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Juppé : de l’eau tiède pour sauver l’école ! Par Jean-Paul Brighelli

27 août 20150
Juppé : de l’eau tiède pour sauver l’école ! Par Jean-Paul Brighelli 5.00/5 5 votes

Publié le : 27 août 2015

Source : lepoint.fr

 

Des poncifs, quelques propositions ineptes, un blanc-seing à la politique actuelle : le livre sur l’éducation n’a guère convaincu Jean-Paul Brighelli.

C’est un gros livre. Mais une fois que vous en avez éliminé les annexes, les contributions d’experts (le linguiste Alain Bentolila, le psychiatre Boris Cyrulnik, et le physicien Yves Quéré, l’immortel fondateur de « La main à la pâte »), et une longue interview d’Alain Juppé lui-même par un autre de ces spécialistes autoproclamés — Jérôme Saltet — qui abondent aujourd’hui, il ne reste de Mes chemins pour l’école qu’une petite centaine de pages imprimées gros — Alain Juppé se soucie explicitement de l’avis des grands-parents, volontiers presbytes.

On soustraira encore les souvenirs d’enfance, si lointains qu’ils ne semblent même plus souvenirs d’en France. Sans compter les truismes (Montaigne applaudi à deux ou trois reprises, logique sous la plume du maire de Bordeaux, ou La Fontaine célébré comme l’un des grands écrivains français — incroyable audace), les poncifs affligeants et les statistiques encombrantes qui satisferont les élèves de Sciences Po. Mais les parents ? Mais les profs ?

Quand un expert affirme quelque chose que la réalité dément, à qui faire confiance ? À l’expert, dit Alain Juppé. L’énarque a tué en lui le normalien.

Un machin de plus

Ainsi fait-il confiance à la fumeuse théorie du « socle commun de connaissances », qui depuis qu’il a été érigé en principe de l’enseignement français, a amené une extraordinaire baisse des exigences, et conséquemment du niveau. Pas question pour lui de revenir sur ce principe — ni sur le collège unique, qui a engendré une extraordinaire homogénéité des collèges déshérités et des lycées d’élite : l’école à deux vitesses que nous déplorons aujourd’hui est née de cette initiative burlesque. Certes, il faut que les élèves apprennent à lire/écrire/calculer/compter, maîtrisent quelques rudiments de sciences et d’histoire, et s’expriment en français. Mais cela ne peut constituer un objectif : c’est un prérequis. Comme si l’on supposait que labourage vaut récolte, sans ensemencement.

Autre point de friction, la « gouvernance », comme on dit aujourd’hui, des établissements. Alain Juppé propose que des conseils d’enseignement aux pouvoirs très élargis désignent en leur sein le chef d’établissement : c’est ouvrir la porte aux manœuvres d’appareils syndicaux, aux tractations entre pseudo-pédagogues dans le dos des vrais profs, et c’est surtout ignorer que la personnalité d’un principal de collège ou d’un proviseur de lycée peut changer du tout au tout l’ambiance d’un établissement, qui peut en six mois passer de la rigueur la plus nécessaire au laxisme le plus débridé — et comptez sur les élèves pour évaluer en dix jours jusqu’où ils peuvent aller trop loin !

Sans compter que ces mêmes conseils disposeraient de la haute main sur l’organisation des emplois du temps (plus d’heures ici — négociées comment ? par qui ? —, une remédiation par là) et sur l’évaluation des collègues (t’es pas dans le bon clan ? Tu feras du surplace, tu devrais prendre ta carte au SE-UNSA). À la limite, on choisira parmi ces enseignants-experts (les revoilà !) les inspecteurs chargés d’évaluer les établissements, au sein d’un organisme national (calqué sur le CSA) qui aurait bien fait rire de Gaulle, lui qui avait tant d’estime pour tous les « machins », comme on sait.

Des constats bien posés et des erreurs

Tout n’est pas négatif pour autant dans ce livre. Les constats — partagés par tout le monde — sont bien posés : l’enseignement français glisse vers la faillite, les 150 000 élèves balancés fin troisième, voyageurs sans bagage d’un système éducatif impuissant, glissent majoritairement vers le chômage, et Singapour a mis au point une méthode d’enseignement des maths qui marche. Mais pourquoi aller chercher si loin ? Le GRIP, dont j’ai eu l’occasion de parler ici (1), a édité ces trois dernières années des manuels de primaire, en maths ou en français, qui font merveille.

Au passage, je signale à Alain Juppé que le débat n’a jamais été entre méthode globale (conçue initialement pour les sourds-muets, et jamais utilisée dans le primaire, sinon de façon très marginale) et méthode alphabétique, mais entre alphasyllabique et idéovisuelle. Et que les conclusions des spécialistes sont loin, très loin d’être appliquées partout. L’auteur aurait dû demander à… des experts.

Les médias ont retenu la proposition, budgétairement complexe, d’augmenter de 10 % le salaire des instituteurs (Alain Juppé, comme moi, préfère ce joli terme qui lui rappelle Montaigne — le revoilà ! — à celui de « professeur des écoles », qui ne veut rien dire). Les journalistes auraient pu se demander pourquoi ce grand Européen qu’est l’ancien Premier ministre ne compare pas mieux les salaires pitoyables des enseignants français avec ceux de leurs homologues européens. Il le fait bien pour les heures de cours (plus nombreuses en France qu’en Allemagne, par exemple) ou le nombre d’élèves par enseignant (bien supérieur en France à ce qu’il est… partout ailleurs).

Un satisfecit aux errements actuels

Je reviendrai sans doute sur le détail de cet essai, dont les deux premiers chapitres sont un copié-collé des réponses à la consultation artisanale lancée par l’auteur sur son blog (400 réponses d’enseignants sur 850 000 membres de l’Éducation nationale, 1 500 parents sur plusieurs dizaines de millions : les citations sont sympathiques, mais forcément parcellaires). Mais le plus sidérant, de la part d’un membre des Républicains, est l’absence de critique de fond des réformes portées par la gauche depuis trois ans. Même si le discours « égalitariste » le choque, même si les attaques contre les classes préparatoires l’ont ému.

Même confiance aveugle dans le numérique (alors que de vrais praticiens — à distinguer des experts — se tuent à démontrer que ça ne sert pour ainsi dire à rien, à l’école). Même volonté d’allègement des programmes : si les élèves n’en apprennent plus assez, ils en sauront toujours trop ! Même confiance dans les ESPE — il faut voir ce qu’ils proposent pour le croire — inventés par la gauche pour remplacer ces fabriques de l’incompétence qu’étaient les IUFM — en conservant à leur tête les mêmes « experts ». Si le ministre désigné par un Alain Juppé président (Benoist Apparu ? Il en rêve, qui a inspiré les propositions de régionalisation totale de l’Éducation avancées par Juppé) n’est là que pour continuer Vallaud-Belkacem, merci bien ! Il ne passera pas par moi.

 

(1) Comme personne ne peut raisonnablement me soupçonner de lécher les bottes du ministère, j’ai d’autant plus de liberté pour saluer la subvention — minime mais presque suffisante — accordée cette année au GRIP par ledit ministère, qui la lui avait refusée l’année dernière. Qu’il en soit remercié.

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