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Les cocus de la Bastille

11 mai 20121
Les cocus de la Bastille 5.00/5 2 votes

Publié le : 08 mai 2012

Source : comite-valmy.org

Les politiciens aiment la jeunesse, c’est bien connu. On pourrait se demander pourquoi des hommes qui ont en général dépassé la cinquantaine sont tellement friands de jeunes dont la culture, les repères, les réactions sont si différentes des leurs. La raison est simple : les jeunes présentent pour les politiques une qualité que les autres âges de la vie n’ont pas : ils n’ont pas de mémoire, pas d’histoire. Les adultes, les vieux, eux, se souviennent des fausses promesses, des trahisons, des mensonges, des erreurs. Ils sont moins sensibles au « storytelling », parce qu’ils ont vécu les « storys » et peuvent faire la part de la réalité et des embellissements.Hollande et Mélenchon peuvent raconter beaucoup de bobards sur Mitterrand et son oeuvre aux jeunes, c’est beaucoup plus difficile de le faire avec les vieux.

C’était peut-être le symbole de la soirée. Le 10 mai 1981, je m’en souviens, la Bastille était remplie de gens de tous âges, jeunes ayant voté pour la première fois et vieux de la vieille qui attendaient depuis vingt ans le retour des socialistes au pouvoir. Trente et une années plus tard, la place de la Bastille était remplie de jeunes. De quelque part qu’on regarde – sauf sur la scène, bien entendu – on avait du mal à trouver des gens au dessus de 40 ans. Ceux qui auraient pu se souvenir du 10 mai 1981 avaient de toute évidence préféré rester chez eux. Cette petite bouderie est en elle même tout un symbole. Aujourd’hui, seuls ceux qui n’ont pas de mémoire sont enthousiastes. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent toutes les études : plus d’un électeur sur deux (55% pour être précis) des électeurs ayant voté pour Hollande disent l’avoir fait pour renvoyer Nicolas Sarkozy. Interrogés sur le fait de savoir si l’élection de François Hollande allait améliorer, dégrader ou rien changer à la situation, 46% déclarent croire à une dégradation, 28% que cela ne changera rien, et seulement 26% croient à une amélioration. C’est dire si les espoirs sont modérés.Contrairement à Mitterrand, Hollande ne risque pas de décevoir beaucoup de monde.

C’est heureux, parce que 2012 n’est pas 1981, et Hollande n’est pas Mitterrand. En 1981, la France avait une monnaie, des frontières, le contrôle du système financier, des infrastructures saines, des services publics puissants et donc des marges de manoeuvre considérables. En 2012, les marges de manoeuvre – sauf à s’affranchir de la contrainte européenne – sont nulles. Nous n’avons plus la maîtrise de la monnaie, nous avons une politique budgétaire contrainte, des banques qui font ce qu’elles veulent, des infrastructures vieillissantes, des services publics largement privatisés. Sarkozy, qui était un volontariste, en a souffert. Hollande, en bon disciple de Jacques Delors, s’y coulera dans cette impuissance sans états d’âme. Je suis prêt à prendre les paris sur la ratification du TSCE…

La victoire de François Hollande est la victoire de la médiocrité. Il suffit d’écouter ses discours pour s’en convaincre : on y trouve un discours artificiel, terriblement artificiel, tout simplement parce que celui qui le prononce n’a en fait rien de véritablement consistant à dire. C’est du « je suis avec les gentils contre les méchants », ou bien « je suis pour tout ce qui est bon et contre tout ce qui est mauvais ». La gauche a gagné en jouant de la détestation de l’adversaire, et en choisissant pour candidat celui qui avait le moins d’idées personnelles et qui s’est contenté de dire à chaque public ce qu’il voulait entendre (1). Que la gauche ne puisse produire pour la représenter qu’un personnage auquel personne – même dans son propre parti – ne reconnaît la moindre qualité intellectuelle en dehors de ses capacités à conquérir le pouvoir, cela mérite réflexion. Que la France se donne un tel président, aussi.

Mais la victoire de François Hollande est surtout une victoire de la continuité. Ceux qui pensent que « le changement c’est maintenant » vont très vite déchanter. Au delà du style personnel, abrasif et clivant pour l’un, consensuel et « rond » pour l’autre, Sarkozy et Hollande se ressemblent bien plus qu’on ne veut le croire. Tous deux sont des « professionnels » de la politique, pour lesquels, pour reprendre une formule célèbre, « gouverner est une pénible corvée entre deux élections ». Ce qui les intéresse, c’est la conquête du pouvoir, et non son exercice. Ils ne sont pas entrés en politique pour réaliser une oeuvre (comme c’était le cas pour un Badinter avec la peine de mort, pour un Neuwirth avec la légalisation de la contraception), mais pour conquérir un poste. Il ne faut pas croire que c’est une nouveauté : l’histoire de la IIIème et la IVème Républiques est truffée de ce genre de personnages. En sacralisant le rôle du président, en le faisant élire par le suffrage universel – et non par les tractations obscures des partis – De Gaulle avait pensé mettre la Vème à l’abri de cette « professionnalisation ». Et cela n’a pas si mal marché, du moins jusqu’à la fin de la Vème République en 1988. Avec la cohabitation, la fonction présidentielle s’est progressivement banalisé jusqu’à être à la portée d’un homme « normal ».

