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« Sauver les démocraties en Europe » : la pensée du président tchèque Vaclav Klaus

7 octobre 20120
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Publié le : 06 octobre 2012

Source : polemia.com

Sauver les démocraties en Europe, tel est le titre sous lequel les Editions François-Xavier de Guibert offrent au lecteur français la chance de prendre connaissance de la pensée de Vaclav Klaus, à travers la présentation de 26 textes traduits en français – articles ou discours adressés, entre 2003 et 2011, soit à ses compatriotes, soit aux instances européennes, soit à des publics allemand, anglais ou américain.

Notons au passage la familiarité toute particulière du président tchèque avec la littérature anglo-saxonne et germanique, à laquelle il doit l’essentiel de sa formation d’économiste, orientation qui laisse de côté les influences latines auxquelles il reproche un tropisme de gauche trop prononcé (surtout en France).

La tonalité de ces textes est souvent polémique : on connaît les positions souverainistes de Vaclav Klaus, en porte-à-faux avec le « politiquement correct » à l’égard duquel il affirme une dissidence pleine de panache. Cependant, il ne faudrait pas commettre l’erreur de lui attribuer un isolationnisme farouche : le président tchèque professe un attachement filial à l’Europe conçue comme un principe spirituel générateur d’une civilisation particulière et irremplaçable ; n’a-t-il pas déclaré en plein Parlement européen, un beau jour de l’an 2009 : « Il n’existe pas d’alternative à notre adhésion à l’Union européenne » ? Reste à concilier celle-ci avec le devoir d’assurer la pérennité de l’Etat tchèque, et là est le nœud du problème qu’il a tenté de résoudre tout au long de sa carrière politique.

Le procès de l’Union européenne : centralisme, constructivisme, ingénierie sociale

Le grief principal de Vaclav Klaus porte sur le « déficit démocratique » induit par la dérive de l’Union européenne vers la constitution d’un Etat fédéral à l’américaine, sous l’effet d’une centralisation croissante extirpant la responsabilité de l’action politique : la direction de l’Europe échappe de plus en plus aux peuples pour être transférée entre les mains d’une bureaucratie non élue, donc non représentative ; dans nombre d’Etats de l’Union européenne tels que la France, 80% des lois nationales émanent du Parlement européen et le principe de supériorité du droit européen sur le droit national est désormais adopté. On sait que la Commission de Bruxelles est composée de hauts fonctionnaires nommés au cours d’obscures tractations entre puissances financières ou diplomatiques plus ou moins occultes ; de même la substitution de la règle du vote à majorité dite « qualifiée » à la règle qui prévalait à l’origine du vote à l’unanimité favorise les grands Etats au détriment des petits, permettant au tandem franco-allemand de s’emparer de la direction des affaires. Au terme de cette évolution, de réforme en réforme, les gouvernements et parlements des divers Etats européens n’auront plus qu’un rôle de figuration dans une démocratie fictive. C’est une perspective à laquelle le président tchèque ne se résigne pas, d’où le sens non équivoque du titre de son livre : Sauver les démocraties en Europe.

On y trouve des concepts forgés par le maître à penser de l’auteur, Friedrich von Hayek, qui stigmatisent cette involution : la construction européenne résulte d’une « ingénierie sociale », d’un « constructivisme » substituant des organes supranationaux artificiels et inefficaces aux Etats européens, ces « créations spontanées de l’histoire qui a suffisamment prouvé leur viabilité ». « Il est possible d’être citoyen d’un Etat national – cadre nécessaire et suffisant de la démocratie –, mais il n’est pas possible d’être citoyen d’une organisation internationale » (Mlada Fronta, DNES, 2006).

En effet, il n’existe pas, selon Vaclav Klaus, de peuple européen, alors qu’il existe des peuples tchèque, allemand, anglais, français, etc. Le procès intenté par la pensée unique aux nations, qui seraient condamnées par l’histoire sous prétexte qu’elles seraient la cause unique des guerres, relève de l’idéologie.

Le refus de « l’homme nouveau » d’un « nouvel ordre politique »

La démarche européiste qui prétend, comme les expériences totalitaires du XXe siècle, créer « l’homme nouveau » d’un « nouvel ordre politique » non seulement européen mais mondial en abolissant les données de l’Histoire et de la Nature procède d’un progressisme délirant qui pourrait mener au « Meilleur des mondes » décrit par Aldous Huxley, autre auteur de prédilection de Vaclav Klaus.

La dénationalisation de la souveraineté, en effet, accompagne dans le système « européiste » le féminisme, l’homosexualisme et le multiculturalisme dans la logique d’une homogénéisation englobant des domaines aussi variés que la politique, la culture et la sexualité. Le président tchèque insiste particulièrement sur les dangers d’un multiculturalisme incluant des cultures exotiques du fait d’une immigration massive et incontrôlée venue de continents lointains aux Weltanschauungs inassimilables qui menacent la cohérence des sociétés européennes. L’interdiction de discriminer est le nouveau mot d’ordre régissant l’Europe.

