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L’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie n’avaient pas lésiné sur les moyens pour favoriser l’émergence du terrorisme – Par Le Temps d’Algérie

25 septembre 20140
L’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie n’avaient pas lésiné sur les moyens pour favoriser l’émergence du terrorisme – Par Le Temps d’Algérie 5.00/5 3 votes

Publié le : 21 septembre 2014

Source : letempsdz.com

Les pays qui avaient favorisé l’émergence de ce chaos indescriptible en Syrie, réalisant que le renversement du régime de Damas n’est plus accessible, craignant le retour des dizaines de milliers de djihadistes dans leurs pays respectifs, ont pris peur et commencent à se mobiliser contre eux. Mais ce retournement n’est jusqu’ici que verbal.

Entretien avec Majed Nehmé, directeur d’Afrique Asie au Temps de l’Algérie.

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Le Temps d’Algérie : Certains pays ont fait alliance avec « la rébellion » pour renverser le président Al-Assad. Aujourd’hui, ces pays font partie de la coalition anti-Daech. Comment expliquez-vous ce retournement ?

Je ne pense pas qu’ils se soient retournés contre ces monstres qu’ils ont conçus, enfantés et nourris en armes, en argent, en combattants et en idéologie ! Ou du moins pas encore. Les deux organisations, Daech et Al-Nosra, sont le pur produit de l’idéologie salafiste wahhabite. Les pays occidentaux et leurs supplétifs du Golfe ainsi que la Turquie avaient, dès les premiers mois du déclenchement de la crise syrienne, opté pour armer l’opposition qu’ils avaient décrite comme « modérée ». Lors de la conférence des « Amis de la Syrie » réunis à Tunis en février 2012, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, avait déclaré publiquement que son pays allait armer l’opposition. Mais très vite, les chancelleries occidentales, et plus particulièrement la France et les États-Unis d’Amérique, à travers leurs ambassadeurs à Damas, Eric Chevalier et Robert Ford, avaient compris que les marionnettes du 
Conseil national syrien, qu’ils avaient créées de toutes pièces pour se substituer au pouvoir syrien légal, était dominé, directement et indirectement, par des cadres des Frères musulmans. Les libéraux et les démocrates, que j’appellerai les « idiots utiles » de la rébellion, n’avaient aucune représentativité. 

En décidant de militariser la contestation, les Occidentaux et leurs marionnettes ont été très vite submergés par des organisations takfiries qui rejetaient à la fois le pouvoir syrien et l’opposition extérieure. Leurs calculs étaient basés sur un pari stupide, à savoir que les jours de Bachar Al Assad étaient désormais comptés (trois à six mois !), que l’armée allait se retourner contre lui et, enfin, que le CNS allait prendre le pouvoir et chasser les extrémistes qui avaient fait le sale boulot pour eux et qu’ils n’avaient qu’à attendre dans les hôtels cinq étoiles en Turquie, en Arabie Saoudite, au Qatar et en Europe pour le ramasser. Pour Burhan Ghalioun et Georges Sabra, les premiers présidents du CNS, « tous ceux qui combattent le régime syrien, y compris Al Nosra, sont des révolutionnaires et des alliés ». Auparavant, ils prétendaient que ces groupes islamistes issus souvent de la nébuleuse d’Al-Qaïda, étaient manipulés par les services syriens. Mais peu à peu, l’armée syrienne libre était balayée, l’opposition démocratique pacifique réduite au silence ou à l’exil. L’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie n’avaient pas lésiné sur les moyens pour favoriser l’émergence de ces groupes terroristes. Ils pensaient que ce sont les seuls capables d’écraser le régime syrien.
Plutôt que d’écraser le régime de Damas, ces groupes ont commencé à se livrer bataille entre eux. Le Font Al Nosra, qui a été reconnu officiellement par le successeur de Ben Laden, Ayman Al-Zawahiri, comme le seul représentant d’Al-Qaïda au pays du Cham (grande Syrie) est actuellement en guerre larvée contre Daech. Il y a aussi d’autres mouvements rebelles, tous d’obédience takfirie, qui pullulent sur l’ensemble du territoire syrien et qui s’entredéchirent férocement. Ainsi, l’aspiration à la démocratie et au respect des droits de l’homme qui avait animé les premières manifestations n’est plus de mise. Désormais, c’est la création d’un califat et d’un État islamique qui semble animer tous ces mouvements hétéroclites.

Les pays qui avaient favorisé l’émergence de ce chaos indescriptible en Syrie, réalisant que le renversement du régime de Damas n’est plus accessible, craignant le retour des dizaines de milliers de djihadistes dans leurs pays respectifs, ont pris peur et commencent à se mobiliser contre eux. Mais ce retournement n’est jusqu’ici que verbal.

