Politique France

Education : quand Luc Chatel vend la mèche

8 juillet 20110
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Quand l’Education Nationale passe de la promotion du « savoir » à la politique du « servir »

Durant une bonne semaine, l’irruption de l’affaire DSK dans l’actualité hexagonale a quasiment éclipsé toute autre information ou considération  de la sphère médiatique française. C’est ainsi qu’est notamment passée totalement inaperçue une interview tout à fait remarquable accordée par Luc Chatel, Ministre de l’Education Nationale, au quotidien gratuit METRO le 18 mai 2011. Remarquable non pas par la qualité des idées qu’elle expose, mais bien par la démission terrifiante qu’elle révèle.

Au détour de ces lignes édifiantes, on pouvait notamment lire cette phrase, sans doute définitive : « Ce que les parents attendent, c’est que le système éducatif propose à chacun de leurs enfants une qualification, un diplôme ».

Passons sur la mutation en soit révélatrice de l’Education Nationale en « système éducatif » : à lui seul, ce glissement sémantique, cette requalification technique au fort relent de moins-disant culturel en dit déjà plus qu’un long discours. Arrêtons-nous plutôt sur la suite d’une phrase terriblement révélatrice qui clôt sans doute enfin la lente et continue dérive du service public français de l’éducation, et signe l’acte de décès final d’une formidable ambition –si remarquablement française- née des lois laïques de 1882 initiées par Jules Ferry, portée durant des décennies par les fameux « hussards noirs de la République », puis, sans faillir, et  jusqu’à la fin des années soixante, par  tous leurs héritiers successifs.

En ces temps désormais révolus, l’école était considérée comme un sanctuaire libéré de l’agitation du monde, de ses impératifs économiques et des ses contingences marchandes. Son but, noble entre tous, était de faire de chaque enfant de France un être autonome, un citoyen accompli, enrichi des connaissances accumulées par les générations précédentes, structuré intellectuellement et capable grâce à l’acquisition de ce que l’on appelait encore les « humanités » d’affronter plus efficacement la vie. Un lieu de transmission où le savoir était au centre du système, et le respect des maîtres absolu, incontournable.

Ces connaissances étaient délivrées à tous, avec le même degré d’exigence, sans tenir compte aucunement des origines sociales et culturelles de chacun. Les élèves intégraient tous un creuset commun, d’où qu’ils viennent, et seul le mérite individuel, l’investissement personnel différenciaient les parcours et hiérarchisaient les réussites. C’est ainsi que durant des décennies, des enfants d’origine modeste, grâce à leur travail, malgré un handicap de départ lié à leur environnement peu favorisé et souvent très fortement encouragés par leurs parents qui en tiraient une fierté légitime, parvenaient à monter dans ce fameux ascenseur social, jusqu’aux plus hautes fonctions de la société civile et de l’Etat, renouvelant les « élites » françaises, au bénéfice du pays tout entier.

Au fil des bouleversements sociétaux puis pédagogiques nés des soubresauts de mai 68, peu à peu, brique par brique, l’édifice construit par nos glorieux anciens fut méthodiquement démoli. On commença par abandonner l’affirmation de la condition d’élève, pour la remplacer par celle totalement neutre d’enfant, dès lors dénuée de la moindre connotation éducative. La nuance put alors paraître anecdotique, tout ce qui suivit montra qu’il n’en était rien. On décréta bientôt que l’école était, non pas une matrice où l’élève avait le devoir d’apprendre, mais un milieu où l’enfant avait vocation à s’épanouir. Le savoir était la pierre angulaire de la maison Education Nationale : on le relégua de fait aux accessoires, pour placer l’enfant au centre de l’école, faisant de lui, non un apprenant, mais un usager et plus encore un consommateur scolaire. La méthode d’apprentissage syllabique fut rapidement congédiée, au profit de la fameuse méthode globale, dont les dramatiques effets sont aujourd’hui un secret de polichinelle. On cassa délibérément les Ecoles Normales d’antan, pour leur substituer les IUFM, où l’on convertit à la chlague et sans alternative possible les étudiants au dogme exclusif des nouveaux « pédagogistes » et notamment de leur  pape, Philippe Mérieu. On  apprit dans les manuels censés former les futurs enseignants, et entre autres tartufferies, à ne plus parler de ballon mais de « référentiel bondissant ». On revisita l’histoire, délaissant des pans entiers du roman national -souvent d’ailleurs les plus glorieux- on autorisa les calculatrices, on abandonna la dissertation, on relégua les grands auteurs aux rayonnages poussiéreux des bibliothèques scolaires. Le latin devint superfétatoire, et avec lui toute connaissance étymologique de la langue. Les savoirs premiers –lecture, écriture, maîtrise du français, histoire, géographie, calcul- furent peu à peu délaissés, minorés au profit de connaissances -mathématiques, sciences et techniques, aujourd’hui anglais et informatique- plus directement exploitables par le marché.

A l’issue de cette évolution –on pourrait presque parler d’implosion- qui a quasiment entièrement fait table rase du passé, aucun des buts affichés pour justifier ce changement radical de paradigme éducatif n’a été atteint : les inégalités face au parcours et à la réussite scolaire n’ont jamais été aussi aveuglantes. L’ascenseur social est totalement en panne. Les jeunes adultes, loin d’être plus autonomes, s’émancipent difficilement et quittent de plus en plus tardivement le cocon familial. Ils maîtrisent mal pour la plupart d’entre eux la langue française, au parler comme à l’écrit. L’échec est total, criant. Mais tels des lemmings courant imperturbablement à leur perte et se jetant par suivisme suicidaire dans l’eau du haut d’une falaise, les ministres successifs -de droite comme de gauche- et depuis plus de quarante ans ont renoncé à renverser le cours des choses ou même à tenter de freiner la catastrophe. Ce sont des générations entières de Français, qui sont sacrifiées sur l’autel d’un dogmatisme imbécile et totalement autiste. Le gâchis est épouvantable.

De son propre aveu, le Ministre de l’Education Nationale devient donc aujourd’hui en fait et de par sa propre volonté un simple Secrétaire d’Etat à la Formation Professionnelle. Le rôle de l’école n’est plus de transmettre des connaissances : il est de fournir des compétences. La capacité à intégrer le monde du travail n’est plus la conséquence, la suite logique d’un parcours éducatif réussi : elle en est le but même. La tâche autrefois glorieuse de l’Education Nationale n’est plus de faire de nos enfants des citoyens instruits et autonomes, mais bien des « ressources humaines » directement employables, consommables, exploitables, en fonction des seuls besoins du marché. La boucle est bouclée. Tous les masques sont tombés. La mue est accomplie, la messe dite. Jules Ferry, réveille-toi, ils sont devenus fous !

ML – La Plume à Gratter

 

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