Economie

Dans la série « les grands mythes bruxellois » : la compétitivité

4 novembre 20120
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Publié le : 03 novembre 2012

Source : comite-valmy.org

Pour le lecteur qui suit l’actualité politique, le mot de l’année sera certainement « compétitivité ». On le met à toutes les sauces : compétitivité de nos entreprises, de nos universités, de nos « économies » en général… c’est devenu le mot « passe-partout » qui, dans le climat de pensée unique qui nous entoure, ne supporte pas de discussion. La compétitivité est par essence un « bien ». Ce qui augmente la compétitivité doit être loué, ce qui la réduit doit être honni. Gauche et droite communient autour du nouveau Graal, comme naguère autour des « marchés libres et non faussés » ou de « l’Euro qui protège ». Le raisonnement bruxellois est un raisonnement d’évidences.

Cette glorification de la « compétitivité » illustre jusqu’à la caricature la manière dont les économistes libéraux ont réduit le raisonnement économique à un raisonnement micro-économique, oubliant qu’on ne peut généraliser les raisonnements qui fonctionnent dans une entreprise à l’ensemble de l’économie. Pour illustrer ce problème, examinons un exemple simple. Imaginons une petite entreprise A dans une économie fermée : le patron décide de réduire les salaires de 10% ce qui lui permet de réduire les prix de ses produits de 5%. Un raisonnement simple montre que l’entreprise A gagnera des parts de marché, étant plus « compétitive » que ses concurrentes, et que ses profits augmenteront. Tout bénéf en sorte… pour le patron.

Mais imaginons maintenant que les autres entreprises, ne voulant pas perdre de la « compétitivité », jouent le même jeu et réduisent les salaires de 10%. A première vue, cela se traduira par une baisse générale des revenus des travailleurs de 10%, et une baisse générale des prix de 5%… en d’autres termes, comme la baisse des salaires n’est pas compensée intégralement par la baisse des prix, la décision de baisser les salaires fait baisser la demande globale, et donc la production globale… et donc les profits. Même les patrons y perdent…

Cet exemple illustre une réalité que beaucoup d’économistes ont oublié : si au niveau microéconomique les travailleurs et les consommateurs sont deux groupes distincts, au niveau macroéconomique ce sont les mêmes. Lorsqu’on s’intéresse à une entreprise, la baisse des salaires peut augmenter les parts de marché et les profits. Mais lorsqu’on s’intéresse à l’ensemble de l’économie, la course à la baisse des salaires implique que les consommateurs aient moins d’argent en poche, ce qui se traduit par une baisse de la demande, et donc une contraction de l’économie.

La problématique de la surenchère dans la course à la compétitivité n’est pas nouvelle. Le professeur Christopher Hill, dans son histoire du pré-capitalisme anglais note combien la pression était forte pour augmenter les cadences de travail jusqu’à travailler sept jours sur sept. Pourtant, les employeurs étaient tous d’accord sur l’intérêt en termes de stabilité sociale et même de productivité qu’il y avait à accorder un jour de congé par semaine. Mais aucun ne pouvait faire le premier pas, puisqu’il aurait perdu de la « compétitivité » devant les autres, et aucun accord n’était possible parce que tous craignaient le comportement de « passager clandestin » de l’industriel qui resterait à sept jours pour profiter de l’aubaine. Il fallait qu’une autorité extérieure incontestable intervienne pour obliger tout le monde à agir de la même manière : ce fut l’église anglicane, qui proclama la sanctuarisation du Sabbath. Cet exemple montre combien la course à la compétitivité peut être néfaste, combien le fonctionnement du marché peut conduire au bloquage du progrès économique de la société, et combien l’existence d’une autorité extérieure pouvant faire échec au fonctionnement du marché est nécessaire.

