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L’Ukraine est-elle sur le point d’une véritable insurrection ? Par Andrew Korybko

26 août 20150
L’Ukraine est-elle sur le point d’une véritable insurrection ? Par Andrew Korybko 5.00/5 2 votes

Publié le : 19 août 2015

Source : lesakerfrancophone.net

Ce point a été discuté depuis le début de la guerre civile qui a commencée au printemps dernier, mais l’Ukraine pourrait finalement être sur le point de voir la révolte du peuple contre le gouvernement légitime. Les révolutions de couleur en 2004 et 2014 ont été organisées par l’étranger (en dépit de la représentation médiatique trompeuse qu’il s’agissait  de mouvements populaires)  visant à atteindre des objectifs géopolitiques concrets en faveur de l’Occident, ce qui les discrédite à vouloir prétendre que ce sont des actions de la base populaire et expose leur véritable nature. Bien que l’Ukraine n’ait jusqu’à présent pas connu une seule révolution d’origine vraiment populaire, organisée par les Ukrainiens et pour les Ukrainiens, cela ne signifie pas qu’un tel événement est impossible, sachant que tous les ingrédients nécessaires sont actuellement là.

Trois développements récents indiquent que le pays est beaucoup plus proche d’une véritable révolution que la plupart des observateurs pourraient le croire, et si les Ukrainiens prennent l’initiative de saisir l’occasion qui se présente, ils pourraient avoir une chance d’inverser certains des aspects les plus désastreux du régime politique actuel avant qu’il ne soit finalement trop tard.

Le bannissement des livres

Kiev a pris la décision d’interdire une poignée de livres d’auteurs russes, notamment les œuvres du célèbre historien Nikolaï Starikov, pourfendeur des Révolutions de couleur, et du conseiller économique présidentiel de Poutine, Sergueï Glaziev. Ces deux personnes en particulier ont été extrêmement critiques envers le régime, et il semble que Kiev les considère comme des menaces idéologiques à son pouvoir. L’interdiction des livres intervient alors que l’oppression politique existe déjà contre toutes les voix dissidentes, politiciens, médias, ou même citoyens ordinaires. Les autorités se sont clairement exprimées : il n’y a pas d’opinion dissidente tolérée sous leur règne et elle veulent contrôler le flux d’informations en direction du peuple. Cela ne peut être compris que comme une preuve de la peur à l’encontre de ses propres citoyens, car si Kiev et ses représentants étaient assurés dans leur légitimité, ils n’auraient pas besoin d’être aussi autoritaires. Le fait qu’ils sont en train d’entreprendre l’action, extrême et médiatisée, d’interdire un petit nombre de livres illustre une paranoïa accrue, qui à son tour peut être lue (jeu de mots) comme une crainte réelle que le peuple ne les menace. Il se pourrait aussi que ce ne soit pas simplement de la paranoïa, mais une réalité objective que certains éléments de la société, et pas seulement les bataillons néo-nazis (bien que pour leurs propres motifs distincts), se préparent à se tourner contre Kiev.

La menace russe d’un embargo alimentaire

Les dernières nouvelles en provenance de Moscou annoncent que Medvedev a étendu la campagne de contre-sanctions «à l’Albanie, au Monténégro, à l’Islande et au Liechtenstein et, sous réserve de conditions particulières, à l’Ukraine». Précisons la question, il a averti que si l’Ukraine va de l’avant avec le volet économique de l’accord d’association avec l’UE qui devrait entrer en vigueur au début de l’année prochaine, ses produits agricoles seraient également soumis aux mêmes restrictions. Une interdiction sur les importations de fruits et légumes à partir d’octobre dernier a déjà menacé le marché des producteurs ukrainiens d’essuyer jusqu’à $51 millions de pertes, et l’étendre pour inclure tous les produits agricoles pourrait être cataclysmique pour une économie déjà paralysée. Selon Business New Europe, l’agriculture est la plus grande activité du pays en ce moment (surtout en raison des pertes de production subies suite à la guerre contre le Donbass) et la seule à montrer une croissance l’an dernier ; si les exportations vers le plus grand partenaire commercial de l’Ukraine sont coupées, les conséquences pourraient très bien être fatales pour le pays.

