Economie

Sortons de l’euro pour sauver l’Europe – Par Jean-Pierre Vesperini

15 mai 20130
Sortons de l’euro pour sauver l’Europe – Par Jean-Pierre Vesperini 5.00/5 3 votes

Publié le : 14 mai 2013

Source : observatoiredeleurope.com

Il est logique que la fin de l’euro constitue le dénouement de la tragédie franco-allemande puisque c’est la création de l’euro elle-même qui est à l’origine de cette tragédie. En effet, en faisant perdre à chaque Etat de la zone euro d’abord sa souveraineté monétaire, et maintenant sa souveraineté budgétaire, l’euro aboutit à ce qu’aucun Etat ne puisse suivre la politique économique qui est adaptée à son économie.

Certes, le premier problème de la France est le chômage, dont la cause tient à l’absence de croissance. Dans le cadre actuel de l’euro, qui l’a privée de ses souverainetés monétaire et budgétaire, le pays ne dispose plus des leviers qui lui permettraient de retrouver la croissance. La France en est donc réduite à demander à l’Allemagne de mettre en oeuvre une action de relance dont elle serait la bénéficiaire. Pour que l’action de Berlin soit vigoureuse, elle devrait consister à la fois en une politique budgétaire moins rigoureuse et en une politique salariale plus généreuse. Etant donné les contraintes que l’euro fait peser sur l’économie française, la France est donc parfaitement fondée à demander à l’Allemagne d’appliquer cette politique de relance.
Le problème est que le gouvernement allemand ne peut pas appliquer cette politique pour deux raisons : tout d’abord, les Allemands ne comprendraient pas qu’après avoir accompli d’importants efforts pour revenir à l’équilibre budgétaire, le gouvernement décide de s’en écarter délibérément.

Ensuite, parce que le gouvernement n’est pas maître de la politique salariale, qui dépend des partenaires sociaux. Or patronat et syndicats ne souhaitent pas un relâchement de la discipline salariale qui se traduirait par une perte de compétitivité, donc par une diminution des marges des entreprises et une réduction de l’emploi. L’Allemagne est donc parfaitement fondée à refuser les demandes de la France.

De son côté, que demande Berlin à Paris ? L’Allemagne se rend compte que le déficit public et le déficit extérieur de la France ne se réduisent pas. Elle redoute de devoir financer d’une manière ou d’une autre ces déficits auxquels s’ajouteraient ceux des autres pays déficitaires. L’Allemagne est donc parfaitement fondée à demander à la France de réaliser des réformes (économies budgétaires, baisse des prestations sociales, baisse des salaires) afin de réduire son déficit public et son déficit extérieur.

Le problème est ici que le gouvernement français ne peut pas réaliser des réformes de cette ampleur dans une société française au bord de la crise de nerfs. Croire que l’on peut réformer en profondeur la société et l’économie françaises sans croissance est une illusion. La France est donc elle aussi parfaitement fondée à refuser les demandes de l’Allemagne.
Parler dans ces conditions de tension ou de confrontation entre les deux pays est encore inexact et insuffisant. Comme dans une tragédie, Paris et Berlin sont prisonniers d’une situation inextricable qu’ils n’ont pas créée, où chacun est dans son droit, à la fois dans ses exigences et dans ses refus.

Comment cette tragédie peut-elle se dénouer ? Il est vain d’espérer, comme certains veulent le croire, que la France et l’Allemagne vont trouver un compromis : des réformes de ce côté-ci du Rhin et une relance de l’autre côté. Les inerties sont trop grandes, les intérêts trop opposés et les évolutions trop divergentes pour qu’on puisse espérer aboutir à un compromis durable à long terme. Ou les réformes seront insuffisantes pour faire vraiment diminuer les déséquilibres français, ou la relance allemande sera trop faible pour accélérer substantiellement la croissance de la France de façon à lui permettre de réaliser ses réformes. Nécessairement, l’une ou l’autre finira par imposer ses vues.

Ou l’Allemagne imposera les siennes, obligeant le gouvernement français à réformer en dépit de l’absence de croissance, et, dans ce cas, le risque est de provoquer une crise sociale grave pouvant conduire à la sortie de la France de la zone euro. Ou le gouvernement allemand cédera et acceptera d’être le payeur en dernier ressort des pays déficitaires de la zone euro. Mais, dans ce cas, le risque est que l’hostilité de l’opinion allemande à cette solution n’amène l’Allemagne à quitter finalement la zone euro. On voit donc que, quelle que soit la branche de l’alternative que suivront les événements, la tragédie franco-allemande se dénouera de la même manière : par la fin de l’euro.

Il est d’ailleurs logique que la fin de l’euro constitue le dénouement de la tragédie franco-allemande puisque c’est la création de l’euro elle-même qui est à l’origine de cette tragédie. En effet, en faisant perdre à chaque Etat de la zone euro d’abord sa souveraineté monétaire, et maintenant sa souveraineté budgétaire, l’euro aboutit à ce qu’aucun Etat ne puisse suivre la politique économique qui est adaptée à son économie. L’euro empêche la correction des déséquilibres.

En maintenant et en amplifiant les déséquilibres, l’euro crée une divergence croissante entre les Etats de la zone. Ainsi, en bloquant le taux de change entre la France et l’Allemagne, alors que les salaires ont augmenté deux fois plus vite en France qu’en Allemagne, l’euro nourrit un déficit extérieur croissant de la France vis-à-vis de l’Allemagne. Plus généralement, en imposant à l’économie française un taux de change de l’euro surévalué et à l’économie allemande un taux de change sous-évalué, l’euro crée des déficits extérieurs en France et des excédents en Allemagne. En réduisant ainsi les débouchés extérieurs de la France, il affaiblit son économie, tandis qu’en stimulant les débouchés extérieurs de l’Allemagne il renforce son économie.
Dans ces conditions, l’euro ne peut que favoriser une hostilité croissante de la France à l’égard de l’Allemagne. La fin de l’euro, en faisant retrouver sa souveraineté au gouvernement français, ne l’obligerait plus à demander au gouvernement allemand ce que ce dernier ne peut lui accorder.

La disparition de l’euro est donc nécessaire pour deux raisons : d’abord, pour mettre un terme à la lamentable tragédie franco-allemande. Ensuite, pour permettre à la France de retrouver la croissance. Nombreuses sont les voies qui pourront conduire à la fin plus ou moins proche de l’euro. La seule certitude est que cette fin est nécessaire. Nécessaire aux deux sens de ce mot : indispensable et inéluctable.

Jean-Pierre Vesperini, Professeur agrégé des facultés de droit et des sciences économiques

Publication originale : Le Monde, 9 mai 2013

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