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Le coup d’Etat médiatico-judiciaire est en marche – Par Descartes

8 mars 20170
Le coup d’Etat médiatico-judiciaire est en marche – Par Descartes 5.00/5 2 votes

Publié le : 08 mars 2017

Source : comite-valmy.org

Vainqueur de la primaire de la droite avec une majorité nette, bénéficiant de l’immense déception laissée par le quinquennat de François Hollande, il ne lui restait plus à Fillon qu’à marcher triomphalement sur l’Elysée. Hélas, trois fois hélas, une vieille histoire est ressortie par le « Canard Enchainé ». Et la justice, dont la célérité en toutes circonstances est bien connue, se saisit du fait accompagnée par une presse toujours aussi soucieuse de transparence. En quelques semaines, la candidature Fillon est dynamitée.

Bien entendu, Fillon est d’abord victime de sa petitesse. Petit notable de province arrivé aux plus hautes responsabilités par hasard, il n’a pas su résister à l’attrait de l’argent qui s’offrait à lui. Sarkozy, Mitterrand ou Chirac, qui pensaient à la présidence de la République chaque matin en se rasant, avaient compris une règle essentielle : lorsqu’on songe à la plus haute magistrature, on ne met pas les doigts dans le pot de confiture. On laisse ce travail à des hommes de confiance, qui au besoin iront en prison pour vous. La femme du César doit être non seulement irréprochable, mais aussi de préférence insoupçonnable.

Mais ce qui arrive aujourd’hui n’est pas, contrairement à ce que certains commentateurs qui rêvent d’une France qui serait une sorte de Suède en plus gros, le témoignage du progrès de notre pays vers une normalité démocratique, l’arrivée de la France au paradis de la responsabilité et de la transparence. C’est à mon sens exactement le contraire : cette affaire illustre comment l’électeur est dépossédé de son pouvoir de se choisir ses gouvernants, au profit d’institutions non élues. Nous pourrons toujours voter, mais seulement pour les candidats agréés par les juges, relayés par la presse bienpensante.

Commençons par les juges, parce que c’est là que le premier problème réside. Depuis trente ans, nos « classes moyennes », auxquelles nos élites politico-médiatiques répondent, n’ont eu de cesse que d’affaiblir le domaine du politique. Il fallait enlever au politique – c’est-à-dire à ces électeurs si inconstants et si dangereux – l’essentiel des décisions. « A bas les politiques discrétionnaires, vivent les régulations par les marchés et par des institutions indépendantes ! » est leur mot d’ordre. C’est ainsi qu’on surgi une Commission européenne indépendante, une Banque centrale indépendante, des Autorités administratives indépendantes en pagaille, chargées de mettre le politique sous contrôle. Et dans cette boulimie « d’indépendance », les juges ne pouvaient qu’occuper une place privilégiée. Le juge a cessé d’être celui qui a pour rôle de protéger la société, pour devenir le protecteur de l’individu contre celle-ci. Petit à petit, les juges sont sortis de leur rôle qui est d’appliquer la loi, pour devenir les défenseurs de la morale – de leur morale.

Car c’est là un point essentiel : la justice, en tant qu’institution, peut être indépendante. Mais cette indépendance vient de ses procédures, et non des hommes qui la composent. Pour être juge on n’est pas moins homme, et donc soumis à toutes les tentations auxquelles les hommes sont soumis : l’argent, le prestige, le pouvoir, pour soi ou pour sa caste. Pourquoi le juge serait-il plus vertueux que le fonctionnaire ou le politique ? Les juges seraient-ils faits d’une autre substance que les hommes ordinaires ? Non, bien sur que non. L’affaire du « mur des cons » avait mis en évidence ce fait : les juges ont des opinions politiques. L’affaire Tapie avait montré que le statut de magistrat ne protège ni de l’incompétence, ni de la corruption. Robespierre déjà mettait en garde contre tout système bâti sur l’idée que le juge est incorruptible, et ses paroles sont aussi actuelles que si elles avaient été prononcées hier. C’est pourquoi il faut se méfier des discours qui prétendent à une rédemption du politique par le juge. Le juge, en tant que personne, n’a aucune raison d’être plus vertueux que le politique.