Comme élément supplémentaire sur ce sujet, il faut aussi noter qu’il est très peu probable que les exportations à destination des Russes pourraient être réorientées vers l’UE, parce que les producteurs nationaux de celle-ci hurlent déjà de douleur à cause de la misère économique infligée par les contre-sanctions de la Russie et sont en âpre concurrence dans un marché sursaturé. Ce serait donc un geste politique peu avisé et dangereux de la part d’un gouvernement de l’UE de donner aux produits agricoles ukrainiens la priorité sur ses propres producteurs, d’autant plus que l’UE souffre de sa pire crise laitière depuis trois décennies et ne peut pas absorber les importations ukrainiennes de ce genre, pour ne citer qu’un exemple.

Si l’Ukraine ne peut pas vendre ses produits dans l’Union européenne, l’excédent qui aurait dû initialement aller à la Russie restera sur le marché intérieur et précipitera un effondrement rapide des prix qui pourrait servir de prélude à l’effondrement soudain de l’ensemble du secteur agricole. Ce serait à son tour affecter la capacité du pays à se nourrir, ce qui signifie que les produits alimentaires étrangers plus chers (probablement des produits OGM des États-Unis) devraient être importés pour satisfaire la demande. Avec l’agriculture qui ne serait plus une activité rentable pour beaucoup de producteurs, les terres agricoles peuvent être vendues à prix cassés à des sociétés étrangères (de nouveau, probablement américaines, en particulier Monsanto), inaugurant ainsi la prise de contrôle complète de l’une des plus riches régions agricoles dans le monde. Ce scénario calamiteux peut être évité, à condition que les Ukrainiens prennent des mesures d’urgence pour changer leur gouvernement avant la fin de l’année, ce qui nous conduit à la mise au point finale.

Le Comité pour le salut de l’Ukraine

Last but not least, l’un des aspects les plus importants, même sous-estimé, qui pourrait pousser les Ukrainiens vers une véritable révolution est la mise en place du Comité pour le salut de l’Ukraine (CSU), essentiellement un gouvernement en exil basé à Moscou. Comme dit le proverbe, «mieux vaut tard que jamais», et il semble tout à fait adapté à ce cas. D’après ce qui peut être discerné, le CSU est une création de l’ancien Premier ministre Mykola Azarov, et même s’il est pas le leader (c’est Vladimir Oleynik), il semble faire le spectacle. Azarov a promis que s’il arrive au pouvoir, le CSU  organisera immédiatement de nouvelles élections, libres, et justes, mais pour que cela se produise, il « demande à tous les citoyens, les partis politiques, les syndicats et les mouvements sociaux de s’unir et de rétablir l’ordre dans notre maison par des efforts communs ». Le but, paraît-il, est d’unir les organisations de la société civile et des citoyens ordinaires dans une campagne anti-gouvernementale coordonnée, estimant que cela pourrait être le point de basculement pour le régime. Tous les observateurs seraient d’accord pour admettre que Kiev ne renoncera jamais au pouvoir sans combat, et Azarov ne fait aucune mention au recours à la violence, mais il peut être entendu que ce serait une réponse logique à une répression sévère de l’État, si quelques-uns des participants choisissaient de réagir de cette façon.

