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Peut-on aimer la France, sans aimer les Français ? Par Denis Bachelot

19 octobre 20150
Peut-on aimer la France, sans aimer les Français ? Par Denis Bachelot 4.50/5 6 votes

Publié le : 18 octobre 2015

Source : polemia.com

La grande offensive médiatique qui sévit depuis quelques semaines autour de la crise migratoire a au moins un mérite certain ; elle a mis au jour la vision du destin de leur pays portée par les élites dirigeantes européennes. En effet, au-delà des injonctions émotionnelles sur l’indispensable solidarité avec les « réfugiés » que nous avons le devoir moral d’accueillir sans restriction, l’argument massue mis en avant est celui de la contrainte économique : la démographie du vieux continent nous obligerait à recevoir dans les prochaines décennies des dizaines de millions d’immigrés pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre qui menace les pays d’Europe. Cet argument représente la version rationalisante du discours dominant.

Imposée comme une vérité d’évidence, cautionnée par les économistes en vue, cette affirmation, contestable au strict plan économique, doit être perçue par ce qu’elle révèle de ses présupposés idéologiques.

On pourrait rétorquer, de prime abord, que les hommes ne sont pas des êtres indifférenciés que l’on peut sans risque substituer les uns aux autres. Dans cette approche anthropologique, la vraie question est de savoir alors quel est le rôle de la cohésion culturelle dans les performances des différentes nations ? Le sujet, du coup, devient infiniment plus complexe que la bien-pensance contemporaine ne l’affirme.

Mais le point central de cette affirmation est sa conception induite du devenir des nations et de leurs peuples. Pour la première fois, officiellement et massivement, les dirigeants européens ont fait savoir à leurs populations que leur avis n’avait aucune importance. La nécessité économique, telle que les élites, économiques et politiques, la perçoivent, s’impose comme une fatalité qui relève de l’ordre naturel qui n’est pas à discuter.

Un passage en force

Maîtresse du jeu européen, Angela Merkel, sans aucune consultation autre que les pressions intenses du patronat allemand, a ouvert toutes grandes les vannes d’une immigration de masse qui déstabilise les équilibres fragiles du vieux continent. Sa rapide marche arrière, avec une fermeture « temporaire » des frontières, apparaît bien dérisoire face à l’appel d’air qu’elle a activé.

En France, très rapidement, le PS a choisi le passage en force, en affirmant la responsabilité morale de l’Europe à l’égard des « réfugiés ». Le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a donné le ton lors du Congrès de Poitiers. « J’en ai assez, lance-t-il devant une salle acquise d’avance, de cette Europe forteresse, assez de cette Méditerranée cimetière, il faut un monde solidaire ». Et Manuel Valls de surenchérir : « Ceux qui fuient la guerre, les persécutions, la torture, les oppressions, doivent être accueillis. »

Tout discours « d’équilibre », selon l’approche verbale du président Hollande et du premier ministre sur la nécessaire maîtrise des frontières fait par la suite pâle figure au regard de l’injonction morale qui, d’emblée, culpabilise et disqualifie tout esprit de résistance. Tout un chacun peut comprendre que le propos volontaire sur l’accueil contrôlé (qui croit au chiffre de 24.000 inlassablement répété ?) n’est qu’un paravent qui masque l’impuissance du politique face à une fracture de l’histoire.

D’ailleurs, quelques personnages publics, plus ou moins oubliés, sont venus, opportunément, dire la vérité toute nue. Pour Dominique de Villepin, « les dirigeants politiques n’ont pas à se déterminer par rapport au  sentiment populaire » sur ce sujet et Mgr Gaillot, tiré de son sommeil médiatique, nous rappelle, vigoureusement, à notre devoir moral : « seule compte la tragédie des migrants, des frères que nous devons accueillir ; nous ne devons pas penser à nous dans ces circonstances ».

Dans sa naïveté moralisatrice, l’évêque de Partenia nous révèle la vérité profonde que l’idéologie dominante agite depuis longtemps sans l’expliciter tout à fait : l’histoire ne doit jamais être considérée du point de vue des peuples européens.

Le désinvestissement affectif des «  élites »

Nous sommes là au cœur du processus de domination culturelle qui sévit en Europe depuis plus de quatre décennies. La déconstruction des romans nationaux, particulièrement exacerbée en France, a principalement servi à délégitimer le lien fusionnel qu’un peuple entretient avec son histoire et son territoire. Le but recherché est de conduire le sujet collectif à ne plus distinguer le Nous de l’Autre, ne plus faire la différence entre ce qui procède de mon identité et ce qui est extérieur à moi.

