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Pour en finir avec le messianisme migratoire de l’Église – Entrevue avec Laurent Dandrieu

27 janvier 20170
Pour en finir avec le messianisme migratoire de l’Église – Entrevue avec Laurent Dandrieu 3.67/5 3 votes

Publié le : 21 janvier 2017

Source : breizh-info.com

Laurent Dandrieu vient de publier un ouvrage choc intitulé « Eglise et immigration, le grand malaise » paru aux Presses de la Renaissance. Il est rédacteur en chef des pages  Culture  de Valeurs actuelles, pour lequel il suit également l’actualité religieuse. Il est l’auteur de plusieurs livres dont Woody Allen, portrait d’un antimoderne (CNRS Éditions), Dictionnaire passionné du cinéma (Éditions de l’Homme nouveau) et La Compagnie des anges. Petite vie de Fra Angelico (Éditions du Cerf).

 « Le chrétien laisse venir tout le monde » , dit le pape François. Pendant que l’Europe, qui n’a déjà pas réussi à intégrer les précédentes générations d’immigrés, est soumise à un afflux de migrants sans précédent, l’Église catholique, plus que jamais, martèle l’unique impératif de l’accueil, donnant l’impression de se faire complice de ce que le pape lui-même a qualifié d’ « invasion » . Écartelés entre leur fidélité à l’Église et le légitime souci de protéger leur identité et leur civilisation, beaucoup de catholiques ressentent un malaise croissant. Plus largement, les populations européennes sont de plus en plus heurtées par un christianisme qui semble leur dénier le droit à la survie.

Cette incompréhension est-elle une fatalité ? L’Église est-elle condamnée à être prisonnière de la « culture de la rencontre » tant vantée par le pape, au risque de livrer le continent au chaos sans profit pour les migrants eux-mêmes ? Ou bien existe-t-il une autre voie, qui permette de réconcilier les impératifs de la charité authentique et la défense de la civilisation européenne ? C’est à ces questions que répond ce livre.

Eglise et immigration, le grand malaise  est un livre qui intéressera particulièrement les catholiques, qui ont du mal pour beaucoup, à comprendre le message du pape actuel par rapport à l’immigration. Véritable travail d’enquête et de recherche historique, religieuse et politique, ce livre est incontestablement l’un des ouvrages à lire en ce début d’année 2017.
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Breizh-info.com : Laurent Dandrieu, est-ce parce que vous êtes-vous même catholique que vous avez voulu écrire un ouvrage sur l’aide au suicide de l’Europe qu’apport l’Eglise actuellement ? L’euthanasie serait donc permise chez les catholiques ?

Laurent Dandrieu : Ce livre est évidemment l’expression de mon propre malaise de fidèle catholique devant un discours ecclésial qui semble placer les catholiques devant un dilemme impossible : choisir entre la fidélité à l’Évangile qui, si l’on en croit le discours de l’Église depuis quelques décennies, nous obligerait à accueillir sans aucune réserve les migrants qui désirent venir en Europe, et la fidélité à notre patrie et à notre identité, que nous devrions sacrifier gaiement à cette absolutisation de l’accueil. Je l’ai donc écrit pour aider les catholiques à ne plus se sentir prisonniers de ce dilemme qui les condamne, soit à sembler renier les principes de leur foi, soit à consentir à leur propre disparition par fidélité à ces principes. C’est bien parce que cet accueil inconditionnel me semble suicidaire, et qu’il me paraît impossible que l’Église demande réellement à ses fidèles de renoncer à la défense de leur patrie, que ce discours de l’Église ne me paraît plus tenable et qu’elle doit impérativement le rectifier.

Tout au long de son histoire, l’Église a su concilier l’appel à la fraternité universelle, qui fait partie de son ADN, avec la défense des identités particulières des peuples qui la composent, leurs communautés naturelles, leurs patries. Cet équilibre miraculeux est fracassé dans son discours actuel sur les migrants : il est capital qu’elle le retrouve si elle veut ne pas conduire l’Europe à la catastrophe, ni achever de se couper des peuples européens et ainsi accélérer son déclin sur notre continent. Car le risque est aussi pour l’Eglise : comment réaliser la nouvelle évangélisation à laquelle elle aspire en Europe, comment conduire les Européens à renouer avec le christianisme, si elle continue à regarder de haut leurs aspirations à préserver leur identité et la sécurité de leurs patries ?