En ce moment, le CSU ne semble pas inspirer beaucoup d’enthousiasme, mais tout cela pourrait changer avec le temps. Après tout, l’organisation n’est pas parfaite (et une grande partie de sa composition et de son activité est encore mystérieuse et non déclarée), mais il se présente symboliquement comme la première forme réaliste d’opposition au gouvernement Maidan, et il est aidé par le fait qu’il est basé à l’étranger et se trouve donc à l’abri des griffes de Kiev. Le plus important à ce point est que l’organisation est susceptible de construire un réseau de cellules de soutien à l’intérieur de l’Ukraine afin de construire une plate-forme anti-gouvernementale unifiée à partir de laquelle il peut contester l’État. Cela signifie que le CSU pourrait essentiellement fonctionner comme un comité de coordination dans la gestion des campagnes de sensibilisation à travers le pays, des manifestations publiques (quand le temps sera venu), et peut-être après cela, si elles sont violemment réprimées, les opérations militaires de la guerre, même hybride. Pour parler de la part de revendication des responsabilités et des intérêts supposés du CSU, si jamais il y avait un environnement social idéal pour le tester, il faut se référer à la théorie des protestations de Gene Sharp, De la dictature à la démocratie, et Il existe des alternatives réalistes.  Et l’Ukraine contemporaine est sans aucun doute une Dictature avec un grand D. Si la révolution légitime du peuple devait se produire en Ukraine, alors il y a fort à parier que le CSU aurait un rôle de premier plan et utiliserait  probablement l’événement pour se catapulter lui-même et son leadership de Moscou à Kiev.

Pensées finales

Jamais l’Ukraine n’a été plus proche d’une révolution populaire légitime que maintenant. Beaucoup de citoyens ont eu peur du nouveau régime après le coup d’État de février 2014, mais peu d’entre eux, en dehors de la Crimée et du Donbass, se sont levés publiquement contre lui. Quand ils l’ont fait, comme à Odessa en mai de cette année, ils ont été horriblement massacrés et les coupables jamais traduits en justice (à dessein). Certaines personnes, incertaines de ce qu’elles pouvaient faire individuellement pour résister au régime, ont décidé de manière passive de faire un essai et voir ce qu’elles pourrait finalement entreprendre pour leur bien-être. Près de 18 mois plus tard, les autorités de Maidan n’ont rien fait d’autre que mener le pays à la guerre civile, tuer des milliers de civils, détruire l’économie, et assez de temps s’est écoulé pour rendre ridicules leurs blâmes contre la Russie,  tirades de plus en plus éculées et incroyables pour la plupart des citoyens. Les problèmes de l’Ukraine depuis le renversement de M. Ianoukovitch sont entièrement de la responsabilité de ses nouveaux pouvoirs, et il semble que certains Ukrainiens pourraient finalement être conscients de cela. Voilà pourquoi le pouvoir fait encore une autre poussée paranoïaque pour réprimer une pensée indépendante et aller aussi loin que l’interdiction outrageuse d’une poignée de livres.

Les Ukrainiens moyens pourraient être politiquement trompés, mais la plupart d’entre eux sont assez intelligents pour réaliser que le pays se désagrège sous leurs yeux, et qu’il devient de plus en plus difficile de joindre tout simplement les deux bouts. Avec l’ultimatum de la Russie à l’Ukraine au sujet des contre-sanctions, certains d’entre eux pourraient enfin se sentir assez désespérés pour envisager d’aller contre le gouvernement, tout en étant conscients de la répression (ou pire) qu’ils risquent de subir pour cela. Pourtant, ces personnes manquent sans doute d’un sens de l’orientation organisée, et voilà où le CSU entre en jeu. On suppose qu’il ne se serait pas déclaré publiquement s’il n’avait pas établi auparavant une sorte de présence de l’ombre en Ukraine, peu importe sa taille. Et on peut en tirer la conclusion (en utilisant les propres mots de Azarov) qu’il est en faveur d’une activité anti-gouvernementale de masse et fera de son mieux pour la soutenir. Se fondant sur cette logique, le CSU pourrait très bien organiser un tel mouvement lui-même, regroupant les segments mécontents de la société ukrainienne pour aider à concevoir un changement de régime avant la fin de l’année. Si les autorités de Maidan restent au pouvoir et ne font pas marche arrière à propos du volet économique de l’accord d’association avec l’UE, alors l’Ukraine sera plongée dans une crise intérieure encore plus profonde qui pourrait involontairement transformer en une solide réalité la paranoïa de Kiev d’un changement de régime.

Andrew Korybko

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone.

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