Economie

L’Allemagne ne peut pas sauver la zone euro – Par Kai A. Konrad

15 septembre 20130
L’Allemagne ne peut pas sauver la zone euro – Par Kai A. Konrad 5.00/5 1 votes

Publié le : 06 septembre 2013

Source : les-crises.fr

Kai A. Konrad, conseiller en chef du ministre allemand des Finances, s’attend à l’effondrement de la zone euro. Il propose que l’Allemagne quitte l’union monétaire – c’est l’Europe, non l’euro, qu’il faudrait sauver selon lui.

L’économiste du Max-Planck-Institut et conseiller scientifique en chef du Ministère des Finances, Kai A. Konrad, craint que le ralentissement de la dynamique économique constaté dans l’ensemble de l’Europe n’en vienne à s’accélérer notablement. Il affirme qu’en cas de crise grave l’Allemagne devrait abandonner l’euro. La crainte que cette sortie ne provoque une catastrophe pour l’économie allemande est selon M. Konrad largement exagérée. Tout au contraire, les entreprises du pays pourraient en sortir renforcées.

Die Welt : Monsieur Konrad, le gouvernement a reporté toutes les décisions importantes concernant la crise de l’euro à l’après-élections. Tente-t-on de tromper les électeurs ?

Kai A. Konrad : Je crois plutôt à un statu quo après les élections. Depuis l’apparition de la crise, la classe politique a toujours tenté de remettre au lendemain les décisions et de procrastiner.

Die Welt : Considérant le niveau extrême des dettes, presque tous les économistes tiennent des répudiations au moins partielles pour inévitables.

Konrad : En réalité, les Grecs possède suffisamment de richesses pour pouvoir s’acquitter sans aide de leur dette. Mais ils refusent, ou se trouvent dans l’impossibilité, de prendre des décisions aliénant ces avoirs. De ce fait, un nouveau défaut constituerait sûrement une option.

Die Welt : Selon les estimations de la Bundesbank, la Grèce aura besoin début 2014 d’un troisième plan d’aide. Admettra-t-on alors enfin que ce pays est un puits sans fond ?

Konrad : Mais la Grèce est déjà un puits sans fond, personne n’ayant jamais prédéfini une limite à ce qu’elle peut engloutir. Le taux d’endettement grimpe, entre autres parce que l’économie du pays se réduit comme peau de chagrin. Ce qui n’empêche nullement la Troïka, c’est à dire l’UE, la BCE et le FMI,de continuer imperturbablement à publier pour ce pays les prévisions les plus déconnectées de la réalité.

Die Welt : Ne vaudrait-il pas mieux que la Grèce quitte l’euro, au moins temporairement ?

Konrad : Non. Le pays serait alors étranglé par sa dette extérieure. Si l’on veut en finir avec l’Union Monétaire, c’est par les pays du nord de la zone qu’il faut commencer. Et si on en arrive là, alors l’Allemagne doit quitter l’euro.

Die Welt : Il faudrait que l’Allemagne fasse pour la troisième fois exploser l’Europe ? Aucun gouvernement allemand ne s’y résoudra jamais.

Konrad : L’euro n’est pas l’Europe. C’est l’Europe, et non l’euro, qu’il s’agit de sauver ! Il est vrai que, pour des raisons politiques, l’Allemagne n’est pas en position de sortir la première. Mais les autres pays membres pourraient l’y contraindre. C’est ce vers quoi nous allons. Dans certains pays, les conditions économiques sont devenues proprement insupportables. Par surcroit, une certaine agitation politique s’y est fait jour. Et si l’Allemagne et quelques autres économies fortes quittaient la zone euro, la valeur de cette monnaie baisserait, permettant aux économies du Sud de recouvrer la santé.

Die Welt : Le prix à payer serait la ruine de la capacité exportatrice de l’Allemagne.

Konrad : Cette capacité exportatrice pourrait au contraire en sortir renforcée. Elle s’est fort bien accommodée, lors des décennies passées, de l’appréciation continue du mark allemand, et a ainsi appris à maintenir sa compétitivité. La situation actuelle n’est pas, à beaucoup près, aussi exigeante. Mais pour cette raison précisément, la capacité qu’elle avait eu de réagir sous la pression s’est évaporée, et cela est dangereux.

Die Welt : Il n’en reste pas moins que la banque centrale allemande va devoir faire tourner la planche à billet, pour contrer une appréciation excessive du nouveau mark.

Konrad : En effet, la Bundesbank va devoir acheter des devises étrangères pour des montants considérables, afin de contenir cette appréciation du nouveau mark dans des bornes acceptables.

Die Welt : Ce qui pourrait précipiter l’Allemagne dans une dépendance sévère – comme la Chine d’aujourd’hui, qui est coincée avec des réserves “himalayesques” de dollars.

Konrad : Mais les avantages dominent cependant. Les bénéfices dus au seigneuriage seraient gigantesques. On pourrait investir les réserves en devise d’une manière moins conventionnelle, par exemple en instituant notre propre fonds souverain, qui investirait à l’étranger dans des entreprises, de l’immobilier ou des stocks de matières. Par ailleurs, le pouvoir d’achat de la population allemande serait dopé: les voyages, l’essence et bien d’autres choses deviendraient meilleur marché.

Die Welt : Mais ne craindriez-vous pas une guerre des devises, si l’Allemagne, armée de sa planche à billets, se mettait à racheter le monde ?

Konrad : Tout au contraire. L’Allemagne n’autoriserait une appréciation du mark que dans les bornes de ce qui serait justifié, ce qui reste impossible à faire aussi longtemps que nous faisons partie de l’euro.

