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Syrie: les dangers de l’après Bashar El-Assad

16 août 20120
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Publié le : 20 juillet 2012

Source : marianne2.fr

Invité à donner son décryptage de la situation syrienne, Alain Chouet, ancien responsable de la DGSE, grand connaisseur du monde arabo-musulman, longtemps en poste en Syrie estime qu’un départ de Bashar El Assad ne changera rien à la réalité des rapports de force dans le pays et s’inquiète de la schizophrénie des puissances occidentales vis à vis des sponsors des rebelles syriens que sont l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Défections en série de hauts responsables du régime, multiplication des appels pour exiger le départ du président, un attentat contre Assef Chaoukat, vice-Ministre de la Défense, un des piliers du régime et beau frère de Bachar El Assad, offensives des rebelles sur la capitale, rumeurs  - démenties par Le Figaro – d’un départ du président vers son palais de Lattaquié sur la côte Méditteranéenne où il préparerait la riposte. « Le régime de Damas perd tous les jours un peu plus le contrôle de la situation » commentait jeudi le quai d’Orsay. Ce matin vendredi, alors que des combats se poursuivaient dans les quartiers de Damas, l’ambassadeur de la Russie à Paris déclarait qu’Assad était à diposé à quitter le pouvoir, à condition que ce soit « de façon civilisée ».Ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, expert du monde arabo-musulman, en poste en Syrie durant plusieurs années, lors d’une conférence à Nice de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale, Alain Chouet vient de livrer son analyse de la situation syrienne. Un exercice de décryptage  et de prospective aussi risqué qu’éclairant.

Première cible de l’auteur, les médias écrits et audiovisuels qui reprennent uniformément les communiqués de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) sans jamais se poser « qui parle ? » derrière ce sigle inoffensif. Rien à voir avec la Ligue internationale des droits de l’homme, l’OSDH qui fonctionne sur fonds séoudiens et qataris « est en fait une émanation de l’Association des Frères Musulmans et il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont autrefois été condamnés pour activisme violent ».

Le constat est à peine moins sévère pour un autre chouchou des médias, le Conseil National Syrien créé en 2011 longtemps aux mains des Frères Musulmans, mais dont la présence encombrante « a fini par exaspérer à  peu près tout le monde ».

L’auteur douche aussi rapidement les espoirs de ceux qui espèrent assister à l’avènement rapide d’une Syrie apaisée en cas de chute de Bashar El Assad: « le régime syrien n’est pas la dictature d’un seul homme, ni même d’une famille comme l’étaient les régimes tunisien, égyptien, libyen ou irakien. Tout comme son père, Bashar El Assad n’est que la partie visible d’un iceberg communautaire complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui 2 millions d’alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d’une mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que l’Occident semble encourager et promouvoir  dans la région ». Les alaouites contrôlent, en effet, une bonne partie des richesses du pays alors qu’ils ne représentent que 12% de la population.

Les risques de la schizophrénie occidentale
Comme de nombreux médias omettent régulièrement de le rappeler, si le gouvernement syrien est largement soutenu par la Russie et la Chine, les rebelles sont surtout armés et financés par l’Arabie Saoudite et le Qatar, soutiens du salafisme politique, dont l’influence grandissante n’émeut en aucune manière les diplomaties occidentales, quand ils ne sont pas perçus comme des alliés pacificateurs, les promoteurs d’un islam modéré, voire des investisseurs choyés dans nos contrées en crise…A ce titre, Alain Chouet fait remarquer qu’il eut été peut-être possible à la communauté internationale de changer la donne il y a un an « en exigeant du pouvoir syrien des réformes libérales en échange d’une protection internationale assurée aux minorités menacées. Et puisque l’Arabie et le Qatar –deux monarchies théocratiques se réclamant du wahhabisme- sont théoriquement nos amies et nos alliées, nous aurions pu leur demander de déclarer la fatwa d’Ibn Taymiyyah (NDLR : théologien musulman du 13ème siècle, principale référence du courant wahhabite et de la réforme salafiste) obsolète, nulle et non avenue afin de calmer le jeu. Il n’en a rien été ».

Loin de soutenir le régime syrien qualifié d’« autoritaire, brutal et fermé », l’ancien chef de la DGSE s’inquiète surtout de l’empressement des pays occidentaux « à favoriser partout les entreprises intégristes encore moins démocratiques que les dictatures auxquelles elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui leur résistent » ainsi que les incohérences d’un Occident si « prompt à condamner l’islamisme chez lui, et qui se retrouve à en encourager les manoeuvres dans le monde arabe et musulman ».

Une schizophrénie surprenante et un pari risqué : « l’avenir dira (…) si les investissements massifs du Qatar et de l’Arabie dans nos économies en crise valaient notre complaisance face à la montée d’une barbarie dont nous aurions tort de croire que nous sommes à l’abri ». Nul ne sait ce qu’il adviendra d’un changement de régime à Damas, il appartient néanmoins aux progressistes syriens de se prendre en main pour éviter qu’à une oligarchie militaro-affairiste ne succède un maître salafiste soutenu par « la Maison des Saoud ».

Régis Soubrouillard
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