Ce raisonnement reste valable aujourd’hui. Le « marché libre et non faussé » n’aboutit pas nécessairement au meilleur résultat, non seulement parce qu’il est rarement « pur et parfait », mais aussi parce que sa logique est d’optimiser les quantités échangées, et non le bien-être global de la société. La liberté des échanges, alors que la mobilité du capital est infinie et celle du travail est très limitée, conduit à une sur-rémunération du capital et une sous-rémunération du travail. Ce qui est déjà criticable du point de vue de la justice abstraite, mais qui sur le plan concret se traduit par un afaiblissement de la demande. Car le travailleur et le consommateur, on n’insiste jamais assez sur ce point, sont une seule et même personne. Réduire les salaires et prestations de l’un, c’est réduire le pouvoir d’achat de l’autre.

Plus fondamentalement, l’idée de « compétitivité » implique que les entreprises, les organisations, même les pays sont engagés dans une sorte de « course ». Mais dans toute course, il y a les gagnants et les perdants. Admettre la logique de la compétitivité implique nécessairement qu’il y aura des perdants. Car il y aura toujours des « plus » compétitifs et des « moins » compétitifs. Qu’est ce qu’on fait avec les perdants ? Sont-ils condamnés à la pauvreté éternelle ? La logique de Bruxelles est de les forcer à devenir « plus compétitifs » en coupant les salaires et prestations. Admettons – contre toute évidence – que cela puisse marcher, et que grâce à ce traitement la Grèce, l’Espagne et le Portugal deviennent des « tigres européens » plus compétitifs que l’Allemagne. Mais alors, ce sera l’Allemagne qui sera en difficulté… ce sera l’Allemagne qui devra couper salaires et prestations pour devenir « plus compétitive »… et si elle réussit, on sera revenus à la case départ. La course à la « compétitivité » implique une réduction continue de la rémunération des travailleurs. Et en réduisant salaires et prestations, on réduit la demande et donc la production globale et on augmente donc le chômage. C’est un cercle vicieux.

L’illusion bruxelloise, résumée dans ce qu’on appelle dans un franglais détestable « l’Agenda de Lisbonne », est que l’Europe peut gagner la course à tous les coups en devenant « l’économie la plus compétitive de la planète » et en inondant le reste du monde avec ses produits – ces produits que les européens ne pourront plus acheter, puisqu’il faut se serrer la ceinture pour les produire à faible coût. Seulement, cela ne marche pas. Les segments dans lesquels une économie développée peut effectivement concurrencer des économies où la main d’oeuvre est vingt ou trente fois moins chère et la législation environnementale inexistante sont assez limités. Ils se réduisent à la haute technologie, le luxe… et guère plus. Et pour compliquer les choses, l’Europe reste une économie relativement fermée, ou la grande majorité des échanges sont intra-européens, alors que les états européens ont perdu les instruments de régulation de la « compétitivité » de leur économie que sont les barrières à l’importation et les parités monétaires.

La course à la compétitivité est par essence une politique récessive. Le justification morale de l’affaire est qu’il faut produire plus et consommer moins. Seulement, si tout le monde s’amuse à ce petit jeu, on ne voit pas qui va consommer le surplus de production. C’est pourquoi la course à la compétitivité n’a de sens que si l’on trouve suffisamment de monde pour ne pas y participer, pour continuer à consommer – éventuellement à crédit – de manière à créer une demande suffisante.

L’efficacité de l’activité économique ne se mesure pas à sa « compétitivité », mais à sa productivité. C’est ce mot qu’il faut remettre à sa place dans la réflexion économique. Lorsqu’une économie produit des biens en optimisant les facteurs de production nécessaires, elle peut offrir par construction un haut niveau de vie à sa population. C’est donc cette optimisation qui doit être l’objectif de la politique économique. La question de la « compétitivité » est secondaire, et s’ajuste ensuite par la réglementation au niveau national et par des instruments de politique monétaire et fiscale au niveau des échanges extérieurs. Le mythe bruxellois d’une compétition « libre et non faussée » nous conduit tout droit à la récession.

Descartes

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