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Le cri d’alarme de la grande muette – Par Dominique Jamet

15 novembre 20120
Le cri d’alarme de la grande muette – Par Dominique Jamet 5.00/5 1 votes

Publié le : 15 novembre 2012

Source : bvoltaire.fr

L’armée, l’armée française, si l’on interprète bien les dernières et fières déclarations de François Hollande, pourrait garantir prochainement dans le ciel de Syrie, en compagnie de forces alliées, la sécurité des zones « libérées » par l’insurrection démocratico-islamiste. Puis, à échéance de quelques semaines, elle serait mise à contribution au Sahel pour y assurer l’équipement, l’entraînement, le soutien logistique et tactique des contingents africains appelés à arracher le Nord-Mali à l’emprise des djihadistes, et peut-être même à leur donner un coup de main sur le terrain…

Allons bon ! Il est pour le moins paradoxal que les missions assignées à nos forces armées se multiplient alors que leurs effectifs et leurs moyens diminuent sans cesse. C’est à un corps militaire exsangue qu’il est demandé de poursuivre encore quelques mois un engagement particulièrement ingrat en Afghanistan, de s’interposer entre Israéliens et Hezbollah au Liban, entre Israéliens et Syriens sur le plateau du Golan, de monter la garde sur nos bases au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Centrafrique, au Niger, en Mauritanie, et désormais à Abou-Dhabi, notre nouvelle frontière, et que l’on va demander de participer à de nouvelles opérations dont le lien avec nos intérêts nationaux n’est pas toujours évident. Cela alors que la cure d’amaigrissement imposée, paraît-il, par la crise, s’est déjà traduite par une diminution d’effectifs de 54 000 hommes, que notre armée de terre est passée pour la première fois au-dessous de 100 000 hommes, et que les coupes budgétaires annoncées n’épargneront pas le ministère de la Défense.

Ce qui fut, ou passait pour être, il y a soixante-dix ans, la « première armée du monde » a toutes les peines du monde à préserver le seuil minimal de 30 000 combattants disponibles pour des opérations extérieures, et à la pénurie en hommes répondent les carences et parfois la vétusté des matériels. Rien d’étonnant si, dans ces conditions, et dans le contexte d’un monde dangereux et d’un pouvoir politique qui prétend que la France y joue encore un rôle actif, non seulement des officiers supérieurs à la retraite mais l’amiral Guillaud lui-même, en sa qualité de chef d’état-major des armées, déclarent que la cote d’alerte est atteinte. La Grande Muette pousse un cri d’alarme. Sera-t-elle entendue ?
Les cimetières, dit-on, sont pleins d’hommes irremplaçables. Les chemins de l’histoire sont jalonnés de décisions irréversibles. La différence tient heureusement à ce que, si les morts ne reviennent pas, les vivants peuvent toujours revenir sur des sottises et des erreurs.

Or, s’il est possible d’adapter nos interventions (au Tchad, en Côte d’Ivoire, et récemment en Libye) à nos moyens, il n’est pas dit que ces mêmes moyens nous permettraient encore de répondre à des situations que nous n’aurions ni prévues ni souhaitées. On dit souvent qu’il ne restera rien des douze années du règne fainéant de Jacques Chirac (exception faite de l’heureux refus de nous mêler à la deuxième guerre, d’agression, contre l’Irak). C’est faux : c’est à M. Chirac, et à personne d’autre qu’est due la funeste décision d’abolir le système, vieux de deux siècles, qui faisait de l’armée l’émanation de la nation. Le service militaire n’était pas seulement le lieu d’un brassage social qu’exclut aujourd’hui l’organisation de notre société et la seule occasion dans la vie des générations successives de sacrifier un peu de temps à la collectivité, il mettait à la disposition de l’État les moyens de contenir les menaces venues de l’extérieur ou de l’intérieur. La France serait aujourd’hui dans l’incapacité de faire face à l’agression de forces armées conventionnelles comme de maintenir l’ordre dans l’hypothèse d’une subversion interne, a fortiori si les deux se combinaient. Dépassée par le déferlement de la violence sur sa ville, une élue marseillaise suggérait il y a quelques semaines de faire appel à l’armée. Encore faudrait-il, le jour où la banlieue s’embraserait, que nous ayons une armée.

Dominique Jamet

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