Le fait que personne ne questionne, dans les univers politiques et médiatiques institutionnels, l’affirmation qu’il faille, absolument, compenser le déclin démographique européen par une immigration de masse est la preuve la plus manifeste d’un désinvestissement affectif total des dirigeants européens à l’égard de leur peuple. L’identification à un destin commun a disparu.

Le discours, sinon, serait – et ce depuis longtemps puisque la démographie est une affaire de long terme – de mettre en place des politiques natalistes volontaristes qui, outre leur finalité matérielle, solliciteraient le sentiment collectif d’une identité à perpétuer. Il faut pour cela un sentiment affectif d’appartenance commune à une identité qui fait aujourd’hui largement défaut à nos gouvernants. A comparer avec la politique nataliste qu’à mise en place le gouvernement de Poutine, au nom du destin historique du peuple russe.

Ce que proposent aujourd’hui les responsables européens à leurs peuples est un effacement de leur identité au nom d’une logique économique simpliste et courtermiste qu’ils camouflent sous des vocables désincarnés et pavloviens d’ouverture à l’autre et de diversité ; enrichissantes, forcément !

Dans ce contexte, toute référence à un principe identitaire pérenne qui dépasse et transcende les intérêts immédiats et particuliers est une dissidence insupportable à l’achèvement d’un monde plat, nomade et indifférencié, qui sous-tend la vision politique des élites dominantes de la vieille Europe, celles de Bruxelles en tête.

Cette vision, elles la théorisent avec un simplisme intellectuel désarmant. Rappelons-nous les réflexions des technocrates de Terra Nova sur l’effacement irréversible des classes populaires traditionnelles (comprendre : blanches) issues du monde de la production, et la nécessité vitale pour le PS de réorienter ses choix politiques en fonction des nouvelles dynamiques sociales issues des minorités ethniques et culturelles : une façon grossière de faire passer une réalité mouvante, issue de facteurs circonstanciels, pour une vérité définitive et inéluctable. Les livres du socio-géographe Christophe Guilluy sont, opportunément, venus repositionner dans le débat public l’existence de ces classes « invisibles » qui, loin des centres villes, forment encore la substance profonde du pays.

« La France doit être gérée comme un hôtel », affirmait, dans la même logique, le prophète cathodique de la mondialisation nomade Jacques Attali. Mais qui est prêt à mourir pour la gestion d’un hôtel ?

Ce désinvestissement émotionnel total à l’égard d’un peuple et de son destin n’explique toutefois pas tout. Il ne pourrait être qu’une indifférence fonctionnelle et distante, sans autre finalité qu’un utilitarisme trivial. Comme nous l’écrivions dans notre précédent article : « l’œuvre de déconstruction identitaire, basée sur un intense travail de culpabilisation de l’identité traditionnelle, n’était pas une condition indispensable de la nouvelle phase de déploiement du capitalisme en voie de mondialisation » (1).

Haine et violence idéologique

L’entreprise forcenée de déconstruction identitaire dont nous sommes témoins depuis plusieurs décennies ne peut pas faire l’économie de la prise en compte d’une démission déterminante du combat politique : la haine comme fondement de la violence idéologique.

On ne peut expliquer sinon, après bien d’autres exemples, l’incroyable violence de la campagne médiatique qui a frappé Nadine Morano, après sa déclaration sur le peuple « de race blanche et de culture judéo-chrétienne », reprise du général De Gaulle et maintes fois évoquée dans le débat public depuis la publication du livre d’Alain Peyrefitte qui la rapporte. Elle renvoie à une réalité historique simple et évidente, forte de deux millénaires de mémoire vive, que seule une hystérisation émotionnelle du débat permet, non pas seulement de nier, mais d’en interdire jusqu’à l’évocation même !

Et pourtant, n’importe quel esprit tant soit peu rationnel peut d’emblée saisir la différence entre le rappel historique d’une réalité identitaire qui s’est construite au fil des siècles et un jugement de valeur sur la France contemporaine, désormais (qui peut le nier ?) multiethnique et multiculturelle. Mais le peuple « de souche », le peuple indigène, n’a pas le droit de se nommer lui-même en tant que référence première et déterminante de l’identité française, au risque, sinon, de ressusciter les démons du passé.

La reductio ad hitlerum a encore de beaux jours devant elle. Elle est la pointe avancée d’une violence idéologique dont les formes de domination relèvent plus des mécanismes de la psychologie collective que de l’affrontement des idées.