Que cherchent les États-Unis en mettant en place cette « coalition » contre Daech ?



Officiellement, les États-Unis et leurs alliés et supplétifs n’ont cherché à éradiquer Daech que lorsque ce groupe a décapité des journalistes et des citoyens occidentaux d’une façon répugnante et barbare qui a choqué l’opinion publique. Ils ne pouvaient pas ne pas réagir, ou faire semblant de réagir. En s’emparant d’une grande partie du territoire irakien et de la deuxième ville du pays, Mossoul, en infligeant une défaite humiliante à l’armée irakienne et, enfin, en avançant vers le Kurdistan irakien, en s’attaquant aux minorités chrétienne, turkmène, yézidie…

Daech a poussé les États-Unis à intervenir symboliquement. Ils en ont profité pour exiger le départ de Maliki et son remplacement par quelqu’un de plus docile. Ce qui a effectivement été fait. Si les bombardements aériens ont pu avoir un impact positif sur le moral des troupes loyalistes et des peshmergas kurdes, et stopper l’avancée des hordes de Daech, il n’en reste pas moins que c’est l’intervention des militaires iraniens et des combattants turcs et syriens du PKK qui a permis de stopper net cette avancée. Or les pasdarans iraniens et les PKK kurdes en Turquie et en Syrie sont considérés par les Occidentaux comme des terroristes !
En fait, tout ce cirque médiatique fait autour de Daech a pour ultime objectif de faire durer la tuerie et la destruction de la Syrie et de l’Irak et ultérieurement, l’Iran.

Une « dissension » a été annoncée au sein d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), de laquelle serait née une nouvelle organisation terroriste appelée « Djound Al Khilafa » et qui a déjà annoncé son allégeance à Daech. Pourquoi maintenant et pourquoi la région du Sahel ? 



Les mouvements qui prônent un pseudo djihad global, par opposition au djihad local, maîtrisent magistralement l’art de la communication et de la propagande, notamment sur les réseaux sociaux. Aqmi est actuellement sur la défensive. Elle est traquée et rejetée partout. Elle ne survit que grâce au racket, au crime organisé, à la contrebande et aux kidnappings générateurs de rançons que certains pays occidentaux continuent malheureusement à payer. Son projet idéologique, si l’on peut dire, n’attire pas grand monde. Il est donc normal que des dissensions apparaissent dans ses rangs.

Pourchassée dans le Nord Mali, elle est actuellement repliée sur la Libye, un pays livré au chaos, aux milices armées et aux bandits de grands chemins. Il est normal, en période de repli, que des dissensions apparaissent mais sans lendemain. Il s’agit le plus souvent de disputes entre gangs autour d’un butin ou dans l’espoir d’accaparer une partie du butin saisi par Daech en Irak et évalué à quelque deux milliards de dollars. Je ne pense pas qu’il faudra accorder beaucoup de crédit à ces dissensions appelées à se multiplier. Le vrai danger c’est le chaos en Libye elle-même devenue le sanctuaire de nombreux terroristes ayant sévi en Syrie et en Irak et qui sont rentrés poursuivre leur combat sous des cieux plus cléments.

Comment qualifiez-vous le refus des États-Unis et de la France de coopérer avec l’État syrien contre Daech ?

Cela signifie que ces deux pays ne cherchent pas réellement à éradiquer Daech. Car c’est actuellement la Syrie qui combat le plus efficacement ce fléau. Sans la contribution syrienne à la guerre contre ce monstre, Daech serait déjà en Jordanie, au Liban et à la frontière d’Israël.

Il faut cependant discerner entre le refus médiatique et la coordination indirecte mais réelle pour faire barrage à cette organisation. Sur ce plan, une coordination réelle et efficace est engagée entre la Syrie et l’Irak. 

L’échange d’informations se fait par l’intermédiaire du gouvernement irakien qui joue, jusqu’ici, le go-between entre Américains et Syriens.

Les États-Unis et la France, après avoir clamé que les jours de Bachar étaient comptés, ont quelque réticence à avaler leur chapeau, reconnaître leur erreur de jugement et retrouver le chemin de Damas. C’est une question de temps. Damas a déjà été approché par des émissaires français et américains pour reprendre une coopération secrète entre services. Mais ils se sont vus répondre que cette époque est bel et bien révolue et que si ces deux pays veulent réellement reprendre la coopération d’antan, il faudrait que ça se fasse à travers des structures diplomatiques. Donc pas avant la réouverture des ambassades américaine et française à Damas.