Or, « il s’agit d’un renversement révolutionnaire du cours des choses », nous avertit Vaclav Klaus dans un article de Mlada Fronta datant de 2006 qui cherche à réveiller un peuple intoxiqué par le discours dominant où abonde le mot de liberté, et qui ruisselle « d’une bonté mythique universelle » totalement irréelle, disqualifiant par ailleurs le contradicteur sous l’accusation de xénophobie. Les peuples européens sont aussi abusés par l’obscurité calculée des textes constitutionnels qui « voilent la limitation implicite des souverainetés étatiques sous des articles compliqués, incompréhensibles pour le vulgaire, aux dispositions confuses » (intervention du président devant le Tribunal constitutionnel de Brno réuni pour examiner le Traité de Lisbonne le 15 novembre 2008). Les peuples européens se laissent ainsi dépouiller à leur insu de leur souveraineté, inconscients de la révolution qu’ils accomplissent à leur détriment. La souveraineté ne se divise pas, clame le président de la République tchèque.

Le procès de l’euro : le sacrifice des ajustements monétaires

Le libéralisme radical de Vaclav Klaus condamne l’Etat-providence, la société de loisirs, les taux élevés d’imposition décourageant l’entreprise. Il se traduit aussi par une opposition résolue à l’euro. Selon le président tchèque, l’adoption d’une monnaie commune par l’Union européenne est une erreur fatale obéissant à une logique purement politique destinée à faire progresser l’Union européenne vers une harmonisation accrue des règles politiques, législatives et économiques en complétant celles-ci par l’unification des régimes fiscaux. L’unification monétaire réalisée par des Etats aux économies fondamentalement hétérogènes, ayant des taux d’intérêt, des taux de change très inégaux, est irrationnelle ; elle induit une rigidité néfaste qui interdit d’utiliser la monnaie comme une variable d’ajustement aux aléas du marché. Vaclav Klaus observe que la Pologne, qui avait gardé sa monnaie nationale, a pu faire face à la crise mondiale plus facilement que ses voisins de l’eurozone grâce à la dévaluation du zloty.

L’euro, selon le président tchèque, est responsable du ralentissement de la croissance, du déséquilibre des balances commerciales et des déficits budgétaires qui sévissent en Europe depuis le lancement de la monnaie commune, les statistiques montrant que ces phénomènes sont contemporains. Il n’est pas jusqu’à l’inflation, prétexte mis en avant par les créateurs de la monnaie unique, qui ne démente leurs pronostics, car ce dysfonctionnement, qui devait théoriquement disparaître avec l’apparition de l’euro, a fait sa réapparition au cours des dernières années dans le Vieux Continent, et notamment dans six Etats particulièrement démunis de l’eurozone.

Bref, en adoptant la monnaie unique, les Européens ont sacrifié leur économie à la politique.

Cependant, comme tous les idéologues, les européistes refusent de reconnaître leur échec ; ils s’accrochent à leurs chimères dans un pathétique déni de réalité, aggravant le désastre par des mesures inappropriées.

Dès 2003, Vaclav Klaus affirmait devant ses auditeurs du Cato Institute de Washington : « Le maintien de la monnaie unique sera coûteux en termes de transferts budgétaires inévitables visant à soutenir les partenaires les plus faibles ». Il ajoutait que les bénéficiaires de ces transferts devraient payer l’aide reçue en renonçant à contrôler leur budget, axe essentiel de la souveraineté étatique. La création du Mécanisme européen de stabilité confirme aujourd’hui ces prédictions.

Le président tchèque ajoutait à son pronostic que les transferts de capitaux pourraient générer des tensions inutiles entre les nations. Nous pouvons constater aujourd’hui que, si les Allemands ont pu financer sans protester la réunification de la RFA et de la RDA, ils ne se comportent pas de la même façon lorsqu’il s’agit de la Grèce ou de l’Espagne. Tant il est vrai, affirmait Vaclav Klaus dans un article paru le 1er juin 2010 dans le Wall Street Journal, que « l’envoi de transferts financiers massifs n’est possible qu’à l’intérieur d’un Etat, et l’Union européenne ou la zone euro n’est pas un Etat ».

Les partisans de l’Union européenne pourront reprocher à Vaclav Klaus une partialité certaine : l’euro n’est pas la cause unique de nos maux actuels, en période de crise mondiale ; toutefois on doit reconnaître que le président tchèque avait prévu qu’une telle crise pourrait agir comme révélateur de l’inefficacité du système financier eurocratique.

On pourrait aussi s’étonner des réactions indignées de ce libéral patriote le jour où la Commission de Bruxelles décida d’imposer des droits de douane sur du matériel d’éclairage provenant de Chine : n’est-il pas conscient des ravages du dumping apparaissant lorsque des produits importés de pays aux salaires plus de dix fois inférieurs à ceux de l’Europe franchissent ses frontières ? Voilà un problème que le Prix Nobel français Maurice Allais avait su déceler avec plus de lucidité que son collègue tchèque, alors que l’un et l’autre, familiers des rencontres du Mont Pèlerin, eurent peut-être l’occasion de se rencontrer et de réfléchir sur un tel sujet.

Quoi qu’il en soit, le lecteur de Sauver les démocraties en Europe ne peut manquer d’être impressionné par l’immense culture économique de Vaclav Klaus : sa compétence mondialement reconnue lui vaut d’être invité à s’exprimer devant les universités les plus prestigieuses du monde occidental. Ce chef d’Etat passionné pour le Bien commun, insensible aux entraînements grégaires auxquels succombent tant de politiciens, ce patriote conscient d’assumer l’héritage d’un peuple qui lutta pendant des siècles pour sa liberté, ce lutteur courageux qui puise dans la mémoire du passé communiste le désir passionné d’échapper aux menaces récurrentes de totalitarisme, mérite le respect, non seulement de ses compatriotes, mais du monde entier.

Abbon

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