Le retournement des processus d’identification qui conduisent naturellement à privilégier ce qui vous ressemble, vous précède et vous prolonge, s’est construit sur un gigantesque travail de dévalorisation des cultures populaires traditionnelles, transformées en des séries de représentations répulsives et ringardes. Comment peut-on oublier, pour ne citer qu’un exemple, le personnage de prolo qui fit les choux gras de Coluche, avec son nez rouge d’alcoolo, son phrasé d’abruti et son racisme primaire ?

Les discours rationalisants sur la « diversité » comme source d’enrichissement culturel et facteur de croissance économique ne sont que des constructions secondaires dans les rapports de force idéologiques, comparés à la puissance subjuguante des systèmes de représentation de masse qui activent les processus collectifs d’identification.

L’identification à la force au cœur de l’idéologie « progressiste »

Il n’y a plus d’identification positive possible à la représentation dégradée d’une masse indifférenciée. Plus encore, nous assistons à un phénomène de renversement du processus d’identification qui fait que l’identification à l’Autre, l’étranger à ma culture, est plus valorisante que l’identification au semblable infériorisé. Nous sommes là dans une situation de domination culturelle et sociale classique, où le dominé n’arrive plus à se percevoir au travers de ses propres références culturelles qui le valorisent et intériorise son statut de dominé. Et l’identité dévalorisée du dominé ne suscite plus le désir d’identification. La faiblesse n’a rien d’attractif et l’identification va naturellement au modèle fort.

L’occultation de son processus d’identification à la force est la face la plus cachée de l’idéologie « progressiste » mass-médiatisée (2).

L’identification à la cause de l’Autre victimisé (l’étranger, l’immigré, le réfugié, quelle que soit sa dénomination) permet d’occuper une position de force en se valorisant par la défense du faible qui donne ses lettres de noblesse à l’engagement politique. Cette posture d’identification au faible mythifié est le socle de la fonction normative qui permet de dire qui est au service du bien et qui est du côté du mal ; un pouvoir redoutable pour qui le contrôle.

L’écroulement des grands systèmes idéologiques n’a pas mis un terme à la violence idéologique. Le journaliste Jean Daniel, en 1979, publia un petit livre fort instructif dans lequel il racontait, à travers l’histoire du Nouvel Observateur, trente ans de cheminement de la conscience de gauche à la lumière des grands événements qui, depuis la Libération, l’ont portée.

Dès les premières pages de son livre, Jean Daniel tentait de comprendre les mécanismes qui façonnent l’engagement de gauche. D’où vient cette attente passionnée du grand soir, du basculement de l’histoire ? Cette volonté violente de rupture que Michel Foucault, préfaçant l’ouvrage de Jean Daniel, relevait aussitôt : « Il [Jean Daniel] fait apparaître ce qui pour lui constitue la grande évidence structurant toute la conscience de gauche, à savoir que l’histoire est dominée par la révolution ». Une mystique de la révolution que l’auteur appréhende avec une distance critique : « Je finis par me demander, confesse-t-il, à propos de certains d’entre nous, si ce qui leur importe ce n’est pas la légitimation de la violence plutôt que la transformation de la société ? ».

L’histoire, depuis, a fait son œuvre et les idéologies révolutionnaires se sont écroulées, en même temps que les régimes qui en avaient été, tour à tour, les porteurs. Le mythe d’une grande révolution collective, tranquillement, a été remplacé par celui de la « libération» individuelle.

L’idéologie de la libération, beaucoup plus sociétale que sociale, a toutefois conservé le soubassement idéologique du mythe révolutionnaire : la rupture radicale avec l’ordre ancien comme condition de l’émergence d’un homme nouveau, libéré des contraintes et des aliénations du passé. La même violence idéologique, la même haine de l’ordre « naturel », sont recyclées au service d’une transformation de l’intérieur, celle du rapport de l’individu à ses désirs.

Le mythe de l’individu absolu

Un mythe de l’individu libéré, ou individu absolu, dont la mystique révolutionnaire est certes le soubassement originel, mais qui l’a largement débordé pour devenir, en tant que système de représentation de masse, une idéologie passe-partout, dont la banalisation même vide la mystique révolutionnaire de sa radicalité absolue, sans la vider pour autant de toute sa violence constructiviste.

Pas de chance pour le prolétaire, jusque-là investit d’une mission messianique en tant qu’acteur historique du projet révolutionnaire, il devient, soudainement, le maillon faible d’un projet d’émancipation dont il ne maîtrise pas les codes culturels et qui n’est plus centré sur ses anciennes luttes sociales. Ce sont désormais les classes moyennes du tertiaire « intellectualisé» qui portent les valeurs de la transformation sociale. Et le beauf de Cabu, avec le mot qui va avec, devint le symbole dérisoire d’une France populaire ringardisée et exécrée.