Die Welt : Revenons au présent: Outre la Grèce, il y aura le Portugal et Chypre, voire peut-être l’Irlande, qui se verront contraints de demander une aide. Sera-t-il possible à l’Allemagne de supporter ce fardeau dont l’ombre menace?

Konrad : L’étranger se représente l’Allemagne comme une sorte d’Hégémon hésitant. Mais c’est là une surévaluation injustifiée. Les récentes statistiques comparant sur les richesses respectives des divers peuples européens ont montré que l’Allemagne ne se classait pas si haut. La classe politique et les médias sont restés d’une discrétion de violette sur ce sujet.Nous devons cependant l’admettre: l’Allemagne n’est pas tellement grosse en comparaison de l’UE. Et en comparaison de ses voisins, l’Allemagne, au cours de ces quinze dernières années, s’est sensiblement appauvrie.

Die Welt : Et donc l’Allemagne ne pourra pas supporter ce fardeau?

Konrad : L’Allemagne ne peut pas sauver la zone euro. Qui le croit, s’illusionne. Il est vrai que la BCE a la capacité de prolonger la situation présente, à grand renfort de trombes d’argent, et ce jusqu’à finir par interférer avec les politiques fiscales des pays membres. Mais où cela nous conduit-il ? Le ralentissement de la dynamique économique constaté dans l’ensemble de l’Europe devrait de toutes façons notablement s’accélérer.

Die Welt : Concrètement, cela signifie ?

Konrad : L’Allemagne va continuer, dans les prochaines années, à profiter de la crise et à attirer un supplément de main d’œuvre. Cela va conduire à l’apparition, d’un côté, de centres de productivité et de l’autre, des régions emplies de retraités et d’autres bénéficiaires de transferts fiscaux. L’Europe va ainsi se retrouver dans la situation du Mezzogiorno. Ce que cela signifie concrètement, on peut l’observer depuis des décennies en Italie, ou le Nord riche et industrieux entretient le Sud, pauvre au moyen de transferts fiscaux. Déjà, en Italie, ça ne passe pas très bien. Les tensions que la même chose produiraient en Europe constituent pour l’euro un danger létal.

Die Welt : Quand en serons-nous donc là ?

Konrad: Il nous reste sans doute quelques années. En 2010, au début de la crise [de l’euro spécifiquement NdT] je m’étais dit : maintenant ça va aller vite. Mais l’euro a survécu jusqu’à ce jour. Apparemment, un processus de ce genre peut jouer les prolongations.

Die Welt : La Banque centrale a, en se disant prête à acheter, en cas de nécessité, des emprunts d’État en quantité illimitée, ramené le calme dans les marchés. Mais cet automne, le tribunal constitutionnel allemand va devoir décider s’il y a lieu d’interdire ou de limiter ces achats. Et si c’est ce qu’il décide, que va-t-il alors se passer ?

Konrad : Rien dans un premier temps. Le tribunal ne peut donner d’ordres à la BCE – et donc ce programme de rachat, l’OMT, resterait intact. Le tribunal pourrait peut-être interdire à la Bundesbank d’y participer. Mais qu’est ce qui empêcherait alors, disons, la Banque de France, de se charger de la part de la Bundesbank en sus de la sienne propre? Et l’Allemagne n’en resterait pas moins caution de la BCE pour 27% du total. Tout du moins, aussi longtemps que l’union monétaire se maintient.

Die Welt : Et qu’advient-il si elle ne se maintient pas ?

Konrad : A ce moment-là, chacune des banques centrales se retrouve avec ce qui figure dans ses livres de compte à elle. De ce fait, ces rachats de titres que prescrit la BCE fonctionneraient comme un gage politique : si la Bundesbank se trouvait avoir beaucoup participé à ces acquisitions, un retrait de l’Allemagne de la zone euro coûterait plus cher.

Conséquemment, il deviendrait plus facile de convaincre les Allemands de participer à d’éventuels programmes d’aides. Mais si le tribunal constitutionnel interdit ces achats à la Bundesbank, cela apparaitra comme une bonne chose en cas d’éclatement de l’euro ; et de plus une telle interdiction aurait de toutes façons l’avantage de réduire la pression que les autres pays peuvent exercer sur l’Allemagne..

Die Welt : Somme toute, est-ce qu’une union monétaire sans union politique peut fonctionner ? Et sinon, est-ce que la tentative de créer un super-état européen ne risquerait pas de mettre fin à l’Europe ?

Konrad : Une union monétaire sans union politique peut fonctionner, mais seulement si les États endettés sont véritablement contraints de se désendetter et si tous appliquent une discipline fiscale beaucoup plus stricte qu’il ne serait nécessaire s’ils étaient en dehors de l’union monétaire. Je pense ici à un ordre de grandeur de 10% du PIB. Mais les réalités politiques, on le sait, sont tout autres. Une autre alternative serait une union politique véritable, formant un État central unique, très fort, ayant une légitimité politique très forte aussi… mais il s’agit là de pensée magique, qui n’a rien à voir avec les réalités politique de l’Europe.

Kai A. Konrad, 52 ans, est l’un des principaux économistes d’Allemagne. Il est directeur au Max-Planck-Institut für Steuerrecht und Öffentliche Finanzende Munichet et chef du conseil scientifique interne du Ministère des Finances. M. Konrad est sorti en 1990 de l‘Université Ludwig-Maximiliansde Munich. Il est chercheur à la Freie Universität de Berlin, à l’Université de Bergen et à l’University of California d’Irvine. En 2012, il a co-signé avec Holger Zschäpitz, rédacteur à “Die Welt” : “SchuldenohneSühne? Was Europas Krise uns Bürger kostet” (“Dette ou péché ? ce que nous coûte la crise”, Éditions DTV, 284 pages)

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