » : « Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche. / Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, – le nouvel amour ! »

Le nouvel amour chez Rimbaud ? La masturbation (« Hortense ») ; le ballet des trois membres de l’hermaphrodite dans « Antique » ; le couple des deux souverains d’un jour dans « Royauté », de Henrika et de son mari dans « Ouvriers », « l’Aimée ni tourmentante ni tourmentée » dans « Veillées », l’étreinte de la déesse par l’enfant dans « Aube », les relations sado-masochistes avec la Vampire dans « Angoisse », le narcissisme froid d’Hélène dans « Fairy », le passage de l’esclavage à la libération dans « Bottom » ? Un kaléidoscope qui ne ressortit à aucune esthétique gay.

Pour le reste, on ne sait que peu de la sexualité vécue de Rimbaud. A-t-il été amant de Forain dont il a partagé la chambre quelque temps ? Mais alors que penser quand on sait que Forain, réactionnaire en diable, et antisémite virulent, est décrit de la sorte par Bertrand Delanoë dans la préface à La comédie parisienne, la catalogue du Petit Palais, réalisé à l’occasion de l’exposition qui lui a été consacré en 2011 : « Exposer n’est pas rendre hommage. Car témoigner d’une époque, c’est aussi illustrer ses dérives, et Forain les incarne, hélas, au-delà de l’acceptable. (…) Forain, tout comme Caran d’Ache d’ailleurs, fut agressivement et obstinément du mauvais côté : celui du mensonge et de la haine. » Rimbaud a-t-il été amant de Germain Nouveau ? Mais là encore que penser quand on sait que Germain Nouveau est surtout connu pour son catholicisme ardent qui a fait de lui un pèlerin passionné ? De fait, exception faite de celle de Paul Verlaine, une seule relation concernant Rimbaud est établie. Il s’agit de celle qu’il entretint avec … une femme, lui qui disait regretter de ne pas être marié (lettre du 6 mai 1883) et désirait le faire – au plus tard à trente-trois ans – (lettres de mars 1883, 29 mai 1884, 30 décembre 1884, 21 avril, 10 août 10 novembre 1890), un désir que son retour en France et sa mort prématurée ont brisé.

Qui était donc la compagne de Rimbaud ? Elle s’appelait Mariam. Ils vécurent ensemble plus de trois ans à Aden et à Harar. Elle était abyssine et chrétienne. Comme il écrit en légende de sa photo dans le livre d’Alfred Bardey, « Souvenirs du patron de Rimbaud – Aden-Harar, 1880-1887 » (Edition L’Archange Minotaure) : « Arthur et Mariam ont pu se rencontrer à Harar lors de son deuxième séjour de mi-avril 1883 à début mars 1884. En août 1884, elle était encore à Harar, puis aurait rejoint Rimbaud à Aden où ils auraient vécu de septembre 1884 à novembre 1885 dans une maison d’Aden Town. Le 3 décembre 1885, Rimbaud écrit à sa famille qu’il est arrivé à Tajourah pour former sa caravane d’armes, et début octobre 1886, il se met en route pour le Choa. Leur séparation a du survenir entre ces dates. » Françoise Grisard, la femme de chambre du patron de Rimbaud, la décrit dans une lettre envoyée à la famille Rimbaud : « Elle était grande et très mince ; une assez jolie figure, des traits assez réguliers ; pas trop noire (…) elle était catholique (…) elle aimait beaucoup fumer la cigarette. »

Inutile de développer davantage, ni de renvoyer Najat Vallaud-Belkacem au livre de Marcel Proust Contre Sainte-Beuve, ou aux propos de Roland Barthes sur la frontière entre littérature et biographie – inutile également de souligner à quel point, outre le fait que son propos ne soit pas juste, il est dangereux et réducteur. Lenni Riefensthal était lesbienne et nazie. Quelle est la part de l’un et de l’autre ? Est-ce son antisémitisme qui a rendu Marcel Jouhandeau homosexuel, ou est-ce son homosexualité qui a l’a rendu antisémite ? Brasillach a-t-il aimé les corps vigoureux des soldats allemands parce qu’il était d’extrême droite, ou parce qu’il était homosexuel ?

Rimbaud vaut mieux qu’une mauvaise querelle sans rapport avec lui.

Charles de Sivry

 

EmailPrintFriendlyBookmark/FavoritesFacebookShare

Mots clés : , , , ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


*