A contrario, on ne fait pas carrière dans l’espace public en tant que défenseur de la « France moisie ». Les chanteurs et les actrices « engagés », les comiques et les animateurs en vogue, les intellos en vue et les artistes connus, les journalistes vedettes, la masse des politiques médiatisés et les autorités morales institutionnelles sont quasi unanimes pour brocarder les tentations identitaires d’une France « franchoulliarde » qui, de toute façon, c’est bien connu, n’est qu’un fantasme sans réalité.

« L’unanimité est mimétique », nous dit René Girard ; le système médiatique fonctionne effectivement en créant cette unanimité de façade qui vise à sidérer les esprits. Cette méthode est particulièrement efficace lors des grandes campagnes d’exécration collective lancées pour punir un « dérapage » ; l’affaire Morano en est un exemple parfait, ou lors des grandes opérations d’émotion de masse, type « Je suis Charlie ».

Un message répété à l’infini, et légitimé par l’orchestration des voix les plus en vue, détient une force subjugante qui annihile les résistances rationnelles. La peur de ne pas être à l’unisson de ce qui est imposé comme la normalité évidente (il faut être un concentré de médiocrité et d’égoïsme pour refuser d’ouvrir les bras à la masse des réfugiés qui souffrent !) suffit à faire taire toute velléité de contestation du consensus émotionnel. Ce que le peuple « d’en bas » pense au profond de lui-même et refoule dans son for intérieur n’a plus aucune importance. Le Système actuel, au contraire des grands totalitarismes qui ont marqué le XXe siècle, n’a plus besoin de l’adhésion des foules ; il se contente d’une acceptation passive.

Les rares voix dissidentes acceptées au banquet médiatique sont là pour occuper la case du « méchant » qui permet d’entretenir l’illusion d’un débat contradictoire et loyal. Eric Zemmour, avec talent, tient la première place du « réac » que le Système adore détester, un peu concurrencé désormais par Michel Onfray qui tourne mal, comme l’a vigoureusement expliqué Libération. L’icône de l’athéisme jouissif et de la gauche popu devient désormais un philosophe de bistrot pour beaufs lepénisés !

Enfermée dans une série de représentations négatives, souvent teintées de mépris social, l’identité traditionnelle française est soumise à un processus d’exécration collectif qui soude la cohérence idéologique du Système dominant. La négation même de cette réalité identitaire est probablement l’aspect le plus violent d’un processus de déconstruction, qui, a contrario, sans le dire tout à fait, ne cesse de renvoyer à cette identité française « blanche et judéo-chrétienne », quand il s’agit de dénoncer le racisme et la xénophobie !

Le devoir de mémoire

La classe politique et médiatique nous l’a impérativement rappelé à l’occasion de l’affaire Morano, la France est un idéal construit autour de quelques grandes valeurs universelles. En conséquence, la citoyenneté « républicaine », basée sur l’adhésion à ces valeurs, est le seul critère légitime d’appartenance nationale, en dehors de tout héritage de cette longue durée, chère à Fernand Braudel qui a cherché avec passion à appréhender une « identité de la France », à travers la construction obstinée des siècles et des millénaires, à partir de ses peuples, ses mœurs, ses territoires et ses institutions.

De Gaulle est le dernier dirigeant français d’envergure à avoir lié la vision de son destin personnel à celle de son peuple et de son pays. C’est probablement aussi pourquoi, au-delà de son œuvre politique, il reste tant présent dans les mémoires contemporaines. Il a incarné la pérennité d’une vieille nation, à travers ses fractures et ses drames, avec la conscience aiguë que seule la réalité de son identité profonde permet à un peuple de perdurer. Derrière le Rideau de fer du communisme soviétique, il voyait vivre encore le destin de la Russie et de son peuple. L’histoire sur ce point lui a donné raison.

Au vu de la dramatisation des crises migratoires sur fond de ruptures géostratégiques, la question doit être désormais posée : peut-on prétendre aimer la France, voire la diriger, sans aimer les Français, c’est-à-dire les héritiers et les garants d’une identité collective pérenne que la longue durée a façonnée ?

Denis Bachelot

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1) Cf article Polémia du 28/05/2015 :  Français de souche : voyage au cœur du mal être français.

2) Cette analyse est largement développée dans notre ouvrage  Les Maîtres à représenter : essai sur la mise en scène des mythologies médiatiques – Ed Eska.

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