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Le désamour de Zemmour – Par Yannick Rolandeau

11 novembre 20140
Le désamour de Zemmour – Par Yannick Rolandeau 4.57/5 7 votes

Publié le : 10 novembre 2014

Source : causeur.fr

Messieurs les censeurs…

Il ne s’agit pas de discuter des thèses du dernier livre d’Eric Zemmour, Le suicide français mais de s’interroger sur la pertinence de ses contradicteurs. Prenons l’émission où il y avait Mazarine Pingeot, Richard Attias, Dany Cohn-Bendit entre autres à l’émission Les grandes questions sur France 5 animée par Franz-Olivier Giesbert le jeudi 6 novembre 2014 à 21h45.

Richard Attias défendait le cosmopolitisme avec des accents positifs. Ancien président de Publicis Events Worldwide, Richard Attias a fondé Richard Attias & Associates, une société basée à New York et spécialisée dans la communication d’influence et l’organisation de séminaires internationaux de grands groupes industriels. Il arguait à l’émission de son expérience sur le terrain, ce qui ne veut rien dire sinon faire preuve d’un argument d’autorité, comme si sur le terrain, on avait l’expérience immanente du réel. Entre avions, aéroports, hôtels et grands de ce monde, on peut être un touriste du réel. Et imagine-t-on chaque citoyen du monde voyageant autant dans les avions à l’instar de ce monsieur ? La planète deviendrait vite irrespirable avec de telles émanations de kérosène. En fait, derrière ces grands mots généreux, ils roulent pour eux, pour leur espace privilégié, pour leurs affaires avec circulation libre des capitaux et des personnes et non pour réduire l’écart entre les riches et les pauvres. Dès que Zemmour a lâché le pot-aux-roses, les voilà qu’ils s’offusquent ! Touché, coulé dit-on à la bataille navale !

Le cas de Mazarine Pingeot fut le plus ébouriffant. Elle affirmait qu’Eric Zemmour devait son succès aux plateaux télés. Ce dernier aurait été en droit de répliquer que cette dame doit sa présence au fait qu’elle est la fille de François Mitterrand, outre qu’elle ne vend que peu de livres. Rien de plus.  On pourrait lui retourner aisément le monologue de Figaro (V, 3) dans Le mariage de Figaro de Beaumarchais : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! … Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » Le toupet suprême est que ces personnes viennent parler de démocratie, de peuple, de République ou même de liberté d’expression.

Mazarine Pingeot énonçait ses formules lapidaires et caricaturales comme une évidence (« Oui, car une femme ne doit pas travailler, ne doit pas penser, ne doit pas avorter. » et on peut chercher où Zemmour a écrit cela), ce qui lui permet de qualifier un tel livre comme une non-pensée au lieu d’en discuter (« Excusez-moi, je me suis tapé vos 400 pages avec la nausée au ventre ! J’ai dû le lire ligne par ligne parce qu’en plus c’est assez indigeste et mal écrit… »). À ce compte-là, on peut s’amuser avec n’importe quel livre. Effectivement, on lui rappellera Les femmes savantes de Molière, pièce qu’il faut interdire tout de suite.

Puis Mazarine Pingeot parle à propos du discours de Zemmour de « rationalisation de la haine » avec un ton bien affecté. On se demande qui parle de « rationalisation de la pensée » quand on a la nausée à la lecture d’un livre au lieu de le critiquer avec des arguments, c’est-à-dire faire preuve de rationalité. Mais qu’ont-ils tous à embrayer sur la « haine » sans arrêt comme si la haine était un affect propre à être gommé de la nature humaine étant donné qu’ils ne cessent de s’appuyer dessus pour disqualifier leur interlocuteur ?