Vous intitulez votre premier chapitre « de Lépante à Lesbos », chapitre qui est une véritable gifle lorsque l’on voit ces siècles d’histoire défiler, puis réduits à néant devant nous aujourd’hui. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Laurent Dandrieu : Je ne cherche pas à administrer des gifles, surtout pas à mon Église, seulement à la réveiller d’une certaine torpeur bien-pensante. Comment en sommes-nous arrivés là ? Par la conjonction de deux phénomènes : le discours de l’Église sur les migrations de masse est un discours relativement récent, qui s’est développé à une époque où l’Église catholique baignait dans une forme d’utopie de la mondialisation heureuse. Elle avait le sentiment que les migrations étaient l’avant-garde d’une humanité nouvelle, d’une cité sans frontières qui préfigurait la Jérusalem céleste. Cette vision messianique des flux migratoires s’est conjuguée à une sorte de transposition aux peuples de « l’option préférentielle pour les pauvres » qui est propre à l’Église, pour centrer son attention exclusivement sur le sort des migrants au détriment des populations des pays d’accueil, et notamment des populations européennes.

Cette vision outrageusement favorable au migrant, où le droit des nations à réguler les flux migratoires est toujours relégué au second plan face au « droit à migrer » dès qu’on trouve ailleurs « des conditions de vie plus favorables », s’est par ailleurs conjugué avec une vision angélique de l’islam qui en a systématiquement minoré les dangers, les menaces, et la profonde incompatibilité avec les valeurs occidentales héritées du judéo-christianisme. Dans le même temps en effet que l’Eglise développait sa réflexion sur les migrations, elle entrait dans une phase de dialogue interreligieux, qui a connu depuis Vatican II un prodigieux essor. Le dialogue interreligieux est une très bonne chose en soi, à une condition : qu’il s’exerce en vérité, et qu’on n’occulte pas les choses qui fâchent. Or, avec l’islam, il s’est rapidement travesti en “dialoguisme”, cette caricature de dialogue dont la poursuite est une fin en soi, et où l’important devient vite de ne pas mécontenter son interlocuteur.

Il en résulte que l’Église tient souvent sur l’islam un discours au pire mensonger, au mieux émollient, qui fait l’impasse sur son refus de l’égale dignité de tous les êtres, et donc de l’égalité homme-femme, de la laïcité, de la liberté individuelle et notamment religieuse, et sur son rapport pour le moins problématique à la violence. C’est ainsi que le pape François en arrive à écrire que « l’affection envers les vrais croyants de l’islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence. » Le pape en vient ainsi à défendre une vision de l’islam plus positive que bien des intellectuels musulmans, dont beaucoup disent qu’il est urgent que leur propre religion entreprenne une réflexion critique sur sa complaisance par rapport à la violence ! Ainsi, le danger de l’immigration de masse sur l’identité européenne est d’autant plus volontiers minoré par l’Église qu’elle refuse de voir aussi les menaces islamistes qu’elle apporte dans ses bagages…

Vous vilipendez, dans une bonne partie de votre ouvrage, l’institution catholique, et notamment les derniers papes qui ont conduit au désarmement moral de l’Europe et des Européens face aux migrants et à l’islamisme. Y a-t-il un problème profond au sein des institutions de l’Église catholique ?

Laurent Dandrieu : Soyons clairs : il n’est pas le moins du monde dans mon intention de « vilipender l’institution catholique », ni même les derniers papes. L’Église reste ma mère, et mon livre est le cri de désarroi d’un fidèle blessé de voir le visage de sa mère momentanément flétri, sur ce point particulier du rapport à l’immigration et à l’islam. Durant tout le pontificat de Benoît XVI, qui a fait un admirable travail de restauration de la foi, je n’ai cessé de le défendre des injustes attaques médiatiques dont il était accablé : cela ne m’empêche pas de voir que, sur ce point particulier de l’immigration, il s’est contenté de reprendre le discours gravement déficient de ses prédécesseurs. En fait, la réflexion de l’Eglise sur ce sujet me paraît viciée depuis les années 1950, et il me semble qu’il faudrait la reprendre entièrement à nouveaux frais. La difficulté est que nous traversons une période grande confusion théologique où, faute d’une réflexion solidement ancrée dans la tradition de l’Église, ses représentants ne semblent souvent plus faire la différence entre la charité et un vague humanitarisme, qui est l’une de ces « vertus chrétiennes devenues folles » dont parle Chesterton.

Beaucoup de fidèles expriment un mal-être lorsqu’ils entendent les propos du pape François leur intimant presque l’ordre d’ouvrir leurs portes en grand aux migrants, au nom de la Bible et de l’universalisme. N’y a-t-il pas une forme de schizophrénie, à l’heure actuelle, lorsque l’on est catholique, et en même temps opposé à la submersion migratoire ? Pourquoi ces fidèles ne se révoltent-ils pas, dans les Eglises, où les sermons de nombreux prêtres sont jugés imbuvables ? Pourquoi toute remise en cause de la hiérarchie est-elle impossible ?