Cette « professionnalisation » peut plaire à certains parce qu’elle nous éloigne du messianisme gaullien dont la symbolique a toujours choqué le côté « libéral-libertaire » de la gauche française. Mais elle reflète aussi une « normalisation » du rôle de l’Etat, conçu non plus comme une institution transcendent mais comme une simple entreprise prestataire de services. Le débat sur le salaire du président est de ce point de vue révélateur : peu importe que l’un l’ait augmenté et que l’autre s’apprête à le réduire. Ce qui leur est commun, ce qui les réunit, c’est que tous deux considèrent que ce sujet mérite d’être discuté publiquement, ce que n’importe quel de leurs prédécesseurs aurait refusé. Pour De Gaulle, Pompidou, Giscard et même Mitterrand ce salaire n’avait aucune importance. C’était un petit détail administratif dans une fonction qui dépassait ce genre de contingences. Pour Sarkozy comme pour Hollande, il faut au contraire en discuter, comme on discuterait du salaire du PDG dans une assemblée générale d’actionnaires.

Sarkozy, avec ses immenses défauts personnels, garde au moins un langage qui rappelait la grandeur gaullienne, et à titre personnel, adhère à une vision de la France qui est modernisatrice, industrielle, urbaine. Hollande, lui, est sans complexe représentatif de la « petite France » dont parle Crémieux-Brilhac : celle du retour à sa « communauté naturelle », au village, à la terre, au quotidien, aux petites institutions de l’environnement immédiat, et qui n’aspire qu’à vivre, prospère, dans son « ça m’suffit ». Cette « petite France » a toujours coexisté avec la « grande France » des idées universelles, des expéditions étrangères et de la « grandeur ». Et comme le montre si bien Alain-Gérard Slama, la « petite France » reprend ses droits dès que les gardiens de la « grande France » ont le dos tourné et surtout dès qu’une crise fait craindre les couches moyennes pour leur niveau de vie. Ce fut le cas en 1940, lorsque les français ont, dans leur grande majorité, adhéré à un projet « européen » qui faisait de la France une province de l’Europe allemande (2). Hollande partage cette position qui, toutes proportions gardées, rappelle celle de Pierre Laval du moins en ce qui concerne la résignation par avance aux « contraintes européennes » et l’acceptation implicite dans cette résignation d’une « provincialisation » et une vassalisation de la France (3). Le discours du « rassemblement » et de la « république apaisée » rappelle furieusement le discours pétainiste appelant à « finir avec les divisions qui nous ont fait tant de mal ». Et Slama a raison de dire que ce qui fait la démocratie, c’est la capacité à assumer les différences et les oppositions, alors que la pensée totalitaire cherche au contraire à les effacer pour fondre la société dans un moule consensuel. Que François Hollande ait prononcé son premier discours de président-élu à Tulle – rappelant cet autre grand pétainiste qui prononça le sien à la mairie de Chateau-Chinon – n’est pas innocent

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Mais si les espoirs de changement politique sont faibles, d’autres espoirs de changement sont forts. Il était amusant de regarder le défilé des intervenants sur la scène de la Bastille. On y trouvait bien entendu les notables socialistes, mais aussi un certain nombre d’étranges compagnons de route. Jean-Vincent Placé, on peut comprendre… mais Robert Hue ? Qui a bien pu inviter le Père UbHue à prendre la parole ? Quel rôle joue-t-il ? C’était un peu le défilé des ambitieux. Là aussi, il risque d’avoir pas mal de cocus.