Et à une phrase connue que reprend Zemmour dans son essai « Les femmes préfèrent les hommes qui les prennent sans les comprendre, aux hommes qui les comprennent sans les prendre. » (de Marcel Prévost, auteur un peu oublié, capitaine et fait Commandeur de la Légion d’honneur, ayant appartenu à l’Académie française), elle embraye tout de suite sur le viol, ce qui prouve qu’elle n’a rien compris à la phrase comique et piquante. Le viol rien que ça ! Et comme Zemmour se targuait que son livre était lu par de nombreux français,  Dany-Cohn Bendit parle du livre Mein Kampf (sans le nommer) car celui-ci était fort lu dans les années trente. Point Godwin.

Premièrement, le plus sidérant est que ces détracteurs ne se rendent pas compte, eux qui sont paraît-il lettrés et « auteurs », qu’ils réfutent une large partie des penseurs qui ont énoncé des idées similaires, de près ou de loin, de Montaigne à Kundera en passant par Nietzsche, Marx, Flaubert, Maupassant, Schopenhauer, Voltaire, Rousseau et on en passe.  Et hop à la trappe ! Ils ont étrangement oublié que Zemmour s’appuient sur des idées émises par d’autres que lui et pas des moindres. Secondement, ils se targuent de « penser » mais n’utilisent aucun argument probant qui contredirait Zemmour. Ils n’en réfèrent qu’au registre de l’immonde que ne cesserait de débiter soi-disant notre zélé chroniqueur.

Que l’on soit d’accord ou non avec lui, il est plus inquiétant de constater que beaucoup de ses détracteurs soit trépignent de rage, soit veulent qu’on lui supprime ses tribunes dans la presse ou à la télévision (ce qu’on appelle de la censure), réduisant la démocratie et la libre expression des idées à une société où l’on ne discute qu’avec des gens du même avis que soi. Ils lui reprochent d’être partout (entendez presque « Il est partout ! » pour parodier un ancien journal), ce qu’ils ne feraient pas avec d’autres allant dans leur sens.

Ceux qui se battaient pour la liberté d’expression prenaient auparavant de vrais risques (libertins, athées) et il est normal qu’ils soient défendus, surtout si l’on n’est pas d’accord avec eux. Défendre ce principe n’est pas épouser leur avis. Ces trublions d’antan portaient le feu de leur critique contre les institutions d’alors au péril de leur vie. Par un retournement sidérant, les descendants de ces trublions, trublions qui, rappelons-le, défendaient la liberté d’expression et semaient le trouble et le doute, sont devenus les tenants d’une rigoureuse doxa mondialiste, adeptes du cosmopolitisme et du multiculturalisme. La récente polémique opposant l’écrivain Edouard Louis à Marcel Gauchet en est l’illustration. C’est faire peu d’honneur à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 dont ils ne cessent de se réclamer. Il est vrai que le Siècle des Lumières a inventé la guillotine ! Peut-être y a-t-il de l’atavisme quelque part !

Ces mêmes personnalités auraient hurlé comme des chiens malades si un quelconque pouvoir avait osé censurer les penseurs de 68 tels Bourdieu,  Derrida et autres Deleuze et Foucault mais concernant Zemmour, c’est tout-à-fait normal. On peut et c’est permis. Elles sont adeptes de l’altérité à la seule condition que celle-ci aille dans le sens  du monde globalisé qu’ils défendent et préparent, et sous le fallacieux prétexte qu’eux ont enfin déniché le paradis idéal (surtout fiscal), la pensée humaniste intégrale, la seule voie possible, le seul progrès admissible sans quoi leur interlocuteur se retrouve conspué comme un moins que rien, rongeant sa haine comme un chien tout baveux ronge son os. Eux bien sûr, ils sont « open ». Le monde d’avant a absolument tort et qu’un chroniqueur vienne dire le contraire et ait du succès, ils ne le supportent pas. Sans doute parce qu’ils sentent qu’un Zemmour a derrière lui et son succès, des gens qui ne veulent pas de ce monde globalisé et ultra connecté et qu’ils sont majoritaires, ce qui évidemment met en péril le joujou et le territoire de nos nomades culturo-branchés.

Yannick Rolandeau

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