Laurent Dandrieu : Pour les chrétiens, l’unité est une vertu capitale, c’est l’une des obligations que le Christ nous a faites. Se rebeller contre la hiérarchie est toujours une blessure faite à cette unité et une souffrance, et ce n’est jamais chose facile ; moi-même je ne m’y suis résolu que parce que j’estimais qu’il y avait là un cas d’extrême nécessité, et pour aider mes coreligionnaires, justement, à échapper à cette schizophrénie. Il faut dire aussi qu’il y a sur ces sujets une forme d’intimidation, parce que l’on essaie de nous convaincre depuis des années que si l’on s’oppose à la vague migratoire, on serait infidèle aux commandements du Christ, et notamment à la fameuse phrase « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli ».

C’est en réalité une escroquerie intellectuelle, car le Christ nous propose un chemin de sainteté, une voie de perfection personnelle, il ne souhaite en aucun cas poser les bases d’une politique ! Le christianisme n’est pas une théocratie qui pourrait fonder un mode de gouvernement en appliquant directement les principes évangéliques. La seconde intimidation vise à transformer toute dissidence sur ces sujets en rébellion contre l’autorité du pape : c’est une autre escroquerie, car il s’agit de sujets politiques sur lesquels le pape est loin d’être infaillible, et sur lesquels le concile Vatican II lui-même invite les fidèles à la liberté de pensée et de parole.

Des voix dissidentes ou dissonantes – et vous les évoquez – se font tout de même entendre dans l’Église. Pouvez-vous revenir dessus, et notamment sur les propos de l’archevêque de Mossoul, avertissant les Européens de ce qui risque de leur arriver ?

Laurent Dandrieu : On peut notamment citer ce propos du patriarche grec-melkite catholique d’Antioche et de tout l’Orient, Mgr Grégoire III Laham, dans un récent livre d’entretiens avec Charlotte d’Ornellas, qui déclare : « Humainement parlant, ce tsunami migratoire est une catastrophe. Le musulman ne peut comprendre ce monde laïc, les chrétiens sont choqués par cette présence musulmane très revendicatrice, les athées mettent tout sur le même plan… Le danger est vraiment immense : tout le monde risque de se dissoudre dans un grand vide. » Beaucoup nous avertissent : nous nous préparons le même avenir de persécutions que les chrétiens d’Orient vivent sur leurs terres : « Nos souffrances d’aujourd’hui constituent le prélude de celles que vous subirez aussi dans un proche avenir », déclare ainsi Mgr Amel Shimoun Nona, archevêque chaldéen de Mossoul, en Irak…

Dans votre conclusion, vous évoquez un virage que devrait nécessairement prendre l’Église si elle veut sauver les peuples d’Europe. Néanmoins, y croyez-vous vraiment ? On sent finalement peu matière à espérer, tout du moins venant de l’Église dans votre ouvrage ?

Laurent Dandrieu : Je pense que vous vous trompez, qu’il y a beaucoup à espérer, parce que « rien n’est impossible à Dieu » et que, si la prise de conscience a lieu, comme mon livre espère y contribuer, tous les éléments sont présents dans la riche tradition de l’Église pour rectifier le tir. Le pape François lui-même, depuis quelques semaines, a fait quelques appels à la prudence, certes contredits par d’autres gestes et déclarations, mais ce qui prouve bien qu’une évolution du discours de l’Église est possible. J’ai envie de vous répondre sur l’immigration ce que dit dans son livre la Force du silence le cardinal Robert Sarah, responsable de la liturgie dans l’Église, sur la réforme de la liturgie catholique qu’il appelle de ses vœux et que le pape ne semble pas souhaiter mettre en œuvre : cette réforme est indispensable à l’avenir de l’Église, et donc elle se fera ; au moment que Dieu choisira, mais elle se fera. Eh bien, pour le virage de l’Église sur l’immigration, c’est la même chose : il est vital pour l’Église comme pour l’Europe, donc il se fera inévitablement. Il se fera au moment que Dieu choisira, mais il se fera. Ce qui ne nous empêche pas de travailler à ce que ce moment soit le plus proche possible, en vertu de l’adage de sainte Jeanne d’Arc : « Les gens d’armes livrent bataille, et Dieu donne la victoire. »

Au-delà de votre ouvrage choc, vous êtes aussi l’auteur d’un Dictionnaire passionné du cinéma, aux éditions de l’Homme nouveau. Quels sont les films vus récemment que vous conseilleriez absolument à nos lecteurs ?

Laurent Dandrieu : J’en citerai deux, Américains tous les deux : Manchester By the Sea, un superbe mélodrame qui nous montre un homme qui tente de survivre en traînant derrière lui le poids d’une tragique erreur ; et le prochain film de Martin Scorcese, Silence, sur les martyrs chrétiens du Japon, qui montre que malgré les faiblesses humaines et les reniements, la foi finit toujours par triompher. Si je voulais être taquin, je dirais qu’avec ces deux films, chacun à leur façon, nous ne sortons pas de notre sujet d’aujourd’hui…

Propos recueillis par Yann Vallerie

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