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Droit de vote des étrangers : le quadruple « combo » des députés socialistes

22 septembre 20120
Droit de vote des étrangers : le quadruple « combo » des députés socialistes 5.00/5 2 votes

Publié le : 20 septembre 2012

Source : l-arene-nue.blogspot.fr

J’ai d’abord cru à une bonne blague lorsque j’ai découvert, dans Le Monde du 18 septembre, l’appel de 75 députés PS (ensuite devenus 77, ndlr) pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. Je me suis d’ailleurs tapé sur les cuisses de bon cœur : c’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de se marrer en lisant le quotidien vespéral.
J’ai cru à une bonne blague pour deux raisons. D’abord parce que quand une poignée de parlementaires décide d’ouvrir le bec pour dénoncer l’inanité du Pacte budgétaire européen, ça beugle dans tous les coins à la nécessaire « cohésion de la majorité ». Aussi pensais-je benoîtement que cette « cohésion » s’appliquait à tous les domaines, et non aux seules questions européennes. J’avais tort.
J’ai cru à une bonne blague, aussi, parce que ça fait quand même un bail qu’on n’a pas entendu Marine Le Pen exposer sur les ondes son amicale vision du monde. Je n’imaginais donc pas que des députés de gauche entreprendraient de lui fournir eux-mêmes les imputs nécessaires à l’entertainment de l’université d’été du Front national, qui se tiendra ce week-end à La Baule. Là, j’avais re-tort.
Mais c’est surtout quand j’ai découvert le contenu de l’appel des « 77 mercenaires » que j’ai arrêté net de bouffer. Parce qu’en termes d’argumentaire, bonjour l’angoisse. Et bonjour la litanie de poncifs éculés !
Prenons l’un de ces arguments, tiens. Complètement au pif, hein : de toute façon, ils ont tous déjà beaucoup servi. Selon les fameux 77 , l’idée de ce droit de vote – qui figurait dans les « 60 engagements pour la France » d’Hollande – est légitime parce qu’elle a été formulée en 1981 par François Mitterrand. Autrement dit, cette réforme doit être réalisée parce l’idée date de Mathusalem. Bigre ! Heureusement que toutes les vieilles lunes trentenaires ne nous sont pas systématiquement resservies. Surtout si leur concepteur y a renoncé en son temps pour s’être aperçu de leur manque de pertinence. De fait, si cette idée figurait dans la liste des « 110 propositions » du candidat Mitterrand (voir la n°80), sans doute n’est-il pas dû au hasard qu’il ait définitivement renoncé à la mettre en œuvre.
D’ailleurs, j’aimerais bien leur demander, moi, à nos 77 nostalgiques des eighties, pourquoi cette idée est la seule des « 110 propositions » à être ainsi déstockée. Car il en existe d’autres, qui pourraient être mises en œuvre. La proposition n°32, par exemple, ravirait les titulaires de petits revenus : « les taux de TVA seront ramenés au taux zéro pour les produits de première nécessité ». Et pourquoi pas la n°16, qui permettrait une relance de notre économie : « un programme de grands travaux publics, de construction de logement sociaux et d’équipements collectifs (crèches, restaurants scolaires, maisons de l’enfance) sera engagé ». Au bout du compte, « l’argument Mitterrand », c’est un peu comme l’argument « cohésion de la majorité » : il est massue… mais seulement les jours impairs.
Autre argument qui déchire, niveau pertinence : les étrangers résidant en France se fendent d’une « égale participation à l’impôt, qui reflète plus que tout leur appartenance à la République ». Français non imposables, tenez-vous le pour dit ! Votre « appartenance à la République » n’est plus très assurée. Vos droits civiques non plus.
Lecteurs, ne riez pas. Sauf si c’est la seule alternative pour éviter de chialer. Décortiquons plutôt ce curieux syllogisme. Selon les signataires de l’appel, il serait intolérable que des étrangers qui payent des taxes sur notre sol soient exclus de la participation à la vie collective. Allons bon ! Nous voilà donc passés du très politique « un homme, une voix » – qui concernait les seuls citoyens – au très économique « tu payes, tu votes ». Ça faisait longtemps qu’on n’avait plus lu plaidoyer plus émouvant en faveur du suffrage censitaire. C’est désormais chose faite.
Reste alors à débroussailler un certains nombre de difficultés vénielles : qui votera quand ? Quel impôt pour quel vote ? Un riche résident payant une ahurissante taxe d’habitation pour cause de propriété mirifique sur la côte bretonne aura-t-il un peu plus le droit de vote qu’un pauvre hère créchant dans un deux pièces à Meudon ?
Enfin et surtout, le sempiternel argument du paiement de l’impôt peine à dissiper cet épais mystère: pourquoi vouloir limiter, au risque de créer une citoyenneté à plusieurs vitesses, le seul « droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections municipales » ? Les cantonales, c’est pas utile ? Les régionales, ça sent pas bon ? Surtout, quid des étrangers qui payent de longue date des impôts nationaux, au premier rang desquels l’impôt sur le revenu ? Les législatives, c’est pas pour eux ? La présidentielle, trop compliqué ? Bref, la cohérence du « qui paye vote », c’est un peu comme la « cohésion de la majorité » : facultatif, à géométrie variable, et jamais pendant les horaires de service…