Le juge ne peut juger le politique sans mettre en danger la démocratie elle-même, parce que cela implique mettre le choix politique dans les mains d’une personne qui, de par son indépendance, ne rend de comptes à personne. Or, l’essence de la démocratie se trouve là : dans la responsabilité de celui qui prend une décision devant le peuple souverain. Pour que le juge puisse juger le politique, il faudrait que le juge fût lui-même élu. Et on sait à quoi ce type d’élection conduit : à un déploiement de démagogie qui n’a rien à envier à celui du politique.

Je ne connais pas les procureurs qui ont instruit jusqu’ici l’affaire Fillon, pas plus que je ne connais le juge qui s’apprête à le mettre en examen. Si cela se trouve, ils agissent par pur amour de la justice et sans aucune motivation politique. Mais l’inverse est aussi possible, et comme on disait plus haut, « la femme du César doit être insoupçonnable ». On ne peut que s’interroger sur l’extrême célérité de la procédure dans le cas Fillon, qui contraste fortement avec le rythme habituel de ce genre de procédures. Quelque soient les motivations du juge, on pourra toujours suspecter ses motivations. Or, l’affaire qui se décide ici c’est l’avenir du pays. Peut-on se permettre un tel doute ? Que ferait-on s’il apparaissait après l’élection que la procédure avait été « accélérée » pour des motifs politiques ?

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons que constater qu’aujourd’hui un juge – avec la complicité des médias – a le pouvoir de décider tout seul, d’un coup de plume, de barrer une candidature à l’Elysée. Bien sur, me direz-vous, si le candidat est innocent, il pourra faire appel de sa mise en examen, démontrer son innocence devant le tribunal. Possiblement. J’ai confiance dans la justice de mon pays – ce qui n’est pas la même chose que d’avoir confiance dans les juges. Mais il demeure que démontrer son innocence prend du temps. Fillon ne sera pas jugé avant l’élection, tout juste mis en examen. Il n’aura même pas le temps de contester sa mise en examen devant la chambre de l’instruction. Et même si celle-ci lui donnait raison dans les délais, le mal sera fait.

Car en politique, la mise en examen vaut condamnation. C’est là conséquence d’une jurisprudence absurde qui veut qu’un mis en examen doive se retirer. Mise en œuvre pour la première fois sous Mitterrand lorsque Bernard Tapie fut mis en examen, remise au goût du jour lorsque Dominique Strauss-Kahn a du quitter le gouvernement Jospin, elle est devenue une sorte de principe dogmatique qui cache en fait une absurdité. La mise en examen indique simplement qu’un « faisceau d’éléments concordants » fait penser que la personne a commis un délit. Pas qu’il l’ait commis effectivement. Exiger d’un politique qu’il se retire parce qu’il est mis en examen revient à rétablir la condamnation sur simple suspicion, et qui plus est, sur la suspicion d’un juge seul dont les motivations sont toujours soumises à caution. Strauss-Kahn avait été obligé de démissionner, alors que son affaire a abouti à une relaxe. Nicolas Sarkozy a été mis en examen dans des multiples affaires, et toutes se sont terminées par un non-lieu. Ce qui devrait nous convaincre de la relativité des motifs qui conduisent à une mise en examen.

Certains se réjouissent que les hommes politiques deviennent des « justiciables comme les autres ». Mais ce n’est pas le cas. Les justiciables ordinaires ne voient pas leurs mises en examen annoncées avec tambour et trompettes par les médias. Les justiciables ordinaires ne voient pas des pièces du dossier d’instruction – couvertes en théorie par le secret – publiées verbatim ou sous forme résumée à la une des journaux. Et ces fuites, qui violent le principe fondamental de présomption d’innocence, ne sont jamais tracées, jamais punies. Les justiciables ordinaires peuvent poursuivre paisiblement leur vie en attendant la fin de l’instruction, et si celle-ci se termine par un non-lieu ils ne souffriront que des dégâts limités. L’homme politique, lui, est démuni devant le juge, un juge qui peut briser net sa carrière d’un trait de plume suivi d’une « fuite » opportune. Un juge qui, contrairement au cas du justiciable ordinaire, peut avoir beaucoup de raisons de souhaiter que le politique morde la poussière.