Car les élections législatives se présentent assez mal. La gauche bienpensante semble convaincue que les politiques sarkozyennes sont l’objet d’une détestation unanime. Mais c’est loin d’être le cas : un français sur deux à voté Sarkozy. Les politiques proposées par François Hollande, si l’on croit les enquêtes ci-dessus, ne suscitent pas une adhésion enthousiaste. Une cohabitation est cependant peu probable, parce que l’ampleur du vote protestataire à droite met dans un certain nombre de circonscriptions le candidat de droite en situation difficile. Il y a par contre un risque réel que le PS n’ait pas une majorité homogène, ce qui nous conduit tout droit vers une nouvelle « gauche plurielle ». Une situation à laquelle la « gauche radicale » n’est guère préparée politiquement. Mieux vaudrait commencer à réfléchir sur la hiérarchie des revendications qui seront négociées avec le PS pour constituer une majorité. Car il ne faut pas se faire des illusions : il serait impensable de voir les députés du Front de Gauche faire tomber un gouvernement socialiste en votant contre lui, et le PCF en a fait plusieurs fois l’amère expérience. Pour pouvoir assumer politiquement une telle décision sans être laminé par l’opinion il faudrait avoir préparé une stratégie de rechange, et l’avoir expliqué à son électorat et ses militants pendant des années. Ce travail n’ayant pas été fait, il n’y a pas de stratégie alternative.

L’attitude du Front de Gauche est d’ailleurs assez étrange. Naguère, Hollande était pour le candidat du Front un « capitaine de pédalo dans la tempête ». Aujourd’hui, au contraire, Mélenchon le félicite et lui souhaite « le meilleur ». Pierre Laurent va plus loin en déclarant que l’élection de Hollande « ouvre un nouvel espoir en France et en Europe ». On a vu les drapeaux du PG et du PCF à la Bastille agités toute la nuit pour fêter l’élection de celui qui avait dit « il n’y a plus de communistes en France ». Ces revirement sont significatifs de l’incapacité du Front – et des organisations qui le composent – de produire une analyse politique du réel qui donne une certaine cohérence à ses positions. Si le Front avait une telle analyse, ses prises de position découleraient « naturellement » de celle-ci ; mais en son absence, chaque position est gouvernée exclusivement par des considérations tactiques, par des initiatives personnelles déconnectées d’une stratégie d’ensemble, et par le besoin des camarades ayant le complexe du gyrophare de ne pas insulter l’avenir. Devant cette difficulté à définir une ligne politique, Mélenchon semble être retombé dans sa tactique habituelle de se trouver des ennemis. Alors que Sarkozy s’est bien débrouillé, le soir de l’élection et plus encore depuis, à dédramatiser sa défaite et à sortir d’une logique de guerre civile en invitant par exemple François Hollande à partager les cérémonies du 8 mai, Mélenchon continue à contretemps à tonner un message de haine. Et Sarkozy disparu, il ne lui restera bientôt plus comme faire-valoir que Marine. D’où son numéro d’enfant mal élevé sur les plateaux de télévision dès qu’un représentant du FN montrait le bout de son nez. Numéro qui, a force d’être prévisible, perd de son efficacité. Les représentants du FN l’ont d’ailleurs bien compris, prennent les traits mélenchoniens avec humour et en fin de compte Jean-Luc apparaît comme un énergumène.

Des temps difficiles s’annoncent au Front de Gauche. Pour faire élire des députés, il lui faudra compter sur des contextes locaux tous différents. Les élus sortants et les « notables » ayant une chance de se faire élire en sont pleinement conscients. Beaucoup sont tentés de négociations d’arrière-cour avec le PS, comme la lettre de Martine Billard à Martine Aubry, que j’ai commenté dans un précédent billet, le montre. Il y aura aussi des négociations locales avec le MODEM, avec des partis régionalistes… il sera difficile de maintenir une certaine cohérence autour de « l’humain d’abord ».

Descartes

(1) Le discours sur la finance est le plus symptomatique : entre son discours à la City de Londres et celui qu’il a tenu dans les estrades en France, il y a une totale opposition. La question est : quand était-il sincère ?

(2) On oublie aujourd’hui – et ce n’est pas une coïncidence – combien le projet de la « révolution nationale » a été vendu comme un projet d’intégration dans la « nouvelle Europe » voulue par l’Allemagne, et combien les élites françaises étaient alors convaincues qu’une fois la guerre terminée (avec un probable accord germano-britannique) la France pourrait « à côté de l’Allemagne » participer, en position subordonnée bien entendu, à la construction de cette « nouvelle Europe » que beaucoup d’entre eux appelait de ces voeux.

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Une réponse pour Les cocus de la Bastille

  1. Bluebair le 12 mai 2012 à 5 h 22 min

    Merci a la Plume de me faire decouvrir cet auteur et ce site. Beaucoup d’intelligence et une belle et triste analyse. Je crois personellement que la « petite France » est beaucoup plus grande qu’on le croit. La modernite et l’urbanite sont en bout de course sur certains sujets. Le rat des champs garde son pouvoir, mais ne le sait pas toujours, car il regarge trop la television. Le monde se transforme et se detruit constamment. La France aussi.

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