Les « djihadistes » libyens, tunisiens et ceux d’autres pays du Maghreb arabe, partis faire le « djihad » au sein d’organisations criminelles, dont Daech, Al-Qaïda et le Front Al Nosra, en Syrie et en Irak, constituent-ils un danger à leur retour dans leurs pays respectifs ?



C’est une évidence. On a d’ailleurs remarqué que les pays du Maghreb, qui se disaient « amis du peuple syrien » (Maroc, Tunisie, Libye) n’avaient pas voulu participer à la conférence de Paris. Ils observent avec inquiétude le retour certain de leurs djihadistes qui sèment la terreur chez eux. C’est le cas également des pays occidentaux qui avaient fermé les yeux, voire encouragé le départ de ces djihadistes en Syrie et en Irak dans l’espoir de s’en débarrasser. 
À lire la presse occidentale, le retour de ces anciens de la Syrie, qui nous rappelle le retour des anciens d’Afghanistan, est le cauchemar de tous les services de sécurité, à tel point que pour certains analystes, la question n’est plus de savoir si ces terroristes vont passer à l’action en Europe même, mais quand et comment. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé.

Ne croyez-vous pas que cette « coalition anti-Daech pourrait être utilisée par les États-Unis pour effectuer des frappes contre l’armée syrienne et l’affaiblir dans le but de faciliter l’avancée de ce qui est appelé « opposition armée modérée » ?


Il est certain que la coalition anti-Daech est actuellement inexistante. Elle est médiatique. Obama, qui ne veut pas terminer son deuxième mandat par une guerre, l’a dit ouvertement : c’est une guerre qui va durer des années. Conclusion : il cherche à épuiser la Syrie et l’Irak et à tout faire pour que ces deux pays ne retrouvent pas la place qui leur revient sur l’échiquier du Moyen-Orient.
Quant à l’avancée d’une opposition armée modérée, c’est une vue de l’esprit. Obama lui-même l’avait reconnu. Actuellement, l’initiative est entre les mains de l’armée syrienne et je ne vois pas comment une opposition fanatisée pourra réaliser ce qu’elle n’a pu faire en trois ans de guerre totale. L’objectif réel est de détruire la Syrie à petites doses. Et la situation actuelle arrange bien tous les ennemis de la Syrie.

Ne pensez-vous pas également que certains pays du Moyen-Orient, dont l’Arabie Saoudite et la Turquie, et certains pays occidentaux, dont les États-Unis d’Amérique, ont grandement contribué à armer les organisations terroristes comme Daech et le Front Al Nosra ?



C’est un secret de Polichinelle. Tous ces pays avaient juré la perte de l’État syrien. En armant ces mouvements djihadistes, ils pensaient ramener la Syrie dans le giron occidental, l’extraire de son alliance avec l’Iran, la Russie et la Chine et la contraindre à une paix au rabais avec Israël. Jusqu’ici, cette stratégie a lamentablement échoué. Et ces monstres qu’ils ont nourris vont se retourner contre eux. Le jour où les Américains vont constater les dégâts de cette stratégie sur leurs propres intérêts et sur les intérêts de leurs supplétifs du Golfe, ils vont arrêter la partie. On n’en est malheureusement pas encore là. 
Alain Chouet, le plus fin et informé des spécialistes français du renseignement, a mis les points sur les « i » en soulignant l’incohérence occidentale face à Daech.
« Aujourd’hui que sont parfaitement localisés avec précision une dizaine de milliers de djihadistes arborant fièrement leur drapeau, défilant dans les rues, égorgeant des citoyens américains devant les télévisions, éventrant médiatiquement femmes et enfants, jouant au foot avec les têtes de leurs ennemis, la présidence américaine, écrit-il, vient dire qu’elle « n’a pas encore de stratégie dans la lutte contre le djihadisme ».

Je veux croire qu’il s’agit là d’une manœuvre du président Obama pour contraindre l’Arabie et les pétromonarchies du Golfe à « choisir leur camp » et à cesser leurs pratiques de double langage qui consiste à condamner verbalement le terrorisme tout en soutenant un peu partout dans le monde les groupes terroristes salafistes et les djihadistes en vue de neutraliser les initiatives démocratiques ou l’influence de l’Iran qu’ils considèrent comme également dangereuses pour le maintien de leur pouvoir. »

Des médias évoquent une « rupture » entre Al-Qaïda et Daech, alors qu’Al-Qaïda vient d’annoncer son soutien à Daech face à la « coalition ». Comment expliquez-vous cela ?
 


C’est une rupture de façade. Les deux organisations, qui se disputent entre elles pour des raisons de contrôle de territoire ou de partage des butins, sont toutes les deux, malgré les apparences, dans une position de repli. Elles poursuivent les mêmes objectifs.

 

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