Le politique ne peut être un « justiciable comme les autres », parce que tout le monde peut avoir une bonne raison pour lui en vouloir. Un juge qui doit condamner un voleur de poules n’a aucune raison de vouloir personnellement au justiciable du mal ou du bien, et s’il en avait une – un lien de famille ou d’intérêt, par exemple – il devrait se récuser. Mais lorsqu’on juge un politique, tout le monde sans exception a un lien d’affinité ou d’intérêt dans l’affaire. C’est pourquoi le juge « indépendant » n’existe tout simplement pas. Ce n’est pas par hasard si dans tous les systèmes politiques se pose la question des rapports entre le juge et le politique, si chaque pays met en œuvre des principes de séparation et d’immunité plus ou moins développés. Ce n’est pas là un luxe, pas plus que ce n’est une réaction corporative des élus. C’est un véritable problème, qui doit être traité sérieusement si l’on ne veut pas que cela devienne le gouvernement des juges.

Quant à la classe politique, elle montre dans cette affaire sa lâcheté collective. Déjà lors des affaires précédentes, c’était la pusillanimité qui l’avait emporté. Il était plus facile de se défaire d’un collaborateur, d’un ministre mis en examen à tort que de le défendre. Alors, on a préféré l’injustice – et la perte de compétences précieuses – plutôt que le courage et la vérité. Une telle jurisprudence a donné aux juges un pouvoir immense : celui de renvoyer un ministre du gouvernement. Aujourd’hui notre classe politique, au lieu de défendre la candidature de Fillon par principe préfèrent céder à l’opinion publique – et à leur propre intérêt à court terme – en l’accablant et en exigeant son retrait. Ils ne se rendent pas compte de ce que cela établirait comme précédent : si Fillon devait se retirer, demain ce serait quelqu’un d’autre, peut-être l’un de ceux qui s’imagine profiter de ce retrait, qui pourrait être la victime du veto des juges et de la presse (1).

Là encore, il est triste de constater que les seuls qui aient dans ces affaires une position claire et rationnelle se trouvent à l’extrême droite. Marine Le Pen, qui risque elle aussi une mise en examen, a fait répondre qu’elle ne se rendrait à aucune convocation avant l’élection présidentielle. Elle a parfaitement raison : la justice a son temps, la politique le sien. Une fois que le peuple aura parlé, il sera temps pour les juges de punir des actes répréhensibles au regard de la justice ordinaire, s’il y en a. Dans un monde bien fait, Fillon ferait de même avec le soutien de l’ensemble de la classe politique. Parce que ce n’est pas au juge de décider pour qui les français ont le droit de voter.

Cette sacralisation du juge – il paraît que critiquer le pouvoir judiciaire serait porter atteinte aux institutions, rien de moins ! – n’est pas à mon avis une coïncidence. Elle répond à une volonté de « normalisation » de la France, d’importation d’un modèle « euro-compatible » du droit, en totale contradiction avec notre tradition juridique. Nous avons en France une tradition de saine méfiance envers le juge. Cela ne traduit nullement, comme essaye de nous faire croire une certaine bienpensance, un « retard » français en matière de démocratie et de transparence. Au contraire : nous nous méfions des juges parce que nous sommes un peuple politique. Les expériences de Maupeou et de Turgot nous ont montré combien était néfaste un pouvoir judiciaire arque bouté sur ses privilèges. Nous voulons être gouvernés par des gens que nous élisons librement et que nous pouvons renvoyer s’ils ne donnent pas satisfaction, et non par des gens nommés et inamovibles. Nous sommes les propriétaires de l’Etat, et non des sujets qui auraient besoin d’un juge pour les protéger de lui. C’est la préservation de cette spécificité qui est aujourd’hui en jeu. Et il est regrettable de voir que nos politiques ne le comprennent pas.

Descartes

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1) La palme d’or de la bêtise appartient certainement aux militants « insoumis » qui perturbent les meetings de François Fillon avec des concerts de casseroles. Outre le fait que la perturbation des meetings du camp adverse fait partie de la panoplie des partis peu démocratiques, ils n’ont pas l’air de se rendre compte qu’ils contribuent au coup d’état médiatico-judiciaire et qu’ils vont faire élire Macron. Mais bon…

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