Curieusement, nos parlementaires ravis ont passé sous silence cette antienne qui eût été du plus bel effet dans leur enfilage de perles : la nécessité d’aligner les droits des étrangers non communautaires sur ceux des ressortissants de l’UE. Un bon point pour les 77 : c’est pas parce qu’on a fait une erreur – et l’octroi du droit de vote, en France, aux ressortissants de l’UE en fut une, nonobstant le principe de réciprocité dont il est assorti – qu’il est pour autant urgent de la généraliser.

En revanche, on n’échappe pas au raisonnement qui tue, selon lequel de « nombreux pays européens nous montrent déjà l’exemple ». Il est vrai qu’une quinzaine de nos voisins ont déjà accordé ce droit de vote local à leurs résidents étrangers. Voilà donc la France en retard (forcément en retard) et comme toujours, archaïque (forcément archaïque). Car c’est bien connu, c’est toujours mieux ailleurs. Après « le modèle allemand » pour l’économie, voici donc « le modèle espagnol » et « le modèle belge » pour le vote des étrangers, « le modèle scandinave » pour la redistribution des richesses et, coming soon, « le modèle hollandais » pour le gouda et « le modèle portugais» pour la brandade de morue…
On aimerait bien, pour une fois, pouvoir s’offrir une exception, en essayant (promis, ce sera exceptionnel) de préserver un petit peu de ce bon vieux « modèle français », qui a tout de même fait ses preuves dans quelques domaines, et n’est pas forcément à jeter en bloc dans les poubelles de l’Histoire. Le « modèle français », c’est-à-dire la République « une et indivisible », où l’appartenance ne se découpe pas en catégories, en sous-catégories, en sous-sous-catégories, et où l’on se garde de multiplier les conditions d’une société sans cesse plus fragmentée. Le « modèle français » où, comme le dit Laurent Bouvet, « le lien entre citoyenneté et nationalité est la pierre angulaire de l’affirmation du peuple français comme communauté de citoyens libres et égaux. La nation française étant née comme projet politique et non culturel ou identitaire : on est Français parce qu’on est citoyen comme on est citoyen parce qu’on est Français. Il ne peut donc y avoir de demi-mesure, de semi-citoyenneté ».
Enfin, moi, je vous dis tout ça, mais j’aurais tout aussi bien pu la fermer – de même que les 77 députés. Parce qu’au bout du compte, cette réforme ne se fera pas. D’une part parce que cela nécessiterait une modification de la Constitution et que le gouvernement ne dispose pas de la majorité des 3/5e au Congrès. Ensuite, parce qu’un référendum sur la question est exclu, car cela déchaînerait les force centrifuges à l’œuvre dans notre société meurtrie par la crise.
La gauche devra donc se passer de cette « modernisation », dont au bout du compte, le député Razzy Hammadi avoue lui-même l’objectif : « c’est une mesure qui, pour un grand nombre de socialistes, devra être effectives pour les municipales de 2014 ». Et ouais, les gars ! Elles vont être rudes, les midterms de 2014 ! Et quelques électeurs en plus, ça aurait pu permettre à la marge de sauvegarder quelques bastions. Sauf que… qu’est-ce qui vous prouve que les étrangers voteraient socialiste ?
En attendant, l’appel des 77 députés PS pour le droit de vote des étrangers aux élections locales n’aura eu que les effets suivants: souffler sur les braises d’un sujet qui clive les Français, alors qu’ils ont plutôt besoin, ces temps-ci, qu’on le rassemble. Mettre le couteau sous la gorge de l’exécutif, obligeant François Hollande et Jean-Marc Ayrault à envoyer Valls au carton pour tenter un contrefeu. Donner l’impression grandissante que nos responsables politiques ont complètement jeté l’éponge dans les domaines de l’économique et du social, et qu’ils se rabattent, faute de mieux, sur les seuls sujets sociétaux. Enfin, donner un petit shoot d’hormones de croissance à la droite de l’UMP et au Front national.
Un quadruple combo, en somme. Qui force l’admiration. Des volontaires pour tâcher de faire pire ? On attend et on est impatient.
Coralie Delaume
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